— L’argent ? — Ne me poussez pas 4 croire 4 votre cupidité. — Non, pas réellement ! II s’agit 1a, tout de méme, d’une stimulation qui émeut pas mal d’individus. — Je ne vous donne pas tort, cependant ce n’est certainement pas |’ argent qui a poussé ce chauffeur 4 me molester ; je pensais plutét a la religion ou a la politique. — Je ne peux pas imaginer ce gars vous démolir en croyant vous bénir ou avoir confondu rosaire et rossée ? Pour un zélote, il aurait eu des argu- ments frappants. — Non, certes, pourtant songez que les promesses de |’Eglise peuvent aider 4 supporter tous les malheurs d’une existence terrestre. Voila la raison pour laquelle le doute n’a pas de place dans la rédemption — Il vous diabolisait ou quoi ? — Oui, d’une certaine maniére ; la religion est un exemple de conviction dangereuse quand elle est poussée a |’extréme, mais il y en a d’autres. Disons, d’une maniére plus générale, que la conviction et la ténacité sont les outils essentiels de la réussite. Si vos convictions ne sont pas totales, si vous n’étes pas assuré que vos idées sont pleinement justifiées, vous ne franchirez pas tous les obstacles dressés sur le parcours que vous vous étes tracé. Vous échouerez nécessairement. Les hommes rechercheront donc les certitudes les plus absolues. Le fanatisme est un moteur puissant de la réussite et les démocraties se montrent fragiles face 4 cette volonté. Le serveur, qui nous apporte le second cognac, ne semble pas plus rassuré par ce qu’il entend. — On ne peut cependant pas se laisser aller a l’extrémisme ? — Exactement ! Vous comprenez 4 présent pourquoi les étres vivants et principalement l’homme, alourdi en plus par sa conscience, sont placés devant un choix difficile et que la vie, en général, est et restera toujours un cheminement périlleux entre l’échec et le maximalisme. Le téte-a-téte que je révais d’avoir tout a l’heure en compagnie de cet homme impressionnant, je ne l’imaginais pas tourner de la sorte. II aurait sans doute mieux valu l’emmener A |’hépital et demander aux médecins de vérifier si ce coup 4 la téte ne lui avait pas ébranlé la cervelle. Des gouttes de sang lui coulent du nez et, a présent, il a le visage compléte- ment tuméfié et violacé. Cependant, il n’en est pas moins totalement em- porté par son sujet ; l’alcool doit sans doute endormir la douleur sans trop affecter ses facultés de langage. Je comprends a présent pourquoi la phi- losophie n’a pas grande presse auprés du public : il en faut des phrases pour expliquer un coup de poing ! 13