. a ee ed “oe | ee TR EN EE , a eee eee f | | ace acacia ie Le Soleil, page 12 le 6 septembre 1968 e nationalisme de Bourassa d‘apres des textes colligés par André Laurendeau Pour marquer le centenaire de la naissance de M. Henri Bourassa, grand patriote et celebre Canadien-Francais fondateur du journal " Le Devoir ", ne le premier septembre 1868, le Soleil reproduit textuellement des extraits du Devoir, & l'occasion de ce cente- naire. En janvier 1954, la revue I’Action nationale, sous la di- rection de Francois-Albert Angers, avait consacre une li- vraison spéciale & la pensée de Henri Bourassa. Dans ce nu- _ méro, André Laurendeau avait rédigé un texte particuliere- ment dense sur le nationalisme de Bourassa. L’étude de | Laurendeau se fondait sur un recueil de textes de Bourassa, , qu’avait minutieusement colligés l’auteur. Les textes étaient présentés par ordre chronologique, ce qui permettait de sui- vre plus facilement |’évolution de la pensee de Bourassa et d’en retracer en méme temps les constantes qui ne change- rent point au cours de sa carriére. Voici les principaux tex- tes qu’avait alors recueillis André Laurendeau. Le premier grand message nationaliste C’est en 1901. Henri Bourassa est tout jeune députe: ila trente-trois ans. On luia demandé de “‘définir rigoureuse- ment a plus b, l’impérialisme et le contre-impérialis- me”’. firépond 4 invitation dans une conférence prononcée au Théatre National francais. Il définit son attitude en face de la patrie canadienne: “Le seul terrain sur lequel il soit possible de placer la so- lution de nos problemes nationaux, c’est celui du respect mutuel a nos sympathies de races et du -devoir exclusif 4 la patrie commu- ne. ““T] n’y a ici ni maitres, ni valais, ni vainqueurs, ni vaincus: — il y a deux alliés dont l’association s’est conclue sur des bases . (Extrait du Devoir de Montreal) Les liens avec la France Dans la méme conférence du Monument national, Bou- rassa traite de nos rapports avec la France: “Soyons Francais comme les Américains sont Anglais. Con- servons et développons chez nous les instincts, les traditions et Vintellectualité que notre origine nous a légués; et a ce point de vue, nous ne saurions trop faire pour maintenir et fortifier les liens de parenté qui nous unissent a la France. Mais nous devons concentrer notre allégeance politique et nos aspirations nationales sur le sol du Canada.” (3) Que pensait Bourassa du séparatisme en 1901? Toujours dans cette conférence du Monument national, Bourassa traitait de ’hypothése séparatiste. Sans rejeter Vattrait et la légitimité de cette hypothese, il concluait que le temps n’était pas venu pour donner suite au réve sépara- tiste: “Quelques-uns de nos compatriotes envisagent avec bonheur le jour ot nous reconstituerons en Amérique, de droit comme de fait, une nouvelle France, un Etat libre ot notre race dominera sans partage. C’est assurément la_un réve légitime et attrayant; et le travail des siécles peut le réaliser plus rapidement que les apparences ne l’indiquent. Mais c’est encore un réve; et ce qu’il faut faire, c’est le devoir du moment. “Le meilleur moyen de conserver nos traditions nationales et de préparer notre avenir, quel qu’il soit, ce n’est pas de vivre dans les souvenirs d’hier.et les aspirations de demain, mais d’ex- écuter fidélement le travail de la journée.” (4) : Le pari de la confiance envers Il’autre L’un des traits majeurs de la pensée politique de Bou- rassa fut la confiance qu’il porta toujours 4 la bonne foi d’un grand nombre de Canadiens de langue anglaise. Dans une conférence prononcée en 1904 4 Québec, il définissait ce theme dans les termes suivants: “Et soyons convaincus d’une chose, c’est que nous n’avons pas besoin d’avoir peur d’affirmer nos principes et nos idées, et que vous trouverez un nombre considerable de Canadiens d’origi- ne étrangére a la nOtre, ne parlant pas la méme langue que nous, ne pratiquant pas la méme foi, mais qui sont unis avec nous dans un sentiment commun d’attachement a notre patrie commune, fiers de son passé, préts 4 garder sur cette terre libre du Canada les meilleures traditions des deux grandes races qui lui ont donné naissance, préts 4 oublier dans un attachement commun, dans un commun dévouement a la gloire de notre pays, les querelles et les guerres du passé, préts a s’unir dans une union pacifique non pas pour oublier nos différences intimes, non pas