UN LIEU QUI EN DIT LONG (Maillardville) Un film d’histoire par Pierre Grenier La validité historique des films et photos d’archives du passé et mémes des images actuelles a toujours été pour certains historiens, douteuse et limitée dans la mesure ot ces images sont elles-mémes des histoires qu’il faut questionner pour véritablement en tirer le plus de vérité possible. Par exemple, plusieurs photos dans mon film montrent les pionniers de Maillardville dans de trés beaux habits. Aussi, pour faire ressortir ce "plus de vérité", je demande a M. Boileau pourquoi cela et il me répond:"C’est ben juste si on pouvait manger, mais lorsque venait le temps de prendre une photo, tout le monde mettait ses plus beaux habits" Les images du passé ne peuvent @étre vues comme un simple reflet du passé, car bien souvent elles ont des contenus ambigus et trompeurs. Elles doivent é@tre utilisées avec discernement dans le contexte approprié. Un exemple parfait: le film "Shoa" sur l’Holocauste. Ce film dure neuf heures et ne contient aucun document d’archives, la parole et la mémoire des survivants et acteurs de ce drame historique suffisent. La réalisation d’un film sur Vhistoire d’une communauté et de son développement pose non seulement des problémes d’ordre esthétique (A savoir: comment raconter l’histoire) mais aussi des problémes concernant lauthenticité et la vérité de lhistoire énoncée. Ici, il faut tout de suite distinguer entre histoire comme narration et Vhistoire comme ensemble des déterminismes idéologiques, politiques et économiques qui régissent la vie des individus et auxquelles ceux-ci réagissent 4 leur tour. Mais l’histoire -celle avec un grand H- ne devient-elle pas humaine dans la mesure ow elle est articulée autour d’un mode narratif? Ne finit-elle pas toujours par nous raconter une histoire? C’est 1A que résidait pour moi le défi cinématographique: "Comment faire une histoire sur l’Histoire de Maillardville" Le Chronographe Printemps-Eté 1987 Volume IV:1-2 La recherche de |’authenticité historique passe a travers un labyrinthe de sources historiques de toutes sortes dont certaines sont plus objectives que les autres omettant des faits ou les distordant parce qu’ils ne cadrent pas bien avec les positions idéologiques des auteurs. Par exemple, le militantisme syndical d’une grande partie de la communauté canadienne-francaise de Maillardville a été omis ou mis en doute dans les premiers écrits sur Maillardville. Une fois les données assimilées, il faut les confronter aux sujets de cette histoire, 4 ceux qui l’ont vécue. Dans le cas qui nous préoccupe, |’existence de témoignages sur bandes magnétiques de personnes décédées me fut d’une grande aide pour débroussailler certaines questions difficiles. Enfin et surtout, il faut se concentrer sur les temoins vivants qui deviennent ni plus ni moins les véritables acteurs du film et de son histoire. C’est alors que surgit la question de la mémoire (faculté qui oublie), une mémoire souvent sélective et évidemment subjective. Certains temoignages viennent corroborer des faits et des événements établis, d’autres viennent les démentir et nous obligent 4 questionner des certitudes et parfois méme notre vision d’ensemble. Chacun a son propre point de vue et celui-ci n’est -il faut bien le dire- qu’un découpage dans une réalité plus large et plus complexe. Mais n’est-ce pas ca la condition humaine? L’histoire est un _ outil de connaissance de homme, mais pas 4 elle seule, soyons sérieux. Et cet outil n’a-t-il pas comme destin de toujours pousser vers des demi-certitudes? Une fois tout le matériel amassé et filmé, il faut faire face au probléme de la mise en scéne dont le montage reste le principal outil. Certes, cet aspect du film est déjd présent au moment du_ tournage, c’est-a-dire dans ce que !’on filme et dans les questions posées, mais l’agencement final se fait au montage des images et de la bande sonore. L’histoire n’est pas chose facile 4 saisir, surtout lorsqu’on croit comme moi qu’il n’y a d’histoire que globale.