A son chevalet. UN PORTRAIT FORT SYMPATHIQUE «Tout le monde a Québec recon- naissaitl’artiste, un homme petit et fréle, qui portait toujours un complet de velours et un chapeau rond en poil de castor. II avait un regard brillant et pergant, un esprit vif, et le don de raconter les histoires. Ses amis étaient pleins d’entrain, bruyants et pittores- ques. Leurs frasques étaient connues de tous. Ses compagnons s’émerveillaient de sa vue incroyablement pergante dans la forét; il pouvait tirer le gibier a une distance de beaucoup supérieure a tous les autres.Les soirées ot il y avait féte a l'auberge voisine, aprés que les musiciens, épuisés par des danses longues et empor- tées, avaient abandonné leurs instruments, lartiste lui-méme sautait sur le plateau et prenaitl’affaire en main, jouant du violon, de la flate, de la guitare ou du piano pour son auditoire enchanté. Le lendemain matin, au moment oi le soleil éclairait 'horizon, il était le dernier parmi les gais lurons a rentrer chez-lui, les tempes battantes et légérement titubant. Tel était Comélius Kreighoff.» Sur ses toiles, les «Habitants» prennent vie, les paysans s’animent, l’hiver étincelle de mille couleurs, et l’incomparable joie de vivre des Québécois éclate. Habitant au manteau rouge. Photo prise @ Québec en 1862. La vente aux enchéres de 100 tableaux de Krieghoff, vente organisée par son ami John Budden en avril de cette méme année, a connu un vif succés et fut, sur le plan commercial, le point dominant de la carriére du peintre. Notman Archives UN PASSE UN PEU EMBROUILLE Les détails sur les origines et I’en- fance de Krieghoff sont parfois contradictoi- res. Des sources officielles citent des faits que d'autres sources tout aussi autorisées viennentnier catégoriquement. Cependant, des dossiers officiels découverts en Hol- lande permettent au moins d’affirmer qu'il ~ est né a Amsterdam en 1815, d'un pére «gargon de café» qui devint plus tard fabri- cant de tapis et qui éventuellement s'inté- _ ressa a la peinture. Sa mére était hollan- © daise. Le jeune Krieghoff passa une partie de son enfance en Allemagne a Dasseldorf et Schweinfurt, en Baviére o@ il fut éduqué. Cependant, on ne sait trop ot il étudia l'art. Certains affirment qu'il regut sa formation artistique € Disseldorf alors que d'autres pensent qu'il partit étudier la botanique a Rotterdam. Quoi qu'il en soit, une de ses aquarelles, datée de 1834, laisse entrevoir I'habileté du futur peintre a croquer les ges- tes. J UNE VIE DE BOHEME... Durant sa jeunesse, Krieghoff voyage a travers I'Allemagne, l'Autriche, l'Italie, la France et la Hollande en compa- gnie d’un ami. En cours de route, les deux jeunes gens visitent les musées et, proba- blement pour subvenir a leurs besoins, pei- gnent. Krieghoff, qui a regu une bonne formation musicale, exerce aussi parfois le métier de musicien ambulant. C’est sans doute son esprit bohéme qui le pousse a émigrer aux Etats-Unis en 1837, oi il s’en- gage dans l'armée américaine. Mais lorsque, un peu plus tard, il rencontre a New-York la trés jolie Emilie Gauthier, une jeune Cana- en compagnie de son pére visiter cette ville, il en tombe follement amoureux. Dés 1839, il I'épouse. ’ Mais c'est alors que les problémes se posent. La jeune femme attend un enfant et le futur papa de 24 ans se trouve cantonné en Floride. Qua cela née tienne, le jeune Krieghoff toujours aussibohéme et fougueux, n’hésite pas a déserter pour rejoin- dre, a Boucherville au Canada, sa bien-aimée Emilie. ILESTNEA AMSTERDAM de son épouse. dienne-frangaise de 15 ans venue © Le Soleil, février 1995 - AS Comélius Krieghoff fut vraiment le chroniqueur de son époque. A travers ses peintures, il a su raconter ce qui faisait la vie de tous les jours de ses contemporains: leurs travaux, leurs loisirs, Jeurs coutumes et leurs traditions. II fut avant tout, Québécois éclate. EN 1815, D’UN PERE, «GARCON DE CAFE ET D'UNE MERE HOLLANDAISE» PEINTRE D Ee Ses Paysage d’ hiver. a UNE VIE DIFFICILE Voici donc les Krieghoff installés au Québec. Mais la vie ne leur fait pas de cadeaux. Leur premier enfant, Henry Emest, né vers le 15 mai 1840, meurt le mois suivant. De plus, le jeune peintre n’arrive pas a vendre ses tableaux, car la riche société de Montréal préfére acheter les toiles de mattres, importées d’Europe, ou encore celles d’Antoine Plamondon et de Théophile Hamel, deux peintres cana- diens dont le style est plus conservateur et plus classique. Alors Krieghoff, pour ga- gner sa vie, donne des legons de mando- line, de violon et de piano. Puis, dans I'es- poir de se faire connattre et de vendre ses oeuvres, l'artiste entreprend avecsa femme toute une série de déménagements: Buffalo, Toronto, Rochester dans l'état de New York, od leur fille Emilie voit le jour, puis enfin Longueuil au : : Québec ot vi- vent les parents ORNELIUS KRIEGHOFF, boa le peintre du bonheur. Nul autre n’a su brosser un tableau aussi vivant des habitants du Québec au XIXe siécle que ce peintre venu d’outre-Atlanti- que. Sur ses toiles, les «Habitants» prennent vie, - Jes paysans s’animent, I’hiver étincelle de mille couleurs, et I'incomparable joie de vivre des ENFIN UNE BELLE CARRIERE MAIS PAS FORCEMENT LE BONHEUR En 1847, Krieghoff rencontre le gou- verneur. du Canada, Lord James Bruce Elgin, qui lui conseille de tirer des lithogra- phies de ses oeuvres. C’est alors le début d'une suite d’événements heureux qui fini- ront par faire connattre 'artiste et lui appor- ter le succés. Mais le bonheur familial n'est pas au rendez-vous. En 1862, son 6pouse quitte le foyer. Plus tard, 4 53 ans, on le retrouve vivant chez sa fille aux Etats-Unis, puis de nouveau au Québec en 1871. De retour chez sa fille au début de 1872 il meurt, terrassé par une crise cardiaque, a rage de 56 ans, regrettant de ne point terminer ses jours dans ce «cher Québec qu’il aimait tant».