pour ou- blier ce qui fait-le caractére distinctif de notre race, non pas pour perdre notre langue, non pas pour perdre l’homogénité de notre race, mais pour nous unir dans une alliance fructueuse et féconde sans laquelle ce pays n’aura pas d’avenir, sans laquelle le Canada n’atteindra’ pas les destinées auxquelles la Providence *‘’amanifestement préparé”’. — Tout Vit équitables et bien définies. Nous ne demandons pas 4 nos voisins Paymi les veines de ce marbre, d’origine anglaise de nous aider 4 opérer un rapprochement politi- eat la Seat: ils n’ont pas le droit de se servir de la force prutale du nombre, ‘Vallia nous faire assumer vis-a-vis de l’Angleterre des obligations nou- velles, fussent-elles toutes volontaires et spontanées. : “tLe sol canadien, son sang, ses richesses, son passé, son présent et son avenir — tout cela ne nous appartient que pour le trangmettre intact 4 nos descendants. Je respecte et j'admire chez . mon voisin l'amour qu’il porte a sa vieille et glorieuse patrie, et , je le mépriserais si cet amour vibrait moins fort aux jours d’é- preuve. L e : souvenir chez les enfants de patrie francaise. Mais en dehors de ce domaine du coeur et de lesprit, il n'y a qu’un moyen possible d’éviter des malentendus funestes, c’est que nous soyons et que Ne vois-tu pas un sang courir pour enireindre les termes de V'alliance et Comme sur 1*écorce de 1*arbre Ou sous nos mains qui vont s*unir? Ce coquillage est une bouche De sirene au visage doux: "attends en retour qu’il respecte la méme fidélité du Ecoutes-y sa voix farouche Qui se plaint du triton jaloux. nous restions tous deux exclusivement Canadiens sur le terrain Tends ton oreille a 1 *aubépine constitutionnel et politique’. (1) Le patriotisme canadien-frangais L’année suivante, Bourassa aborde au Monument national le sujet suivant: “Le patriotisme canadien-francais, ce qu'il doit tre”. Tladopte, a l’endroit du Canada, une attitude que Laurendeau qualifiait en 1954. comme inspirée d’un “‘fédéra- lisme modére”’ Et tu l*entendras soupirer Du vain effort de sa racine Avide de se délivrer. — Le destin veut qu’aux saisons blondes Tu marches d*un pas conquérant Et qu*aux hivers tu te morfondes “Le premier probleme qui se pose a notre esprit, c’est ce- Par les chemins, clopin - clopant. lui-ci: devons-nous étre plus cais que Canadiens ou plus Ca- nadiens que Francais? dautres termes, devons-nous étre des Francais au Canada ou des Canadiens d'origine francaise? que nous devons rester essentiellement Canadiens. “Loin de moi la pensée de vouloir étouffer chez mes compa- Car la versatile nature “Je ne concois pas qu’on puisse hésiter un instant a répondre Te porte @ rire ou bien pleurer, Selon l*humeur et 1*aventure triotes la voix du sang. Notre amour pour la France est légitime Qui viennent la transfi gurere et naturel: il peut et doit etre reel, profond et durable; mais il . doit rester platonique; et surtout il ne doit jamais nous faire ou-' blier nos devoirs envers nous-mémes et ceux que les circons- Un printemps nouveau sur nos terres a a notre histoire et de notre situation actuelle nous im- Verra voler a° autres oi seaux, “Pour comprendre et déterminer la nature de nos sentiments Un jeune sang dans nos arteres & Yendroit de la France, il faut *Angleterre: étudier notre histoire avec sang-froid et ne pas faire de légende.”’ (2) loyer la méme méthode que S e r jai indiquée tantét, lorsque j'ai patlé de ngs obligations snes Et Fer Reser eee d'autres ruisseaux. Aurel Le nationalisme canadien tel que concu par Bourassa durant la premiére grande guerre En pleine grande guerre, le 9 mars 1912, Bourassa prononcait au Monument national un discours intitulé “Pour la justice’. Dans ce discours, il définissait-de nouveau sa conception du nationalisme canadien: “Rien n’est plus stérile, rien n’est plus faible et grotesque a mes yeux que d’attiser les haines de races et de baser sur les errements des individus, quelques nombreux et puissants -qu’ils paraissent pour l’instant, le jugement qu’on doit porter sur toute une race. “Le nationalisme canadien, tel que nous l’entendons, tel que: nous le pratiquons, est aussi oppose a l’exclusion d’une race au profit de l’autre qu’a la subordination des intéréts de la nation canadienne a ceux de la Grande-Bretagne, de la France, ou de- tout autre pays britannique ou étranger.” (5) Apres avoir ainsi défini sa conception du nationalisme, il déclarait