Le vendredi 20 juin 1997 3 h qu’on la aimé! Lui qui a chanté, supplié a genoux qu’il vou- a 6 crié, lait de amour. Tous ceux qui ont assisté au spectacle de Robert Charlebois samedi dernier au Festival d’été, organisé par le Centre culturel francophone de Vancouver, en sont encore — plus amoureux de la _ langue québécoise, d’un artiste qui trafique les images de chanteur populaire, de rockeur énergisé, de gars ben ordinaire, en une béte de scéne incroyable, se donnant avec une immense repartis générosité. Avec plus de 30 ans de carriére, Charlebois sait autant faire vibrer foules. Il «trippe» quand il monte sur les les planches et fait «tripper> son auditoire. Celui qui a donné de sa fougue a la musique québécoise, régalé les baby-boomers avec I’Osstidcho (anti-spectacle mélant [hu-. mour et la musique rock) dans les années 1970 et par la suite avec les chansons rythmées et funk, ne donne aujourd’hui que dans un seul genre: le style Charlebois. Le Soleil: Fraichement arrivé de Californie, ami de Frank Zappa, ayant tourné pour Sergio Leone, vous avez toujours aimé la céte ouest américaine. Comment se porte la création musicale la-bas? Robert Charlebois: J'ai trouvé que l’énergie est basse. Je pense que c’est mieux ici, ou i Seattle. C’est triste parce qu’a San Francisco, ils jouent aux vieux hippies. Mais les hippies, eux, faisaient ga pour étre modernes. Ils faisaient pas ca pour étre rétros. Quand tu vois les similis Elvis, les gros cheveux et les pantalons a pattes d’éléphant, ga donne envie de pleurer. L.S.: C’est quoi pour vous alors la modernité en musique? R.C.: La modernité c’est chercher, découvrir et toujours explorer. Méme Bing Crosby, qui chantait les chansons quwon appelle rétros aujour- @hui, ou méme Frank Sinatra, ils faisaient modernes. Beau- coup de jeunes font de la musique style seventies. Je trouve pas ga correct. Ca fait rien avancer. Nous autres en 1970 quand on faisait des chansons psychédéliques, comme Lindberg, on faisait ga pour étre modernes. J’aime bien le rétro, mais je trouve que ca fait pas avancer les choses. L.S.: Dans votre démarche musicale personnelle, vous avez toujours essayé d’aller de Pavant? R.C.: Non. Je Vai fait quand javais 25 ans et un moment donné, le temps nous rattrape. Moi, ce que je veux faire, c’est des choses fortes et émouvantes, mais pas néces- sairement néo. Parce que ma révolution je l’ai faite 4 25 ans. On trouve une fois sa grande vérité et aprés on devient, malheureusement, académique. Moi, je fais du Charlebois. Je me mettrai pas & faire du rap ou du techno-pop. J’aurais lair d’un vrai fou. L.S.: paroles de chansons est trés important? R.C.: Absolument. Quand je ne les fait pas moi-méme, jessaie d’étre exigeant. Et je collabore toujours avec mes paroliers. Méme quand je ne Le choix de vos signe pas mon nom, que ce soit Coluche, Marie Dabadie, je travaille toujours avec eux sur les textes. L.S.: Avez-vous d’autres projets de collaborations avec de nouveaux paroliers? R.C.: Non, pas vraiment. Jaimerais beaucoup me remet- tre sérieusement &l’écriture. Je n’ai pas écrit beaucoup depuis 20 ans. Peut-étre 2 ou 3 chansons par album. — Jai essayé de faire le tour de la planéte et je me suis demandé ce qui m’intéressait le plus. Le cinéma, non. Je n’aime méme plus de bons films en tant que spectateur. Ce qui m’intéresse c’est la chanson, la chanson et encore la chanson. Et la biére, bien sar. LS.: En tant que brasseur de biéres vous avez combien de marques maintenant sur le marché? R.C.: en ai créé 8 en 5 ans. C’est beaucoup. Je veux me rendre a 20. L.S.: Elles seront distri- buées seulement au Québec ? R.C.: Non, partout. Aux Etats-Unis, en France, en Suisse, en Belgique, en Italie, en