Ait 5 4% & bh par Ben WEIDER Chapitre VII Premiéres tournées - Mélina aidant, la famille se laissa convaincre. Le débat avait pris des proportions d'une affaire nationale. Les voisins, puis les habitants de tout le village s’en mélérent. Les parents s’apercurent que Louis, leur Noé-Cyprien, était bel et bien devenu un personnage public. Le pére de Louis Cyr ne pouvait se montrer dans la rue sans se faire aborder par quelque villageois qui se mettait a plaider la cause de |’athléte. D’abord irritée, la famille finit par. @tre flattée par une telle notoriété. L’op- position se fit plus molle; bientdt elle ne porta plus que sur des détails mineurs, et finalement l’accord fut donné. L’adhésion du Pére Cyr fut a ce point complete, qu’a la grande joie de Louis il proposa de se charger de tout le cété organisation. C’était une idéé de Mélina. De cette maniére, la famille _ serait en mesure de se rendre compte qu'il n’y avait rien d’immoral ni d’indécent - dans la nouvelle profession de Louis. D’autre part, la douce Mélina prévoyait qu’ elle n’allait pas tarder a attendre de nouveau un enfant; elle ne voulait a aucun prix passer sa gros- sesse dans les mémes condi- tions que la premiere fois; la présence auprés de Louis d'un membre de la famille a la téte froide et aux pieds bien posés sur le sol lui semblait indispensable. Une fois ce détail impor- tant réglé, tout le monde se mit au travail pour organiser Vexpédition. Louis avait de Vambition; il voulait avoir un spectacle complet, comme on n’en avait encore jamais vu. Son sens aigu du spectacle Vaida énormément. I] se rappelait le triste effet pro- duit par des hommes forts de passage, lugubres et soli- taires, qui tordaient quel- ques clous, tiraient sur des chaines, levaient un ou deux haltéres et passaient ensuite parmi les spectateurs silen- cieux tendant la main com- me des mendiants. Louis se sentait d'une autre enver- gure. Il voulut préparer son numéro avec soin et mit au point des tours inédits, dont chacun frappait |’ imagina- tion. Avec audace et s’appu- yant sur ses victoires sur Michaud et Matthes, il fit sa publicité sur le titre de L’Homme le Plus Fort du Monde. Ii devait prouver au cours de sa vie qu’il l’était réellement. A partir de cette idée d’homme le plus fort du monde, chacun de ses tours devait étre plus formidable que le précédent. Tous de- vaient étre inégalables et comporter un défi lancé au public. Quiconque referait des numéros recevrait une importante somme d'argent. La plus grande partie des économies réalisées lors du- séjour a Pointe-Lévis fut utilisée a la confection des costumes et a l’achat de matériel complémentaire. Louis fit peindre les haltéres et fit marquer en gros chiffres les véritables poids. Ce détail devait lui assurer un gros succés. Louis Cyr était ’honnéteté méme; quand il levait un de ses haltéres sur lequel on lisait un poids, ce poids était véritable. Il avait toujours prés de lui, sur l’estrade, une bascule et conviait n'importe quel spectateur incrédulte a venir effectuer lui-méme la pesée des engins soulevés. Il n’en était pas de méme pour la plupart de_ ses concurrents qui annongaient un poids trés souvent fan- taisiste, qu'il n’y avait aucun moyen de contrdler. Louis Cyr apporta a la préparation de chaque nu- méro un soin particulier. Il mit au point le discours préparatoire; il étudia cha- que détail des mouvements et le minutage'des gestes. C’était un véritable artiste qui sut, mieux que quicon- que, mettre en valeur sa force. ’ Louis Cyr possédait aussi un sens inné du public. Tous ceux qui l’ont vu travailler ont été unanimes 4a ce sujet. Quand il s’attaquait 4 un numéro.i] savait prolonger les préliminaires jusqu’a Vinstant précis ot l’audience commengait 4 donner des signes d’impatience. Ayant amené Finstant psychologi- que, il exécutait son numéro. Les préparatifs terminés, on se mit en route. Le train ayant été jugé trop cofiteux et comme en outre la tour- née n’était pas trés ambi- tieuse et passait par de petits villages aussi bien que par les grands centres, on adopta la solution