12 Le Soleil de Colombie, Vendredi 17 Février 1978 RR AT TT 30 P’TITES MINUTES avec Mgr Paul-Emile Gosselin Le Conseil de la vie francaise en Amérique Le chanoine Paul-Emile Gosselin, de Québec, a oeuvré pendant quarante ans au sein du Conseil de la vie francaise en Amérique. Il a pris une part active 4 la fondation de cet organisme en 1937, et il a toujours été dans le feu de l’action en administrant le Conseil a titre de secrétaire. Mon- seigneur Gosselin a été continuellement appuyé dans son travail par les deux derniers archevéques de Québec, les cardinaux Villeneuve et Roy. Le Conseil de la vie francaise en Amérique est étroite- ment lié a l’éclosion de la francophonie canadienne, comme le confirment ses propos. Premiers pas Comment le Conseil de la vie francaise a-t-il été fondé? Il a été fondé lors du deuxiéme congrés de la langue francaise, tenu a Québec en 1937. A ce moment-la, les groupes hors Québec songeaient depuis longtemps a avoir un organisme fédératif et, vis-a-vis le refus répété de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal de faire partie d’une fédération, ils se sont dits: ‘‘On va tout simplement créer notre organisme, pendant que nous sommes tous réunis a Québec.” Les membres du congrés, composés de prés de 3,000 Canadiens fran¢ais et Franco-ameéricains vivant tous hors Québec, ont donc adopté une résolution demandant de créer un comité provisoire chargé de fonder une fédération, et c’est ainsi qu’est né le Conseil de la vie frangaise. Est-ce que ce congrés ne réunissait que les francophones et les francophiles du Canada et des Etats-Unis? En 1912, le congrés de la langue francaise, le premier, avait regroupé surtout des représentants des groupes fran- cophones du Canada. En 1937 et 1952, la représentation franco-américaine était plus importante. On y voyait des gens de la Nouvelle-Angleterre, aussi bien que des fran- cophones de la Louisiane et du Centre des Etats-Unis (des milliers de Franco-américains, par exemple, habitaient V'Illinois). On a eu également des représentants d’Haiti, de la Martinique, de la Guadeloupe, composés de ministres et de plusieurs hommes de lettres, deméme qu’une délégation de la France. A chaque congrés c’était méme devenu une tradition que de recevoir un académicien de |’Académie francaise. De fait, seules la Guyanne et une toute petite enclave de |’ Amérique du Sud n’étaient pas présentes, en ce qui concerne les milieux et les iléts francophones des deux Ameériques. Quels objectifs le conseil s’était-il fixé? Je dois d’abord souligner que l’idée de la création du Conseil de la vie francaise a été lancée par deux minoritaires: le juge Jalbert, du Rhode Island, et un Franco-ontarien. Leur objectif immédiat était de garder les liens qui s’étaient formés durant le congreés. Il ne faut pas oublier que ces congrés revétaient un aspect tout a fait particulier, en ce sens que les milliers de délégués, qui venaient en. bonne partie par trains complets des Etats-Unis pour ren- contrer leurs compatriotes, défrayaient toutes leurs dépenses de leur poche, et que cette situation prévalait depuis la tenue des réunions de la Saint-Jean-Baptiste a Montréal, en 1878, 1880 et 1881! On voulait, par voie de conséquence, que les groupes soient représentés au sein de cet organisme par des délégués, et que sgit créée une sorte de fédération morale. Il n’a jamais été question de faire une association panameéricaine. On jugeait qu’une telle entreprise était chose impossible, en raison de 1’étendue du continent et la quasi absence de ressources financiéres. Les premiers pas, comme ceux qui ont suivi, ont donc été faits a partir du bon vouloir collectif des délégués, qui souvent appartenaient aux sociétés Saint-Jean-Baptiste, non pas a partir d’un engagement précis. (Ces textes sont fournis par le Secrétariat d Etat) 40 ans aprés Ou en est-on maintenant? Le tableau a énormément changé. Si je prends les Etats-Unis, le groupe de la plaine centrale américaine est a peu prés disparu. Il reste des ilots, mais il n’y a plus d’organisation et personne ne les représente actuellement au Conseil. Il nous reste cinq représentants en Nouvelle- Angleterre, un en Louisiane, un en Haiti, mais personne en Martinique et en Guadeloupe. Celui qui était le délégué de cette derniére région a di démissionner, parce que chassé de chez lui par l’éruption du volcan qui a recemment obligé des populations entiéres a évacuer une des iles des Antilles. Quant a ia participation des membres, elle s’est af- faiblie. Nous n’avons plus les relations que nous avions avec les sociétés et les associations vouées a la cause de la francophonie, et ¢a se comprend, parce qu’il est assez dif- ficile de maintenir un programme commun, de nos jours, sur une base morale. Ce genre de collaboration a bien résisté pendant une vingtaine d’années, mais... Je pense que ce qui nous a beaucoup