page 8 L’APPEL Février 1968 UN CANADIEN ERRANT par Gaston Godbout 4eme partie “Una salus victis nullam sperare salutem”’ Ainsi s’exprimait Virgile décrivant un pas- sage de la prise de Troie et que Gaston, un poé- te du XVIIIéme siécle (vraiment) traduisit ainsi: Le salut des vaincus est de ne plus atten- dre’’. En Gaston du XXéme siécle j’aime mieux traduire Ciceron qui cite: “Ubi bene, ibi patria”: ‘Ot l’on est bien, 1a est la patrie.” Ces deux citations je crois, expriment les sentiments des deux factions francaises du Canada; ceux qui demeurent au Québec qui ne veulent que le Québec 100% et ceux qui veulent tout le Canada, méme en dehors du Qué- bee a 50%. Les séparatistes opinent pour Vir- gile, ils ne veulent plus attendre et veulent prendre charge chez eux maintenant, méme si leurs ancétres ont attendu deux siécles. Si je n’étais pas sorti des cadres du Qué- bee, ne connaissais que mes Laurentides, moi aussi j’opterais pour cette proposition proba- blement. Je me dirais: “Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras’’, et je me sacrerais de la balance du pays pour m’installer confortable- ment emmitouflé devant le foyer qui dévorerait btiche aprés biche pour me faire oublier les éléments impitoyables de mes arpents de neige, mes arpents que jalousement je voudrais con- server seul, a 100%. En Canadien qui a erré les quelques 3000 milles du pays, j’ai découvert des horizons qu’on ne peut apprécier sans les avoir vus, que les livres ne peuvent reproduire en trois dimensions et comme La Vérendrye, juché sur un pic des Rocheuses, admirant l’immensité et la grandeur d’une vraie nature, je n’ai pas accepté de retourner dans le vieux chez moi et ai préféré déclarer “chez-moi” et la patrie, 1a ou j’étais bien. En février 1961, je passais trois semaines a l’hépital militaire de Québee pour récuperer dune bronchite sévére. J’ai dé sortir de 1’hépi- tal prématurément afin de revenir 4 la maison pour prendre soin de ma femme et cing enfants qui étaient tous allités, victimes d’une vague de grippe. Quels sons horribles que les tousse- ments continuels de tous ces petits poumons qui bataillaient futilement, méme avec les pilules multicolores par douzaines, les sirops, ete. qui remplissaient toute une tablette de la cuisine. Il m’a fallu tenir une petite comptabilité, pour bien suivre les ordonnanees a toutes les heures, de tel médicament pour tel patient. Moi je n’é- tais plus patient mais impatient. Je maudissais cette bataille sans issu et d’un coup de téte, j’ai décidé de ne pas condamner mes enfants et leurs enfants 4 une vie de luttes perpétuel- les contre le froid ou la chaleur. Cette méme semaine j’ai demandé une affectation au pays du soleil couchant. En juillet de la méme an- née, aprés avoir vendu “lock, stock and barrel” je filais vers les vastes plaines de l’ouest avec toute ma famille, deux tentes, un bateau et de Vespoir au coeur. Un voyage mémorable celui-la, rempli d’évé nements parfois dramatiques, parfois comi- ques. Nous filions 4 80 milles a l’heure en fran- chissant le panier 4 pain du Canada pour foncer dans la passe du Cheval qui Rue, porte de la terre promise. la passe Rogers n’était pas construite en ce temps-la et il fallait braver le “Big Bend”, cette route terrible qui défie les routes escarpées mexicaines, reconnues pour faire dresser les cheveux sur la téte. Méme 25 milles 4 l’heure devenait.-une vitesse effrénée sur cette route qui longe le fleuve Colombia, fleuve tumultueux que le chemin semblait vou- loir copier. Chaque pied de cette route est ac- eroché aux flanes de rochers verticaux, et les ingénieurs qui l’ont construite ont simplement relié des milliers de trous qui faisaient bondir le bateau comme un boue des montagnes, par- fois 4 un ou deux pieds seulement de ravins vertigineux. A la nuit tombante, épuisés, sales et en retard de plusieurs heures nous avons été bénis de trouver une petite cabine primitive 4 Boat Encampment oti nous avons empochés nos petits, tout habillés, dans leurs sacs de coucha- ge. On se fichait de la fumée qui insistait pour sortir par la porte de la tortue plutot, que par le passage normal. Nos poumons ne s’en trou- vérent pas pires le lendemain matin alors que nous respirions l’air pur des Rocheuses sous un ciel clair, un soleil radieux, prometteur d’une journée plus fructueuse. La bataille contre la poussiére dura encore 3 ou 4 heures et d’un coup sec nous sautions d’un extréme a l’au- tre. Nous dévalions maintenant la montagne sur une route large, flambante neuve, douce comme un tapis et au rire des enfants je chan- tais 4 gorge déployée: “L’air est pur, la route est large, et Gaston sonne la charge. . .”’. Au milieu des cerisiers, des péchers, des poiriers nous avons installé les tentes aux bords du lac Kalamalka, lac aux multiples couleurs. C’était un lundi, jour du lavage, et Dieu sait si nous en avions du lavage! Méme les sacs en plastique pourtant étanches étaient remplis de poussiére. Tout y passa, les oreilles, les cheveux, les boites de conserve, le pneu de rechange, méme le bateau qui en ressortit éclatant de beauté, un bateau de Vest venant conquérir les eaux de l’ouest. Le souper fut glorieux. J’avais eu le temps d’attraper quatre kokanées de 10 4 12 pouces et avec le don de quatre autres des voi- sins campeurs nous avions notre premier repas civilisé en Colombie Britannique. Ma femme et moi avions vidé notre derniére bouteille de Graves et je remboursai mes voisins en parta- geant ma derniére bouteille de cognac que nous dégustions sous un cie] étoilé autour d’un feu de camp qui brila jusqu’aux petites heures du matin. J’étais maintenant en terre promise et avant de succomber a Morphée, je ronronnai 4 ma femme la phrase de Daniel Rops que j’avais