a a ae Les illustrés frangais du début du siécle étaient d’un attrait aussi vif que ceux d’aujourd’hui. Si les moder- nes commentateurs de ban- des dessinées en parlent peu, cela tient 4 leur formation. Sous l’influence de la tech- nique des dessins animés et des ‘‘comics’’ améri- cains, ils prisent les ima- ges violentes et crues, od les dialogues, réduits a I’ essentiel, sortent comme des ballons de la bouche de surhommes taillés 4 l’em- porte-piéce. Naguére, les chromos s’alignaient avec logique au-dessus d’un texte suivi, et la mise en page res- tait dans les limites du goat. Mais que reste-t-il, pour illustrer notre propos, des anciens hebdomadaires pour la jeunesse? La Semaine de Suzette, Lisette, Fillette, les Histoires en images, la Jeu- nesse illustrée, Pierrot, le Bon- Point, qu’en reste-t-il? Rien ! Sinon quelques feuil- lets aux teintes passées ta- pissant les coffres des man- sardes. Et peut-étre, mais cela reléve de laconfidence, que leurs souvenirs colorés illuminent un recoin de no- tre mémoire, 1a of luit la nostalgie de notre enfance. Est-ce pour entretenir en nous cette nostalgie que des éditeurs s’avisent aujour- d’hui de réimprimer luxueu- sement quelques albums d’ antan/ Recemment, la Mai- son Gautier-Languereau a ranimé pour les enfants, et surtout pour les parents, l’enfance de Bécassine. Et les enfants d’aujourd’hui ont fait la moue devant la fi- gure candide de la petite Bretonne. Ils préférent Tar- zan ou Astérix, ou bien en- core Tintin. Mais une fois les enfants couchés, les pa- rents se sont penchés sur les belles images. Leur jeu- nesse, A travers les jolis dessins aquarellés de Pin- chon, s’est remise A dan- ser sous leurs yeux. Et cho- se curieuse, les images s’ enrichissaient d’un sens ignoré jadis. C’est que les auteurs d’illustrés d’enfants des années dix, vingt et trente de notre siécle, ont dépeint, inconsciemment sans doute, au fil des aven- tures de leurs personnages, le milieu et les moeurs de l’époque ot ils vivaient. Cau- mery et Pinchon, animateurs l’un pour le texte, l’autre pour l’illustration, de Bé- cassine, dépeignent dans leurs premiers volumes les usages de la province fran- gaise, plus particuliérement de la Bretagne, avant 1914. ‘*Bécassine en apprentis- sage’’ charmera les ama- teurs de beaux livres. Le cartonnage d’un genre an- cien, le premier plat re- couvert d’une Bécassine naive A souhait, voilA de quoi nous remettre en appé- tit d’enfance. En robe verte sous son tablier rouge, la jeune Bécassine se détache; sous les ailes de sa coiffe blanche, avec son petit nez et sa ronde figure, devant un décor de clochers et de maisons. Cela se passe 4 Quimper. Madame Quiquou, en corsa- ge de drap fin 4 broderies, gére le Palais des Dames. La se confectionnent robes ag) be Uf, et chapeaux pour les chate- laines des alentours. Elle accepteé Bécassine en ap- prentissage. L’enfant sera logée et nourrie, et tout en se rendant utile elle ap- prendra un métier. Or Beé- cassine commet gaffe sur gaffe 4 la joie des petites mains et des couturiéres. Elle prend toujours les gens au mot. Si on lui conseille de n’utiliser dans sa cham- bre qu’une bougie, elle la coupe en deux, en plante les morceaux dans une cou- ple de bougeoirs et bradle ainsi la chandelle par les deux bouts. Un jour, enten- dant la maftresse se plain- dre que le linge soit mal blanchi, qu’il faudrait le pas- ser au bleu, elle emprunte un seau de peinture au mar- chand de couleurs et y trem- pe désastreusement toutes les robes. On l’aime bien, cette petite. Mais ses bévues coatent cher. Finaude sous ses balourdises, elle part pour ne plus géner. Et par- tout of elle ira désormais, | les catastrophes se léveront } sous ses pieds, sans jamais lasser ni lecteurs ni victi- mes. Car on aime Bécas- sine. La frafcheur des aquarelles de Pinchon, la finesse des silhouettes, le mouvement leste de personnages cos- tumés A la bretonne, la