Le Moustique La roche sur laquelle nous marchons, enfin avec aisance, est un grés argileux tendre qui offre, par le travail de la mer, un paysage surprenant, presque lunaire. Des concrétions siliceuses claires, mises en exergue par le battage des vagues, bourgeonnent a linfini. Toute la céte parait souffrir d'une éruption miliaire. Un autre chenal est en train de se former. Il n’a pas encore atteint l’orée de la forét. La plate-forme gréseuse, brun clair, s’ouvre en arc de cercle plusieurs metres au-dessus de la marée qui s’étale, rageuse, sur une plage de sable et de gravier gris clair. C’est un spectacle tout a fait inhabituel. A cet endroit, la céte est a étages. On pourrait sortir du bois, se promener sur une carapace de grés et ignorer totalement qu’une plage se creuse en dessous de nos pieds. Quelque pirate pourrait y avoir caché un trésor. Le paysage est suffisamment romantique pour rendre la chose presque plausible. Mais cette fois, la pluie a réapparu, plus opiniatre que jamais. Tant pis pour les trésors ! Combien de merveilleuses découvertes ont pu étre empéchées ainsi par une pluie maussade ! Le guide, distrait sans doute, n’a pas vu Sa protégée perdre |I’équilibre aprés avoir heurté un des gros rognons indurés et blanchatres. Il semble bien qu’elle ne lait pas fait exprés. De toute maniére, le guide rappelé a une certaine réalité, se précipite a son secours. Il n’y a pas de mal, mais elle a besoin de consolation. On abandonne donc le guide a sa tache et nous continuons seuls notre chemin. Un peu par dépit, sans doute, ma fille me rapporte ce que le guide lui a raconté. Il s’était fait une féte de soigner sa cliente et avait prévu de la gater du mieux possible. Page 12 Volume 4 - 2*° édition Février 2001 Cela lui avait codté de trimbaler une masse énorme de bon café, de chocolat moelleux, de lait, sucre, biscuit et mille friandises. Pourtant, la petite dame n’avait pas daigné y tater une seule fois. Les différents régimes auxquels elle s’était adonnée en étant la cause principale. Je compatis distraitement en remarquant, tout de méme, qu’une bonne tasse de bon café, par un temps pareil, pourrait avoir un effet particuligrement ravigotant sur mon moral. II pleut de plus en plus fort, la brume couvre traitreusement la plage, la marée gagne de plus en plus de terrain sur la surface rocheuse et nous n’avons pas encore vu de sortie vers le sentier. Soudain, notre progression est totalement coupée par un nouveau chenal qui vient buter sur un a-pic supportant la forét. La mer y est déja trop haute et dangereusement agitée. Il semble y avoir un passage a mi- falaise, mais l’'accés en est difficile et la corniche parait d’autant plus instable que la mer rugit par- dessous. Nous grimpons sur la roche glissante et encombrée de végétation. Quelques métres sous nos pieds, les vagues s’écrasent rageusement sur la falaise qui tremble sous le ressac. Avant d’avoir franchi le chenal, le passage devient impraticable. Sur la droite, une trouée sommaire s‘ouvre dans la forét. Quelques metres seulement avant qu’un mur végétal nous barre définitivement le chemin. II n’y a aucun moyen de traverser l’obstacle et la seule tentative pour y parvenir a comporté déja un grand nombre de risques. En fait, je pense que nous avons manqué les deux sorties vers le sentier et que l’on se trouve, a présent, juste au- dessus de ce qu’on appelle ici |' "Adrenaline Surge”, le Chenal de l’adrénaline ou le chenal de la peur, celui ou des randonneurs ont perdu la vie en tentant de traverser. On n’a pas intérét a trainer davantage. On doit retourner sur nos pas.