Le Moustique ! ... Pacifique Concours Reine Elizabeth (Suite) L'échelle du temps Certaines langues, comme le francais, désignent par le méme substantif le temps qui Passe et le temps qu'il fait... Et pourtant, il conviendrait d'étre précis pour juger de !'influence du contexte, et de la tension électrique qui emplit la salle lors de certaines sessions. Un candidat soviétique qui gagne dans fa ville ou siége l'OTAN (1951), une premiére lauréate israélienne qui devance un soviétique en 1971 ; en 1985, un lauréat (Nai-Yuan Hu), futur vainqueur, qui joue le concerto d'Elgar au moment méme oti des supporters de football britanniques provoquent, a quelques minutes de a, une effroyable tragédie humaine... Tout cela peut emplir la salle du Palais des Beaux-Arts d'ondes particuliéres dont les traces peuvent se perdre dans les enregistrements. Le temps qu'il fait, c'est ce qui peut faire monter la température sur scéne a 40'C et plus ; faire tomber la veste a un orchestre, sous menace de gréve, faire suinter I'humidité de l'ivoire des claviers. Les " spots " de la télévision, dans les années 70-80, sont impitoyables. Le climat printanier belge - le croira-t-on ? - peut I'étre aussi. Certains finalistes doivent leur échec ou, moins dramatiquement, des accidents sans gravité a cette chaleur, que le disque ou la radio ne rend pas davantage... Le temps qui passe, a nouveau, c'est encore la longueur du concours. Les concurrents arrivés premiers ont une immense résistance : ils sortent d'un mois entier de tension et d'épreuves. Certains autres ont " craqué "en finale, ne récoltant pas la place que leur talent leur promettait. Le mot " épuisement ", en tout cas, revient invariablement dans les souvenirs de lauréats. Mais ce n'est pas tout : pour les premiers classés, la proclamation est annonciatrice d'autres fatigues : les concerts de lauréats se succédent, avec notamment un gala avec orchestre qui constitue l'apothéose de la session, en présence de la famille royale belge. Ensuite, ce sont les concerts que les organisateurs extérieurs s'empressent d'organiser avec les premiers lauréats : ils sont nombreux, et dépassent largement les frontiéres. Le concours, c'est certain, joue du temps. nN Volume 6 - 10¢ Edition ISSN 1704 - 9970 L'Est et l'Ouest Octobre 2003 Si, lors des deux concours Ysaye en 1937 “et 1938, les Etats-Unis étaient restés en retrait, la participation américaine est une réalité dés le premier concours Reine Elisabeth. Et compte tenu de l'enjeu que représente ce concours prestigieux aux yeux des autorités soviétiques, un véritable match s'engage dés 1951. II est en tout cas, malgré ici ou la une dénégation un peu molle, vécu comme tel par le public - que les relations Est-Ouest ne laisse pas indifférent, loin s'en faut - et par les critiques. Dés 1951, le ton est donné. Plus encore qu'avant- guerre, l'attitude, ressentie comme arrogante des lauréats soviétiques et la maniére la plupart du temps partisane dont elle est relayée dans la presse belge n'est pas sans influencer le cours des événements. Leonid Kogan survole I'édition ; de retour & Moscou, il accorde des interviews dans lesquels il ne fait guére preuve de tendresse pour le concours, la reine, la Belgique et sa bourgeoisie. La tension monte sur fond de menaces de guerre - et celle de Corée provoque un choc violent en Belgique - ; il en résultera une absence pure et simple des Soviétiques en 1952. Plus tard, et pour une longue période, les Soviétiques, Oistrakh en téte, se montreront pourtant les plus fidéles soutiens de l'institution, Kogan venant méme siéger dans les jurys en 1971 et 1976 ; et la reine Elisabeth sera |'invitée d'honneur du premier concours Tchaikowsky, a Moscou, en 1958, ce qui ne sera pas sans causer un certain émoi en Belgique... Le match URSS-USA parait d'abord équilibré. Aux vainqueurs américains, Senofski (1955) - dont la victoire devant Sitkovetski fera sensation - et Frager (1960), il faut ajouter Laredo (1959), qui, bien que Bolivien, doit sa formation a I'Américain Ivan Galamian. La victoire de Vladimir Ashkenazy en 1956 est donc bienvenue pour les Russes. Mais dés 1963, c'est un rouleau compresseur soviétique qui se met en marche, et que rien ne semble plus devoir arréter. Michlin, puis Moguilevski (1964), Hirshhorn (1967), Novitskaja (1968), Afanassiev (1972), Faerman (1975), Bezverkhny (1976) ne laissent interrompre leur série que par l'Israélienne Miriam Fried (1971). La déroute américaine est particuligrement cuisante dans les épreuves de violon : en 1967 et 1971, les Etats- Unis ne placent aucun lauréat en finale. Si, dans un premier temps, les médias accordent un intérét presque caricatural aux candidats venus de l'Est - Qui sont-ils ? Que font-ils ? Que mangent-ils ? Combien d'heures travaillent-ils par jour ? - , la fascination s'étiolera progressivement.