de la cara- vane de charrettes trafnées par des chevaux. ~ C'est Monsieur Cyr Pére qui se présentait le premier avec deux ou trois jours d'avance. Il louait la salle, collait les affiches, vendait les billets et se chargeait de la publicité. L’arrivée de la caravane proprement dite prenait, grace a ce hérault, des allures d’entrée triom- phale. Louis Cyr se tenait dans la premiére voiture, dans un vétement collant et bariolé qui mettait en valeur ses fantastiques propor- tions. Ses longs cheveux blonds, soigneusement bou- clés, flottaient sur ses épau- les. Le reste de ia troupe " suivait. Louis Cyr devait faire beaucoup parler de lui au cours de sa trop bréve car- tiére; il devait accomplir des exploits fantastiques, jamais égalés, qui lui méritérent 4 juste titre le surnom de "Homme le Plus Fort qui ait vécu. Mais il semble que cette premiére équipée, ef- fectuée a l’époque de ses débuts, ait laissé un des souvenirs les plus vivaces, dans la Province de Québec. C’est au cours de cette tournée qu’a la suite d’une mauvaise plaisanterie d’un spectateur incrédule qui avait mis en doute le poids . de son haltére, Louis Cyr se donna pour régle de faire constater par tous ceux qui le voulaient que son matériel avait vraiment le poids indi- qué. Le spectateur en question avait demandé a Louis si ses poids étaient vides a |’inté- tieur. Sans un mot, Cyr s’approcha de lui, le saisit par la ceinture et le leva a bout de bras. — Et toi, mon gars, es-tu vide? lui demanda-t-il. Une autre fois, Louis fail- lit 6tre victime de mauvais plaisantins. I] faisait son numéro dans une grange assez basse de plafond. On avait installé une plate-for- me sur deux chevalets et 15 © gaillards y étaient montés. Louis se glissa sous les planches et tenta de soule- ver le tout: 15 hommes, c’était pour lui un jeu d’en- fant! Quelle ne fut la surpri- se de notre héros lorsqu’il sentit une résistance éton- nante; il poussa comme un sourd, son visage devint cra- moisi... L’assistance éclata de rire. Louis sortit de dessous les planches, demanda aux gars de descendre: ils se tenaient tous le ventre a force de rire. Louis inspecta la plate-for- me: tout était en ordre. La rage le prit. Il fit remonter les gaillards et se glissa de nouveau sous les planches. On allait voir ce qu’on allait voir! Et en effet on vit, ou plutét on entendit: Un effro- yable craquement retentit; -la plate-forme avait littérale- ment sauté vers le ciel, d’ot retombait maintenant une pluie de gravats, de platre et de poussiére. Louis Cyr, stupéfait, avait enfin la clef du mystére: avaient levé les bras et s'étaient arc-boutés contre le plafond, que Louis, dans son effort, avait crevé. La Troupe Cyr avait vo- lontairement limité son acti- vité a la province natale. Partout ot elle passait, c’était un triomphe complet. Mais 1a od le Gélire s’em- para réellement d'un village, ce fut lorsque Louis Cyr et les siens firent leur entrée a Saint Cyprien. Jamais mo- narque adulé ne fut applau- di avec autant de coeur. Toutes les notabilités de Vendroit se portérent a sa rencontre.\Les enfants avaient recu congé et n’étaient pas les derniers a applaudir. Louis ayant an- les 15 gars © noncé que tous les enfants portant le nom de Cyr pourraient rentrer gratui- tement, il n’y eut le soir que des Cyr au village! Mais le bon géant n’en fut pas faché. Il était ému jusqu’aux lar- mes par cet accueil. Il remer- cia ses concitoyens en fai- sant des tours qu'il n’avait encore jamais faits et en doublant le nombre de ses numéros. Le succés de la tournée fut immense; elle ne fut inter- rompue que par un courrier pressant de Mélina, qui était tentrée précipitamment dans sa famille et qui deman- dait a son Louis de venir la rejoindre d'urgence. sok RK CHAPITRE VIII Louis Cyr dans la police de Montréal Laissant le reste de la troupe ramener le.matériel, Louis Cyr se rendit auprés de sa femme. Les deux jeunes gens eurent un entre- tien qui se prolongea tard dans la nuit, et au cours duquel d’un commun accord il fut décidé que Louis cher- cherait un travail sédentaire et qu'il