aidé, c’est l’Ordre de Jacques Cartier dont on a parlé en mal et en bien, mais qui, a mon avis, a certainement fait beaucoup de bien. Il y a eu des déviations, on peut adresser des reproches a ceux qui en ont fait partie, mais il reste qu’ils étaient trés dévoués. Ils étaient dans toutes les associations: ce qui créait une espéce d’unanimité souterraine. Quand on langait un projet d’envergure, tout le monde embarquait presque automatiquement. Exemple? Le congrés de 1952. Avec $50,000 on a pu organiser un congrés qui a duré 10 jours et qui regroupait prés de 6,000 personnes inscrites. Aujourd’hui, avec $50,000, on ne réaliserait méme pas un colloque. L’Ordre de Jacques Cartier était la-dessous? Tout le monde poussait la roue! Le mot d’ordre était lancé. I] fallait lancer le congrés et il fallait le faire marcher. II en était de méme pour les interventions a Ottawa. A cette épo- que, toutes les sociétés étaient contactées en méme temps, grace aux ramifications de l’Ordre. Le Conseil n’avait qu’a lancer le mot d’ordre et on emboitait le pas tout de suite. Seulement, l’Ordre est disparu et, avec ¢a, l’espéce de lien plus ou moins secret qui reliait tout le monde est tombé. Les sociétés se sont plus ou moins affranchies et ici, au Québec méme, vous avez vu la scission entre les vieilles Saint-Jean-Baptiste et le Mouvement national des Québé- par Guy O’Bomsawin cois. (’a done provoqué une brisure dans les rapports avec les francophones hors Québec. Par contre, il y a eu la création de la Fédération des francophones hors Québec qui, a mon avis, est un événe- ment excessivement important, puisque c’était pratique- ment la premieére fois que les francophones hors Québec se groupaient en association absolument solide. Ils avaient dé- ja tenté l’expérience, vous savez, mais c’est un fait plus ou moins connu, bien que l’espéce d’association ait duré 7 ou 8 ans. Il y a deux ans, alors que les Associations provinciales étaient pourvues d’un bon secrétariat, on a essayé de nouveau de se regrouper et ¢’a réussi avec le succés qu’on sait. La nouvelle Fédération, dont la création répond a un voeu longtemps formulé par le Conseil, introduit une toute autre dimension dans la réalité francophone canadienne, et comme elle peut s’occuper des affaires des francophones hors Québec, notre réle s’en trouve allégé. La FFH@Q et le Conseil de la vie francaise Votre vocation est donc remise en question? Qui. Nous nous réjouissons de l’existence de la Fédéra- tion, communément appelée la FFHQ, parce que notre but était d’amener les gens a prendre en main leur propre sort, en créant ici et la des associations responsables. Nous avons par exemple contribué financiérement et moralement a la création des fédérations francophones de la Nouvelle-Ecosse; nous avons remis pratiquement sur pied la Société nationale des Acadiens; nous avons créé presque littéralement la Fédération de la Colombie- Britan- nique, et nous croyons que tout ¢a a abouti a la fondation de la FFHQ. Le nouvel empire francais d’Amerique — Quelles sont les idées que vous véhiculez encore pour susciter le regroupement des francophones? Actuellement, je pense qu’il y a deux idéologies au Canada francais qui, je peux me tromper, ne s’opposent pas et se retrouvent chez un homme comme le chanoine Groulx _qu’on considére — c’est trés discutable a mon avis — com- me le pére de l’Etat francais. La premiere de ces idées, c’est que le berceau, le centre vital de la vie francaise en Amérique, c’est le Québec. Et plus le Québec sera fort, sera libre de ses mouvements, mieux ce sera. : L’autre idée que le chanoine Groulx a aussi véhiculée, et avant lui bien d’autres dont un homme comme Edmond de Nevers (Boisvert), qui a été le maitre a penser du cha- noine et de beaucoup de nationalistes, l’autre idée, donc, se rattache a l’ancienne conception de l’empire francais d’Amérique, qui couvrait pratiquement tout le Canada — s’étendant au moins jusqu’aux Rocheuses, et qui descen- dait jusqu’en Louisiane du cété est du Mississipi. Plus clairement, cette idée signifie que méme si cet empire frangais n’existe plus politiquement, il persiste sur le plan de la culture et il faut que nous essayions de le con- server, de 1’aider a vivre et a s’épanouir. Bien qu’originale, cette idée connait un regain de vie a cause de la position de la France vis-a-vis le reste du monde francophone. Vous m’avez parlé précédemment d’une remise en question de notre vocation et je vous répondrai ici que le travail de maintien d’un empire culturel francophone en Amérique, situé dans le cadre d’une francophonie mon- diale, entre de plein pied dans nos aspirations. Nous avons donc d’un cété la vision d’un Etat frangais qui soit, au Québec, aussi fort et aussi libre que possible, et d’un autre, cette autre vision d’un empire culturel et spiri- tuel francophone en Amérique. SUITE ALA PAGE | | ; | | ] } | |