6 Le Soleil de Colombie, Vendredi 15 Juillet 1977: par Guy O’Bomsawin Cette entrevue a été accordée au début de 1976 4 la Nouvelle-Orléans, en Louisiane, alors que Mme Lucette Chambard, de France, vient d’6tre élue a la présidence de la Fédération internationale des professeurs de francais. Elle a été publiée dans “Les cahiers du bi- linguisme” d’avril 1976, une revue qui était préparée par le Secrétariat d’Etat 4 Ottawa. Bien que n‘ayant disposé que d’une dizaine de minutes durant lesquelles les membres de la FIPF (Fédération internationale des professeurs de francais) venaient la féliciter de sa nomination, cette femme aux cheveux poivre et sel, d’allure austére derriére ses lunettes délicates 4 monture noire, a accepté de s‘as- seoir et de répondre 4 quelques questions relatives 4 la Fédération, qui regroupe des enseignants du fran- ¢ais langue maternelle, langue seconde et langue étran- C. Du B.: Quelles sont les principales inquiétudes des _profes- seurs de francais? Mme Chambard: Je crois que dans le mon- de entier il y a a I’heure actuelle deux préoccupa- tions majeures. L’une qui est commune aux professeurs de francais, langue maternelle, langue seconde et langue é- trangére, et qui est évidem- ment la qualité de la lan- gue, et l'autre qui, tout en étant commune a tous, touche trés trés directe- ment, et jusque dans leur emploi, les professeurs de francais, langue étrangére, dans un grand nombre de pays; cette derniére est le recul assez important de I‘en- seignement du francais de- vant l'impérialisme de la langue et de la culture anglai- se. Ce que nous essayons de promouvoir dans ce contexte, tout en veillant au maintien de la qualité de lta langue frangaise, c'est laccés a une certaine forme de culture, qui est une cul- ture ouverte, une culture cri- tique, le genre de culture qui est véhiculée en général par la pensée et la littérature d’expression francaise. C. du B.: Est-ce que les moyens de diffusion de ta culture fran- gaise, de méme que les méthodes d’enseignement ne vous favorisent pas davantage que dans le passé? Mme Chambard: Bien sir, et je suis tout a fait en mesure d'‘en témoi- gner parce que je travaille depuis déja un certain nom- bre d’années au Centre in- ternational d'études pédagogi- ques, ainsi que dans le cadre de la coopération fran- co-québécoise. — Maintenant. nous sommes heureux de constater que certains gou- vernements mettent 4 la dis- position de l’enseignement du francais des moyens techni- ques dont nous ne disposions pas il y a quelques années. Sur le plan humain, je dois souligner également que le maintien du francais comme langue étrangére n’est plus ‘ seulement assuré a travers le monde par des professeurs francais, puisqu’il existe pré- sentement une reléve québé- coise et mauricienne. Et ce telais de la France par les pays francophones est une chose importante. C'est une dimension en outre tout a fait capitale de |l’action de no- tre Fédération dont le caractére, loin d’étre impé- rialiste, a plutét I’allure d'une tentative d'entraide franco- phone. Care Sy Comment percevez-vous la constante menace de |’angli- cisation? Mme Chambard: Je ne ferai pas de futurolo- gie, parce qu’en ce domai- ne il y a toujours deux hypothéses divergentes. La chose qui me paralt cer- taine,~c’est que ce qui nous domine et entrave l’action de tous les eniseignants, diail- leurs je ne pense pas seulement aux professeurs de francais, c'est l’'emprise technologique liée 4 un certain mode de vie, & un certain mode -de civilisation des pays déve- loppés. A ce sujet, je crois que nous ne devrions obéir qu’a un seul mot d’ordre: professeurs de tous les pays, unissons-nous! C. du B.: Est-ce 4 dire que les. profes- seurs travaillent avec de moins en moins de motiva- tion? Mme Chambard: Eh bien justement, il y a quelque chose de presque mi- raculeux! Les professeurs sont toujours motivés, et les trois journées de ce congrés, & mon avis, viennent de le montrer vraiment. C'est une chose qui m’‘émerveille sans cesse de voir comment des enseignants qui sont quel- quefois isolés, quelque part en Afrique, ou en France par exemple, sont toujours NSA «Bt vogue la galere! Nos ancétres possedaient le don de baptiser les endroits. ll