14: Le Soleil de Colombie Les Voyageurs Sila sous-culture des voyageurs repo- sait sur la coutume, la véture et le rituel, c’était le langage qui les uni- fiait. Ni les Indiens, ni les hommes de la C.N.-O. ne jouissaient de |’avan- tage d’avoir le francais comme langue maternelle. Contrairement aux em- ployés de la C.B.H., les voyageurs n’étaient pas de jeunes apprentis dési- reux de se modeler 4 l’image de leurs employeurs. Ils ne partageaient avec les «bourgeois» (officiers supérieurs, associés hivernants et agents de Mon- tréal) que leurs beuveries. Ils ne rece- vaient jamais la promotion qui leur aurait permis d’enterrer leur vie itiné- rante au profit d’un emploi a terre. Si les forts de Compagnie de la baie d’Hudson étaient soumis a une disci- pline stricte qui rappelle celle qui est de rigueur sur les frégates de la Ma- rine Royale, le lieu de rendez-vous favori des voyageurs paillards, «la cantine salope» des quartiers géné- raux d’été de la C.N.-O., n’a pas d’équi- valent moderne. Le respect de l’autorité ne semblait pas non plus étouffer les voyageurs. Ils n’étaient jamais plus hilares que lorsqu’ils venaient de faire s’effon- drer la tente d’un «bourgeois» sur son propriétaire endormi ou aprés avoir «accidentellement» plongé le digne homme dans un ruisseau glacé sous prétexte que celui-ci avait «oublié» de partager avec cux sa réserve privée d’alcool. Le négociant, trempé et fris- sonnant, se voyait alors moqucuse- ment sifflé, ses tortionnaires préten- dant qu’ils venaient de le «baptiser». Aloccasion, les canoteurs honoraient un «bourgeois» naif en donnant son nom a un repére. Un des hommes grimpait a la cime du pin le plus élevé a la ronde, dont il élaguait toutes les branches, sauf les derniéres. Puis il gravait le nom du «bourgeois» au sommet de I|’arbre. Cette cérémonie était suivie d’une salve d’honneur, d’applaudissements et d’une demande de boisson au potentat que l’on venait d@honorer. La plupart des «bourgeois» voyageaient en compagnie de leur valet mais ils n’étaient pas tous - comme un arpenteur de la C.B.H., nommé Philip Turnor, le remarqua avec envie - por- tés jusqu’au rivage sur des lits de plu- mes afin d’y passer la nuit avec des compagnes de voyages. Pour les voyageurs, l’univers se résu- mait a leurs canots. L’ancienneté, la force musculaire et un sixiéme sens pour tout ce qui avait trait 4 la naviga- tion étaient les critéres qui détermi- naient le rang etle salaire. Tout en bas de I’échelle se trouvaient les «milieux» qui, accroupis deux par deux aux bancs de nage intermédiaires, pagayaient jour aprés jour en obéissant aux ordres de «avant» et du «gouvernail». Les vélérans savaient se diriger en regar- dant la course des astres dans le ciel et ils connaissaient parfaitement les caprices de l’onde. Ils savaient repé- rer le «fil d’eau», soit l’endroit le plus sur par lequel on s’engageait dans les rapides. Chaque escouade de quatre a douze canots se trouvait confiée 4 un «guide», nautonier expérimenté, res- ponsable du programme quotidien de (suite) navigation et de la sécurité de la car- gaison. Jouissant d’un salaire au moins trois fois plus élevé que celui des mo- destes «milicux», les «guides» avaient l’honneur de se restaurer en compa- gnie des «bourgeois» a Fort-William et dormaient dans des tentes, tandis que leur équipage devait se contenter de l’abri offert par les canots renver- sés. I] existait une autre distinction parti- culiérement cruciale. Les voyageurs étaient divisés en deux sociétés qui ne se mélangeaient pas. Les équipages qui conduisaient les canots de mar- chandise jusqu’a l’extrémité du lac Supérieur (ou du lac A-la-Pluie) étaient surnommeés les «allants et venants» ou, plus couramment, étaient affublés du qualificatif dédaigneux de «man- - geurs de lard», parce qu’ils avaient coutume d’ajouter de la viande de porc a leur gruau de mais. On les embau- chait généralement pour un voyage et ils se rengageaient ou non ensuite, au gré de leur fantaisie. Les aristocrates des riviéres étaient les «hommes du Nord», qui hivernaient au pays des fourrures et livraient les cargaisons. Professionnels coriaces, ils étaient le (ppouD) np sajbuonbu saayozy) Vol. 4 no 1 LE COURRIER DE LA SOCIETE D'HISTOIRE, Avril 1991 SESS ATES SE TS SSE UE SE 2 A SE Ef EN DIELS TELE ELE ETT