—NfoRmMATION Le Soren pe Cotomsie, venprep! 27 aott 1993 - 3 Suite de la Une en regardant au sol. “Tiens, tiens. Viens ici”, lance-t-il A un client qui sort des toilettes. “As-tu de la drogue sur toi ce soir ?” Visiblement habitué, letype hausse les épaules et se laisse fouiller sans rechigner. Rien. “C'est important de faire le tour des bars, demontrer que la police est présente”, explique Randy en ressortant dans la rue. “Nous connaissons les trafiquants du quartier. Beaucoup sont condamnés, passent quelques mois en prison et reviennent ici. Mais nous avons pas mal de moyens pour savoir ce qui Se passe a l’intérieur des bars et des hotels”. 20h55. “How are you, officer ?”, lance une prostituée, tout sourire, 4 Randy qui répond Profession : agent double d’un signe de la main. “Elle me connait, comme beaucoup de gens ici maintenant”, commente-t-il. Les deux gendarmes passent saluer un commergant chinois du quartier. “C'est un ami, il nous renseigne sur les trafiquants”, m’expliquent-ils. Apercevant un barbu dune quarantaine d’année, Randy Vinterpelle gentiment. “C'est un reporter francais : tu vas lui expliquer comment tuvends V’héroine”. David, 39 ans, me prend a part et m’explique qu’il vend la drogue pour subvenir a sa propre consommation. “Je la cache dans le coin”, indique-t-il, évasif. Quelques métres plus loin, Randy demande a un passant qu’il reconnait de montrer les traces de seringues sur ses avant-bras. En souriant, le type exhibe des «Vancouver est une des principales portes d’entrée pour le marché américain» Le Soleil : Quelle est la situation dumarché dela drogue aujourd’hui a Vancouver? Paul Nadeau : Le trafic est sans doute croissant car on observe de plus en plus de cas de saisie. Récemment, nous avons saisi 89 livres d’héroine 4 Vancouver, ce qui représente une quantité incroyable. Plusieurs enquétes ont établi que Vancouver et la céte ouest étaient utilisés comme une porte d’entrée pour atteindre le gigantesque marché américain. La plupart des saisies dans la région conceme la “Blanche chinoise”, qui vient d’Asie, en majorité du Triangle d’or - Thailande, Laos, Birmanie. Elle est purifi¢e la-bas, dans des laboratoires clandestins et arrive ici presque pure, 4 90%. Dans la rue, elle est vendue a 5, 10 ou 20%. Il y a une véritable économie de la drogue; avec toute une chaine de distribution. A chaque étape, L’héroine est coupée, jusqu’a étre vendue aux toxicomanes. Pour les ‘gros trafiquants, c’est un business comme un autre. La cocaine arrive également par lamer ou par Montréal, en provenance d’Amérique Latine. Le hachisch, lui, provient surtout d’ Afghanistan et du Pakistan. Les zones de production déterminent les fili¢res : asiatiques pour |”héroine, Latino-américaines pour la cocaine. - Quels sont les cours aujourd’hui dans la rue ? - Une dose d’héroine est vendue en moyenne 35 dollars, une dose de cocaine 50 a 60 et quelques doses de hachisch 20 a 25. - Comment la drogue entre-t-elle sur le territoire canadien ? - Les bateaux débarquent souvent leur cargaison, souvent cachée dans des containers, dans des coins trés isolés de la céte. Il arrive qu’ils cachent la cargaison pour revenir la chercher plus tard. Parfois, le transfert a lieu d’un bateau a 1’autre, en mer. I y a quelques semaines, nous avons saisi 11 tonnes de haschich sur un cargo entre Port Hardy et Prince Rupert. C’est la plus grosse saisie dans l”histoire de la cite ouest. - Quels sont les méthodes de travail de la section anti-drogue? - Nous recevons de |’information, l’analysons et essayons d’accumuler des preuves. Les techniques auxquelles nous avons recours, ce sont les informateurs, les filatures, les écoutes électroniques. Parfois la chance. C’est souvent trés long. 80 4 100 membres de la GRC travaillent au sein de la section anti-drogue de Vancouver, la plupart sur les cas d’importations. Il faut ajouter bien sir la police