resterait auprés de ~ sa femme jusqu’a la naissan- ce du bébé; car Mélina attendait de nouveau un enfant. Restait a trouver un em- ploi. Une occasion magnifi- que allait se présenter peu de temps aprés. Il n’y avait pas une semai- ne que Louis était auprés de sa jeune femme que le fac- teur du village lui apporta une lettre qui sortait de Vordinaire. Il s’agissait d’une énorme enveloppe de trois pieds de long sur presque deux pieds de large, sur Le Soleil de Colombie, Vendredi 18 Novembre 1977 11 L’homme le plus fort du monde-16 AUX EDITIONS VICTOR-LEVY BEAULIEU: laquelle on avait tracé a la peinture noire l’adresse et ces mots: “A Louis Cyr, UHomme le plus Fort du Monde”. Au dos de I'enve- loppe on lisait: “Expéditeur, Gus Lambert, le plus grand Organisateur du Monde”. Liidée méme de !’enveloppe caractérisait on ne peut mieux son expéditeur. Gus Lambert s’était hissé ala force du poignet jusqu’a une fortune confortable, qu'il ne cessait d’agrandir. A V'époque ot il envoya son énorme message, il était propriétaire de nombreuses tavernes et salles, ainsi que d'un club sportif. Louis Cyr étant devenu un personnage dont tout le monde parllait dans les milieux athlétiques, Gus Lambert n’hésitait pas a lui écrire pour lui proposer de venir discuter affaires avec lui. Louis Cyr accepta avec joie, car il pensait bien que la métropole lui offrirait plus de débouchés que les autres villes et villages québecois. Mais son esprit facétieux ne put s’empécher de jouer un tour 4 Gus Lambert. Son ami Georges Denis connaissait bien Montréal pour y avoir été a plusieurs reprises. I] raconta 4 Louis quiil y avait vu Lambert et que ce dernier passait toutes ses soirées dans les plus luxueux de ses clubs et qu’il s’y tenait toujours dans le méme coin, a une table ou venaient s’asseoir les per- sonnages les plus importants de la ville. Ceci donna a Louis et 4 Mélina l’'idée d’un véritable spectacle. Un jour que Lambert et ses amis discutaient bru- yamment a leur table, les portes de la salle s’ouvri- rent a deux battants et l'on vit surgir une apparition pour le moins étrange. Louis Cyr se présentait vétu d’un maillot de corps collant, qui ne laissait apparaitre que le cou et les mains. Ses che- veux, qui lui tombaient en cascade bouclée sur les épau- les, avaient été coiffés plus soigneusement que d’habi- tude. Dans chaque main, le colosse tenait une énorme haltére et ses bras étaient en croix. Quand il franchit le seuil, se présentant de travers pour pouvoir passer, un silence total se fit dans la salle qui était comble. Les gens se levérent pour voir le phénoméne. Comme indiffé- rent a tout ce qui se passait autour de lui, Louis s’avanca jusqu’a la table de Lambert; et la, sans baisser les halté- res, il fit simplement passer celui qu'il tenait dans la main droite dans la main gauche, et tendit sa main devenue libre au maitre de |'endroit: — Tu m’as écrit de venir, Gus, me voila! Le nom de Louis Cyr vola de bouches en bouthes. Lam- bert donna le signal des applaudissements. Le brou- haha fut énorme. Ayant fait son petit effet, Louis s’installa a la place qu'on lui avait faite a la table d’honneur et, sans facons, accepta de manger un mor- ceau et de boire un verre de biére. II s’agit bien entendu d'une facon de parler, car le verre était plutdt un gallon et l’appétit allait de pair avec la soif. Ce soir-la, Louis ne put parler affaires avec Gus. Jamais ils n’eurent l'occasion d’échanger deux paroles; les gens avaient reconnu Louis Cyr et s’étaient rangés en file pour venir serrer la main du colosse. Rendez-vous fut pris pour le lendemain matin dans un endroit plus calme. A suivre Abonnez-vous au Soleil 1 an: $10.00 Saviez-vous EE LE COURRIER DE LA NOUVELLE-CALEDONIE informait les premiers colons de la Colombie-Britannique qu'il existait un journal en francais es au début de la colonie? s Procurez-vous les exemplaires existants du 11 septembre 1858 au 8 Octobre 1858. ECRIVEZ A: SOCIETE HISTORIQUE FRANCO-COLOMBIENNE AS LE SOLEIL DE COLOMBIE 3213 RUE CAMBIE VANCOUVER, C.B. V5Z 2W3 PRIX: $1.00 + $0.25 pour la poste :