y a beaucoup de répé- titions parmi les noms d’en- droits au Canada mais nos ancétres ne manquaient pas d‘imagination pour autant. If en a fallu pour nommer Grand Bruit, Terre-Neuve; Main-a-Dieu, Nouvelle-Ecosse; Toutes Aides, Manitoba; Pou- ce Coupé, Colombie-Britanni- que; et le Lac Travaillant dans les Territoires du Nord- Ouest! Et ce ne sont pas des tra- ductions de noms anglais qui, soit dit en passant, sont tout aussi amusants, mais des noms bien francais comme il en pullule dans presque toutes les provinces et les territoi- res, C’est au Québec, évidem- ment, qu’on trouve le plus grand nombre de noms d’en- droits étrangers ou amusants en francais. On peut méme affirmer que les pionniers québécois ont poussé I’amour ou le respect de la religion a S’extréme. Tous les saints ont été descendus du ciel pour hono- rer plus de 600 endroits dans la Belle Province. La liste des municipalités du Québec se lit un peu comme un annuaire télépho- nique avec ses 15 Saint-Jean, neuf Saint-Pierre, huit Sainte-Anne et Saint-Joseph et sept Saint-Louis, Sainte- Marguerite et Saint-Paul. De plus, il y a 23 Notre- Dame y compris Notre-Dame- de-Ham et Notre-Dame-de Stanbridge. Vous en voulez d'un goit céleste? En voici d'autres. On croirait feuilleter le caté- chisme complet au moment de consulter la carte routiére du Québec et d’y lire I’Annon- ciation, La Visitation, La Pré- sentation, La Providence, La Conception, La Rédemption, L’Assomption, L‘Ascension et la Résurrection et on peut compter également sur Ange- Gardien, Précieux-Sang, Sacré- Coeur et, tenez-vous bien, L’Enfant-Jésus-d’Ely. Peut-6tre peut-on accorder la palme, non pas du martyr, mais de ‘imagination aux ancétres qui ont baptisé Anse Pleureuse, Cap d’Espoir, Coin- du-Banc, Manche d’Epée, Nouveau-Comptoir, _ Rapide Danseur et une foule d’au- tres endroits dont les noms sont une invitation au voyage. Mais i! n’y a pas qu’au Québec qu’on trouve des noms d‘endroits qui piquent notre curiosité et souvent nous émerveillent. des gens qui se dévouent totalement et qui recher- chent les meilleurs moyens pour répondre consciencieuse- ment a une tache dont les objectifs n’ont pas changé. C. du B.: Du cété des éléves cette fois, leur attitude a-t-elle profondé- ment été transformée durant ces derniéres années, quant a l'apprentissage du francais? Mme Chambard: Il m’est difficile de répondre a cette question mais je peux dire qu’a titre de profes- seur de francais, langue ma- ternelle, j'ai constaté que les jeunes, aujourd’hui, ont plus de difficulté a lire, et ont parfois un certain recul devant le livre. Ce phénomé- ne est également dé a |’em- prise technologique exercée Particuliérement par les au- tres média que le livre. je pense que nous sommes trés conscients de cela et que notre effort de lucidité, com- me f’a démontré le congrés, Consiste précisément a nous situer en face de cette réali- té de facon 4 ce que nous Passions par-dessus |’obstacle, pour créer le désir de lire. C. du B.: Selon vous, est-il nécessaire que |'intérét des individus pour apprendre une langue soit suscité autrement que par le contexte académique? Mme Chambard: Je pense qu’aucune politique, méme clairement établie et imposée, ne régle un pro- bléme. Toutefois, les dis- POSitions positives d’un gou- vernement, tels l’octroi de fonds suffisants, la création de lois (comme le pratiquent certains pays bilingues), peu- vent €@tre d’un secours fon- damental, dont il est trés difficile de se passer. Il va de soj que ces dispositions ont aussi leur incidence sur la qualité de l’enseignement: l'école ‘existe pas toute seule car il y a une interpé- Nétration totale entre |'école et la société. Nous ne pou- vons agir seuls. Qu‘on nous aide et on essaiera de faire quelque chose. Cet espace est acheté par le Secrétarjat d’Etat. Les textes qui s’y trouvent sont publiés dans Jes 14 journaux mem- bres de Il’Association de la presse francophone hors Québec, APFHQ. CDRA RAS VAR ACY hot aot bechatrerccre meester: A Terre-Neuve, par exemple, es Anglais ont nommé Harbour Harbour et les Francais ont répliqué avec Port au Port. C’est dans cette province de |’Atlantique qu’on trouve Petit Jardin, Fermeuse, Fleur- de-Lys, Rose Blanche, Port- aux-Basques