de Vancouver, qui travaille sur le terrain pour les cas de possession simple. Notre objectif est d’arréter la drogue avant qu’elle n’ arrive ici. Mais on fait ce qu’on ‘peut avec ce qu’on a. Ce n’est pas réaliste de penser qu’on peut tout arréter. Tant que les gens consommeront de la drogue, elle entrera. C’est pour cela que la GRC met l’accent, par exemple, sur la prévention dans les écoles. Nous travaillons aussi fréquemment avec la police des Etats- Unis et les polices du monde entier. Au sein du corps policier, a travers le monde, il y a un sentiment commun. Peut importe le lieu of 1’on arréte les trafiquants pourvu qu’ils soient arrétés. -Dansle quartier de East Hastings, et notamment sur Pigeon’s Park, lasection anti-drogue connait les trafiquants. Vous pourriezfacilement arréter tout lemonde. - Cela arrive. Ils passent alors tous devant les tribunaux qui les condamnent pour quelques mois. Mais lorsqu’ils sortent de prisons, ils considérent que cela vaut la peine de recommencer a prendre le risque. C’est un monde totalement différent. Leur but primordial dans la vie, c’est de trouver de la drogue. - On peut étre surpris par la relation qui existe entre trafiquants et policiers... C’est vrai qu’entre le corps policier et les trafiquants, il y a un certain respect. Parfois on les attrape, parfois on ne les attrape pas. —_- Propos recueillis par Frédéric Lenoir marques rouges et boursouflées qui courent le long des veines. 21h20. Un parking derriére East Hastings. Au volant de sa voiture a l’arrét, un jeune homme fume tranquillement du hachisch. Interpellation immédiate : “section anti-drogue !”. Trés rapide, mais calme : fouille, contrdéle des papiers, inspection de l’automobile. ”C ‘est seulement un Joint, je vous jure que je ne suis Pas un dealer”, explique-t-il aux deux gendarmes qui étudient minutieusement ses papiers. “Parce que tu es sympa, on va te laisser”, lui annonce soudain Randy, presque amical, aprés avoir vérifié par téléphone qu’aucune charge criminelle ne pesait sur lui. La tournée des bars du quartier se poursuit. A chaque fois, le méme scénario. A |’intérieur du bar Mintos, Randy tombe sur une vieille connaissance. “Ressievient détre libéré aprés quelques mois en prison. C’est un trafiquant notoire d’héroine” ,explique-t-il. En maugréant, Ressie V., la cinquantaine fripée, se laisse fouiller. Rien. “Z/ est trés rusé : il n'a jamais la drogue sur lui”. “Too much F... cops !”, lance un type par derriére. Avec vigueur, Randy empoigne |’ auteur delaréplique. “Tuviens d’insulter un gendarme, j'ai bien entendu : tu vas déguerpir sur le champ !”, lance-t-il en poussant avec force le type dans la rue. “C’est tres important de se faire respecter”’, commente simplement Randy, avant d’ajouter : “le véritable risque, pour nous, c’est d’étre piqué avec une seringue séropositive. J’ ai fait plusieurs fois le test”. 21h45. Retour au Sunrise Hotel. Une patrouille de police en uniforme vient d’arréter un Salvadorien en train de dissimuler une “spic-ball” - une dose de cocaine de la taille d’un chewing- gum enveloppée dans du plastique - dans sa chaussette. Un de ses compéres, vite maitrisé, en a profité pour frapper du poing un des policiers. “Souvent, les trafiquants placent plusieurs spic- balls dans leur bouche. S’ils sont pris, ils avalent le tout et le récupeérent ensuite”, explique Randy: Au cours de l’arrestation, un homme d’une trentaine d’ année vient échanger quel ques mots avec Randy. “C’est un informateur”, dit ce dernier. “J’ai quatre informateurs réguliers. Je les recrute parmi les trafiquants de la rue, en échange d’une remise sur un délit mineur ou d’un peu d’argent. Parfois, on me donne des informations uniquement pour régler des comptes.” 22h10. Sur Hastings, Randy interpelle un asiatique dune trentaine d’année. En le fouillant, il trouve un canif et quelques — comprimés de Vallium. “Ju sais que ces engins sont absolument: interdits dans le quartier. Je garde ton couteau, mais la prochaine fois, attention a toi !”