Le Moustique ! ... Pacifique A une table de café. Chassagne derriére son petit blanc sec, le buste coupé au ras de son verre. C'était au Lion d'Or qu'il avait rendez-vous ce jour-la. Il y allait souvent. C'était la sans doute qu'il traitait ses affaires un peu louches. Tout le monde savait qu'il était fier d'étre un gros malin et qu'il aimait le dire assez fort. A deux tables de la sienne, on pouvait sans tendre l'oreille 6tre fixé sur les opérations en cours. Une visite au Lion d'Or s'imposa donc. Le patron du café, Firmin Giraudon, faisait de bonnes affaires. Il servait lui- méme ses clients et, la plupart du temps, leur apportait leur verre avant qu'ils n’aient passé la commande. Il savait. Prosper Larrignon par exemple ne buvait que du pernod. Et Lucien Duproux de la biére brune. Chassagne, lui, c'était un ou deux verres de blanc. Ou trois. Firmin Giraudon était aimable et jovial avec les habitués mais se mélait peu aux conversations. Une longue pratique lui avait appris que son métier devait s'accompagner d’une grande discrétion. Peu lui importait de ce qui se disait au-dessus des verres, racontars, plaisanteries grasses, convictions politiques, transactions plus ou moins suspectes, pourvu que les clients qui payaient bien restent fidéles a la maison. Lorsque les gendarmes vinrent questionner Firmin, ils le firent avec une remarquable prudence, [air détaché, comme si tout cela, au fond, était sans importance. Ils ne voulaient surtout pas importuner le patron de ce café ou ils aimaient bien venir de temps a autre. Les questions restérent évasives. Les reponses le furent tout autant. Oui, Chassagne était peut-étre venu le 14 juillet. Du moins Firmin Giraudon le croyait. Enfin il lui semblait quiil avait vu... Mais il n’en était pas sar. Il ne remarquait pas tous ses clients... Avec qui il était? Ah! ca! il ne s'en souvenait pas du tout. Il ne se souvenait méme pas s'il était avec quelqu'un... Volume7 - 6¢ Edition ISSN 1704-9970 Juin 2004 D'ailleurs, a bien réfléchir, il ne savait plus trés bien s'il était venu ce jour-la. Et la veille? La veille... Voyons... Non, vraiment, il ne pouvait dire quand il avait vu Chassagne pour la derniére fois. Qui rencontrait-il? Oh! Tantét l'un, tantét l'autre... Quant a Prosper Larrignon, Lucien Duproux et quelques autres habitués, ils n'avaient rien vu, rien entendu.On se demandait méme, devant leurs airs ahuris, siils avaient connu Chassagne. Devant une telle unanimité dans lincertitude, les gendarmes pensérent que s'ils voulaient continuer a étre bien regus dans ce café, il était plus sage de ne pas pousser plus loin leur curiosité. Aprés tout, qui se souciait de la mort de Chassagne? Il était, par excellence, la créature insignifiante dont la _ disparition n’affectait personne. Mimi elle-méme, passé le premier choc, avait repris sa vie routiniére de célibataire avec un fatalisme qui ne surprenait pas ceux qui la connaissaient, car Mimi... c'était Mimi! A des questions précises que lui posa la mére de Charles Ardelot,- qui était fureteuse comme une pie,- Mimi répondit que pour la corvée du soir elle était plutét contente de n'avoir plus personne dans son lit. Les gendarmes auraient bien voulu rester se reposer, par cette chaleur, dans leur gendarmerie de Landiéres, et se raconter des histoires de gendarmes quiils trouvaient chaque fois désopilantes. Il y faisait frais dans ce grand batiment de pierre prés de la riviére. Un vrai plaisir que d'y jouer aux cartes quand personne ne se _ faisait assassiner. Malheureusement, leur réputation était en jeu. Deux ans auparavant, un vieil homme qui vivait seul avait été tué dans son lit d'un coup de fusil et, malgré tous les efforts déployés, ils n’avaient pu découvrir le meurtrier. Quelques mois plus tard, le méme scenario s’était reproduit dans une maison voisine. L’enquéte n’avait mené a rien. A croire que |'assassin avait monté son coup spécialement pour confondre la maréchaussée. A Ssuivre.