voir plus d’avantages que d’inconvénients dans la coexistence des deux peuples au Canada: “J’appartiens a l’école, moins nombreuse qu’on ne le pense, qui voit plus d’avantages que d’inconvénients dans la coexistence des deux races au Canada. Avec un nombre plus restreint enco- re, jestime que le Canada tout entier bénéficjera de cette situa- tion et recevra des deux races le maximum de leur apport au triotisme politique, intellectuel et moral de la nation, dans ‘exacte mesure ou chacune d’elles restera le plus completement elle-méme, avec ses facultés propres, son tempérament, ses attributs, son héritage intellectuel. La nation canadienne n’attein- dra ses suprémes destinges, elle n’existera méme, qu’a la con- dition d’étre bi-ethnique et bilingue, et de rester fidele au con- cept des Peres de la Confédération: la libre et volontaire asso- ciation de deux peuples, jouissant de droits egaux en toutes ma- tieres’’. Nationalisme québécois ou nationalisme canadien? Au début du siecle, en particulier en 1904, Bourassa eut Poccasion de définir ses positions par rapport a celles que tenait & Québec Jules-Paul ‘Tardivel, directeur de La Vérité. Celui-ci préconisait un nationalisme canadien-fran- ~ cais qui contenait en germe les promesses du séparatisme québécois d’aujourd’hui. Voici comment Bourassa définis-~ sait son attitude par rapport a ce nationalisme: “Nous aussi, nous voulons ‘‘défendre et développer notre propre nationalité”; mais nous estimons que ce n’est la qu’une partie de notre oeuvre; nous croyons que ce développement parti-. culier peut et doit s’opérer concurremment avec le développement d’un patriotisme plus général qui nous unisse, sans fusion, “aux autres éléments qui composent la population du Canada’’. Nous ne pensons pas, comme M. Tardivel semble le dire, que les au- tres éléments aient besoin de nous pour se développer. Mais nous. considérons que le Canada tout entier est notre patrie, qu’il nous appartient au méme titre qu’aux autres races. Nous voulons y ‘jouer notre réle, apporter notre pierre a |’édifice national, nous y ménager la place qui nous revient de droit; et nous croyons que pour atteindre ce but, nous devons chercher un terrain ou “‘les autres éléments”’ trouvent place avec,nous’’. (6) Le nationalisme et la foi. Pendant toute sa carriere, Bourassa accorda une pri- mauté absolue aux valeurs religieuses sur toutes les au- tres. Il déclara 4 plusieurs reprises que la vie temporelle doit étre subordonnée 4 l’ordre moral tel que défini par la ‘doctrine et l’Eglise catholique. Cet attachement a une or- thodoxie catholique concue dans des termes d’ailleurs assez rigides l’amena a préciser sa position sur les rapports en- tre nationalisme et religion, surtout 4 partir des années 20. La derniére partie de sa carriére fut marquée, a ce sujet, d’une séparation assez douloureuse d’avec les disciples qui l’avaient naguére suivi avec une grande ferveur. Voici un texte qui illustre la position de Bourassa a ce sujet: «. On ne saurait trop répéter que la lutte pour la langue et la culture francaises, légitimes, en soi, n’est qu’accessoire et. subordonnée 4 la lutte pour la foi et le droit paternel. On ne sau- rait trop redire que la langue francaise et les traditions cana- diennes-francaises doivent étre conservées surtout parce qu’el- les constituent de précieux éléments de l’ordre social catholique. Certains défenseurs tres ardents de la langue semblent l’oublier; ou du moins leurs activités un peu étroites tendent 4 obscurcir ces notions dans l’esprit du peuple’. (7) Au cours de ses célébres conférences des années 30,. Bourassa reviendra sur ce theme et se montrera plus séve- re. Il fera une confession ow il reconnait “‘cing péchés” qu’il aurait commis. André Laurendeau, dans son commen- taire, fait bon marché de ces péchés qui tenaient autant du scrupule que de l’orthodoxie rigoureuse. Il souligne que Bourassa, tout en reconnaissant certaines erreurs parti- culiéres, n’a rien renié de son oeuvre fondamentale. 1. Grande-Bretagne et Canada, imprimerie du Pionnier, Montréal, 1901. ae 2. Le Patriotisme Canadien Francais, la Cie de Publication de la Revue Canadienne, Montréal, 1902. ~ 3. Idem : 4. Idem 5. Le Devoir, son origine, son passé, son avenir. — Discours au Monument National, le 14 janvier 1915. 6. Le Nationaliste, 3 avril 1904; page 2. '7. Le Devoir, 9 novembre 1920. a te EN ——eEeEeEeeEeeeEeEeEeEeEEeeEeE—E