et La Scie. D’autres noms, un peu Massacrés, nous font froncer les sourcils; des noms tels que Bay L’Argent, La Poile et Grand le Pierre. On trouve quand méme_ de jolis noms comme Belle Marche, L'Ardoise et Por- tapique, en Nouvelle-Ecosse, et Petit Rocher, Grande Aldouane et Cap Enragé, au Nouveau-Brunswick. L'Ile-du-Prince-Edouard, la plus petite province, nous of- fre Crapaud, Naufrage, Souris et Tracadie, un nom qu’on retrouve aussi dans les deux autres provinces maritimes. En Ontario aussi les noms de familles francaises sont po- pulaires de méme que les Val... et-les Pointe... On y voit quand méme Bon Echo, Bonnechére, Eau Claire, Riviére-Veuve et Gros Cap. En se dirigeant vers I’Ouest, les néms d'origine frangaise se font moins nombreux pour faire place 4 des noms aux Origines étrangéres. C'est ainsi qu’on trouve Gnadenthal, Hnausa, Makaroff et Zraraz au Manitoba en bon voisinage de Sans Souci, Boissevain, Portage-la-Prairie et La Broquerie. La carte de ja Saskatchewan fait sourire avec ses Blumen- heim, Blumenhof, Blumenort et Blumenthal en plus d’un Rheinland et d‘un Rhineland. C‘est dans cette province que se trouvent Batoche, Bienfait, Fond-du-Lac, Qu’Ap- pelle et Roche Percée. Rivigre Qui Barre et Embar- ras Portage sont toutes deux en Alberta de méme que Bon Accord, Lac la Nonne et Trochu. C'est encore {a qu’on trouve Etzkem, Ma-Me-O Beach et Michichi. Une fois au dela des Ro- cheuses, on peut demander si les pionniers de la Colom- bie-Britannique ne souffraient pas sérieusement de bégaie- ment quand ils ont fondé Chu Chua, Bella Bella, Kleena Kleene et Ta Ta Creek. Beaucoup d’endroits isolés des Territoires du Nord-Ouest (tout est isolé la-bas) ont recu des noms frangais. La Riviére Jean-Marie, _— par exemple, et les Lacs La Martre, Bras D'Or, Capot- Blanc, Téte d‘Ours et Nez Croche pour n‘en nommer que quelques-uns. Toujours dans les Terri- toires, un peu a I’est de Fort Providence, se trouvent les Lacs Dieppe, Falaise, Boulo- gne, Calais et Caen. On peut se demander sé- rieusement s'ils n'ont pas été nommés par un ancien combattant dela 2e division d’infanterie canadienne qui a combattu en ces endroits de France lors de la dernié- re guerre. En plus des noms fran- cais qu'on trouve partout au pays, on remarque des noms comme Frenchman’s Cove (T.-N.), French River (N.-E.), French Village (I.- P.-E.), French Lake (N.-B.) et Frenchman Butte (Sask.). C'est sans doute sans malice que les Ontariens ont nommé Frogmore et les Albertains, Frog Lake. Les noms Indiens et Inuit, comme on peut s'y attendre, sont trés nombreux par tout le pays et ils ne sont pas tous facile 4 prononcer. Essayez donc Emingmaktok, Inouckjouac, Musquodoboit et Keeseekoowenin. Si vous avez vu tout ce qu'il y a a voir 4 Montréal, Moncton, Québec ou Sudbury, visitez un des endroits char- mants ci-haut mentionnés, faites-vous photographier sur les lieux et vantez-vous un peu a votre retour. Pour de plus amples ren- seignements sur le Canada, destination touristique, yeuillez communiquer avec Office de tourisme du Ca- nada, 150, rue Kent, Ottawa, K1A OH6. Seskesckesiese tessa a A AOR ACA ACARI AR EA AAR ATR :LE MOT DU JOUR HRKAAAA AHA AAA REAR ARE RE ARR AKA AY RENDU AU COTON “Je suis rendu au coton”. Je traduis “Je suis totalement épuisé”. Le mot coton a d’étranges significations au Québec: un vieux coton est un vieux cheval. Au coton, n’est pas plus mal comme expression, c’est asseZ imagé. Mais il est bon de savoir que ce n’est pas du francais courant. Cela ne me choque pas populaire employée entre nous. Si je dis: 4 titre d’expression dialectale de la langue ma chemise est usée au coton, tout le monde sait que je veux dire: usée jusqu’d la corde. En vieux francais, coton signifiait tige 4 chanvre. Il y a pu avoir une extension de sens et coton a pu signifier la corde, la trame d’un tissu. Toute- fois, les seus malheureux qui ont été vraiment rendus au coton sont Jes esclaves noirs des plantatigns cotonniéres du sud des Etats-Unis. Cela, avant qu’Abraham Lincoln ne les libérat., (tiré de la publication “Le mot du jour”, éditée par l’Office de la langue Pret ith i ee a obra ea francaise du Québec et préparée par Louis-Paul Béguin, linguist). : * * *% *