. “Nous voulons a tout prix éviter des violences graves”, explique ensuite Randy. “Il ne peut rien t’arriver de vraiment sérieuxici”, assure Ranky, un vendeur d’héroine de 35 ans qui aprés avoir passé six mois en prison cet hiver est revenu dans le quartier. “J’aime la drogue : pour pouvoir I ’utiliser, Je dois la vendre” 22h30. Ciros Pub. Attablé prés de l’entrée Randy, 39 ans, devenu toxicomane il y a quelques années, aprés que sa femme |’ ait quitté. Aujourd’hui, il sert d’intermédiaire. En vendant Phéroine et la cocaine, qu’il cache sur lui, il gagne 300 a 400 dollars par jour et double sa mise. “Je suis déja allé en prison : Ca fait du bien, capermetde décrocher”. “C’est un chic type, il fait bien son travail”, ajoute-t-il en montrant Randy Macquart du doigt. A la sortie du pub, un homme, mal inspiré, propose a Donna d’acheter une carte d’identité. Aprés l’avoir fouillé deux gendarmes laissent le type repartir, non sans lui avoir confisqué une paire de ciseaux tranchants. 23h15. Bureau delasection anti-drogue sur Main. Des tiroirs de fiches vertes sur les trafiquants, notamment ceux croisés au cours de la soirée. Tout y est répertorié. Dans un placard, des pastiches et des perruques utilisés par les gendarmes pour se déguiser. Dans un autre, une collection de briquets évidés, d’aérosols creux et autres boites de conserves maquillées qui ont servis a dissimuler de la drogue. Randy échange quelques mots au téléphone avec une équipe qui surveille depuis quelques jours - une maison d’du entrent et sortent des _ trafiquants. “Nous procéderons aux arrestations lorsque nous aurons accumulé suffisamment de preuves”, explique-t-il. 23h40. Feux éteints, Randy et Donna sont postés dans leur voiture sur le parking en face de Pigeon’s Park, sur Cordova et Hastirgs. Autour des bancs de Pigeon’s Park, des groupes . 00h30, East Hastings : quatre sachets de poudre blanche. s’affairent. “Parfois, pour repérer les trafiquants, nous allons acheter de la drogue”, raconte Randy. Unevoitures’ arréte sur le parking. Le passager en descend, file vers Pigeon Park, discute avec un type et revient rapidement a la voiture. “Voila, le dealer va venir”, lance Randy. En effet, une silhouette s°avance. L’échange est rapide. Les deux gendarmes bondissent, mais le dealer est plus rapide. Dans |’automobile, deux jeunes de 21 ans, qui ont acheté pour 12 dollars de haschich. Vérifications d’usages. Ilsrisquent — 200 dollars d’ amende, etun dossier criminel. En échange de la promesse d’informations, Randy les laisse filer. Toujours sur le parking, un homme vient voir Randy et lui fournit des informations sur des ventes importantes d’héroine. 00h10. Randy discute au téléphone avec son supérieur. La nuit est calme. “Ce soir, on va pouvoir se coucher t6ét, le chef m’a dit que je pouvais arréter. On va faire un dernier tour”. 00h30. Devant le Ciros Pub, sur East Hastings, Randy interpelle un asiatique qui discute avecune femme. Dans un briquet évidé, quatre petits sachets de poudre blanche. L’homme est arrété, menotte aux poignets. Randy glisse un peu de poudre dans une pipette. Le test de Field. Le liquide vire au bleu. “Coke ”,dit-il simplement. Valeur de la prise : 100 dollars. La police arrive sur les lieux. L'hommedevra- se présenter devant le juge dans- les jours qui suivent. “Bon, maintenant, c’est le moment de la’ paperasse” Jance Randy. 01h20. Bureau de la section anti-drogue. Randy et Donna remplissent les derniers papiers. “Ce que j'aime dans ce métier, c’estle sentiment d’aider les gens etd étre utile. J ‘aime aussil’action etle travail avec les informateurs, raconte Randy en rangeant ses affaires. “Mais je ne peux le faire que parce que, des je rentre chez moi, j arrive a tout oublier “. Frédéric Lenoir | Aja