Angleterre. Le pire pays, c’est le Canada. On a plus de facilité & vendre notre biére a Chicago qu’é Toronto. Parce quici c’est les gros brasseurs qui contrélent le marché. C’est une révolution & finir. Et moi, je ne lacherai pas. Je vais étre 1a, jusqu’a ma mort. L.S.: Vous beaucoup donné en qu’entrepreneur? R.C.: J’ai mis beaucoup de temps, d’énergie, d’imagi- nation et d’argent. Mais maintenant c’est plus facile. Jai un trés bon opérateur, André Dion, en qui j’ai entiérement confiance. J’y vais les yeux fermés. La confiance, c’est essentiel. Que ce soit en musique, en affaires, la con- fiance et la passion ont toujours été les deux mots clés de ma vie. L.S.: vous étes tant Quelle passion, choisiriez-vous, le commerce: de la biére ou la chanson? R.C.: Je ne peux pas choisir. J’ai besoin des deux maintenant. J’aime le cété entrepreneur-industriel. —_ Je trouve qu’il y a dans ce milieu- la des personnes qui ont plus de coeur que les artistes. Pendant 30 ans, je n’ai connu que des artistes. Ce sont des personnes avec des gros ego, des gros nombrils, Ce ne sont pas les gens les plus intéres- sants dans la vie. Ce qu’il font est peut-€tre plus intéressant, mais quand on regarde de prés, c’est tout. LS.: Vous avez recu l’an dernier, la médaille de l’Aca- démie frangaise pour l’ensemble de votre oeuvre. Vous étes connu autant au Québec que dans toute la francophonie, qu’est-ce que Robert Charlebois aimerait maintenant accomplir dans le monde de la chanson? R.C.;: Je suis convaincu que je n’ai pas encore fait de grandes chansons. Je n’ai pas encore fait une chanson qui a fait le tour du monde. L.S.: Vous aimeriez étre connu internationalement? R.C.: Non, pas du tout. Mais j’aimerais faire une chanson qui toucherait le plus de monde possible. Il y a deux facons de rejoindre les gens: la méthode puante, celle qui va utiliser de Pargent pour faire un hit ou comme Jean-Jacques Goldman, sa préoccupation pour toucher le plus de gens possibles, avec un théme comme la mort, par exemple. Alors, je veux faire une chanson qui pourrait émouvoir lunivers. LS.: Vous ne considérez donc plus de _ frontiéres culturelles? R.C.: Moi, j’ai fait mon choix. Sinon, ¢a n’a plus de fin. C’est la francophonie. Jessaierai pas de chanter en anglais. Je voudrais bien vendre ma biére aux Améri- cains, par exemple. Si je ne peux pas battre Rimbaud au niveau de la poésie, je peux sirement le battre au niveau du commerce. LS.: Pourquoi le titre Le Chanteur masqué pour votre dernier album? R.C.: Parce que chaque chanson est un peu traitée comme un masque. Le mas- que c’est les attitudes, les facettes dela vie. On a tous plusieurs facettes. On a des cétés sublimes, démoniaques. La vraie, vraie raison, est que Coluche voulait qu’on invente un chanteur masqué. Un personnage qui serait apparu partout ou j’aurais été: les émissions de télé, en spectacle. Coluche voulait faire la mise en scéne, mais aprés ¢a, il est mort, donc le projet n’a pas fonctionné. J’avais oublié cette chanson et en choisissant les piéces pour l’album, je suis retombé sur celle-la. C’était du temps ou Coluche et moi on était voisins en Guadeloupe. Loin de toutes les conventions, une vie trés simple. Moi j’ai connu des facettes. de Coluche trés différentes. C’est trés cher & mon coeur, peut-€tre qu’un jour j’écrirai sur lui. L.S.: Qu’est-ce que vous voulez apporter & votre public lors d’une performance? R.C.: De Pamour. Aimé, et étre aimé, c’est la base de la chanson. Jen reviens pas quand j’ai devant moi des francophones qui viennent me voir et m’entendre. Je veux leur donner une belle soirée et qu’ils repartent chargés a bloc. Ca, c’est le bout de la vie. PROPOS RECUEILLIS PAR JOHANNE CORDEAU Photo: Pierre-André Sonolet