re- production fidéle des quais de Quimper, et de ses inté- rieurs A bahuts et 4 cré- dences, font de cet album un savoureux document. Isabelle par Jacques Baillaut Encore pales, un peu fré- les, les haricots dans le jar- din d’ISABELLE ont com- mencé 4 montrer le bout du nez. Haricots d’Espagne, qu’une armée en déroute, sans doute prise de panique, avait aban- donnés sur les bords du Pa- cifique, avant de reprendre la mer. Plus d’un siécle a passé et pourtant, en sortant de la terre, ils portent encore un chapeau de torréro. Quand les espagnols ont quitté Vancouver, au large des cdtes de Jéricho, ce ne fut certes pas la fin des haricots, puisqu’au jardin d’ ISABELLE, encore pales, un peu fréles, les haricots d’Espagne montrent le bout du nez chaque été. ISABELLE peut 6tre enten- due 4 1l’émission ‘‘Du vent dans les voiles’’ présentée par Serge Arsenault du lundi au vendredi-4 7 h, sur les ondes de CBUF-=FM, 97.7 Vancouver et le dimanche 4 8 h 33 au réseau national. Danse macabre par Jennifer Lulham. A U.B.C., la saison thé- atrale d’été démarre avec ‘*Terminal’’, piéce-montage congue par ‘* The Open Thea- tre’’ de New York. Le ‘sujet en est la* mort et nos préjugés A ce propos, traité dans un style impres- sionniste et sans humour. La scéne ressemble 4 une salle d’opération, ou A une morgue. Contre le noir des rideaux, le fer blanc d’un lit roulant, des civiéres as- symétriques, et sur le sol un grand cercle blafard com- me un oeil mort. Evidem- ment, nous n’allons pas nous divertir. C’est une invoca- tion des morts qui dégoftte et qui ennuie 4 la fin. D’abord, on entend un bat- tement sourd qui se déplace dans la salle. Un coeur hu- main? S’y ajoute un dégouli- nement. Est-ce de l’eau? Du sang ? L’ambiance an- goissante d’un hdpital est créée dans nos imaginations. Petit 4 petit, les personna- ges apparaissent, jouant sur les instruments : tambour, tambourin et clochettes. Ils se faufilent entre les spec- tateurs pour monter sur la scéne. Les cris, les plaintes et les grognements remplis- sent nos oreilles. Avec une danse frénétique, ils cher- chent 4 invoquer les morts. Hommes et femmes sont tous habillés en blouse blanche d’hdpital. Pendant les dix premiéres minutes, il n’y a point de dialogue. A mon avis, la danse dure trop longtemps. Ensuite, on joue plusieurs jeux de la mort. Un des plus déplaisants est lamort d’une femme en couches, pendant que les autres s’occupent A manger, A uriner, etc, sans faire attention A son agonie. Scéniquement, ‘‘Le juge- ment’’ est trés frappant. St Pierre (ou Dieu) est assis sur un trés haut escabeau en bois blanc, son livre de noms reposant sur ses ge- noux. En bas, rampent les mourants dans une ronde continue, comme la fuite aveugle des lemmings vers l’océan. Le seul moment de détente est la démonstration de ma- quillage d’un mort, et cela doit beaucoup a4 ‘‘The Loved One’? d’Evelyn Waugh qui est infiniment plus spirituel. Franchement, la piéce est ennuyeuse et j’ai failli sor- tir (chose trés rare). La direction et le jeu en sont la cause : il n’y a pas assez de variété vocale, trop de volume et pas assez de flexibilité, cela caractéri- sant les acteurs canadiens, en général. Pourtant, il faut mentionner Elaine L 00, jeu- ne asiatique, qui est €mou- vante dans une confession plaintive. Mais, qu’apporte cette piéce au public?A mon avis, rien. Peut-&tre, est-ce un bon exercice pour les ac- teurs, mais il faut aussi con- sidérer les spectateurs. Qui veut aller au théAtre pour étre dégonté ou ennuyé ? Et cette tendance morbide ne se limite pas uniquement aux piéces de théatre, mais fleurit aussi au cinéma. ‘¢Weekend’’ de Godard est un exemple récent du genre sadico-pessimiste et on peut en nommer beaucoup d’au- tres. Ot sont les écrivains et les metteurs en scéne ayant foi en la race humaine et qi nous aideront 4 vivre ; Aujourd’hui,le soleil brille! Vil, LE SOLEIL, 16 JUILEEP-1971 ow