Le Moustique Nous nous sommes donc retrouvés, ma fille et moi, 4 Port Renfrew, dans une veillée d’arme des plus lugubres. Il n’est pas invraisemblable que ma fille m/ait accompagné avec |’intention généreuse de ramasser les morceaux. Elle paraissait toutefois également inquiéte. Il est vrai que ni l’un ni l’autre n’avions la forme, ni la préparation. Au moins avions-nous le matériel adéquat que le fils nous avait prété, le sourire en coin. Une charge de vingt kilos pour ma fille et de trente pour moi. De la galanterie, on ne doit jamais se départir, méme dans les situations les plus critiques et cela m’a paru assez rapidement regrettable. Il est absolument évident qu’il faille organiser longtemps a J’avance une expédition pédestre de cette importance. Nos préparatifs m’ont paru trés longs bien qu’on ne les ait commencés que le jour précédent. Mais nous y avons consacré la nuit entiére. Levés a cinq heures pour prendre le bus de Victoria a la céte du ‘Pacifique, nous constatons amérement que ’on a cumulé trois sacs a dos remplis a raz bord pour nous deux seuls et que, 4 simplement les soulever pour les mettre dans le coffre de la voiture, nous nous trouvons a bout de souffle. Ma femme qui, pour nous conduire, s’est levée avec nous malgré la nuit blanche, ne dit rien. Mais dans son regard, je crois reconnaitre expression d’un doute trés sérieux quant a nos facultés mentales. Et si je commence a percevoir qu’elle pourrait fort bien ne pas avoir tort, il est décidément un peu tard pour le reconnaitre. Volume 3 - 9** édition Septembre 2000 Ce n’est pas encore cette fois-ci que je parviendrai a l’impressionner. Nous avons eu droit au petit discours d’introduction donné par les responsables du parc. Exceptionnellement, on nous 1’a dégoisé la veille du départ, préparant ainsi les meilleures conditions pour une nuit de cauchemars sans fin. On nous y a fait savoir tout d’abord que cette randonnée était considérée comme la plus difficile d’Amérique du Nord. Que des athlétes du monde entier se déplagaient jusqu’ici rien que pour l’accomplir. Nous ne savions si c’était la vérité, mais quand on vous |’annonce tout a trac peu de temps avant le départ et que, par la suite, on insiste lourdement sur les dangers de rencontre avec des ours noirs ou des lions de montagne, les marées véloces et les crues de riviéres, ¢a secoue. En gros, le sentier fait soixante-quinze kilometres de long avec des hauts en altitude et des bas dans tout le reste. Pas question, bien entendu, de dévoiler mes sentiments 4 ma fille que je sens frémir 4 mes cotés. On prend un air d’indifférence professionnelle et on laisse courir distraitement le regard sur les notes et avis qui couvrent littéralement les murs. Bien entendu, la premiére chose qui accroche le regard est le grand tableau, derriére le comptoir, ol sont reportées les statistiques relatives aux accidents de personnes. Depuis le début de la saison, il y a quatre mois, soixante-deux marcheurs ont du étre secourus et rapatriés médica- lement sur Victoria.