Page 14 \ A L’ APPEL detobre - décembre 1968 Aux Franco-Colombtiens Pour une participation du peuple a la réforme constitutionnelle Richard Arés L’un des maitres mots de Vheure présente est bien celui de participation. I] résonne ac- tuellement partout: 4 Rome, 4 Paris comme a Montréal, sur le campus des universités et des colléges comme sur le plancher des usines et des manufactures. Etudiants et ouvriers tout spécialement se refusent de plus en plus 4 étre traités comme des objets qu’on déplace, mesure et réglemente sans qu’eux-mémes alent pris part aux décisions qui les concernent. Bref, ils veulent participer, ils veulent que la démocratie s’étende aussi 4 leurs secteurs de vie. Ily a la une exigence conforme a la dignité de la nature humaine et une aspiration légitime de tout citoyen vivant en démocratie. Dans son encyclique Pacem in Terris, le pape Jean XXIII déclarait trés clairement: “A la dignité de la personne humaine est attaché le droit de pren- dre une part active 4 la vie publique et de concourir personnellement au bien commun’’ ... “C’est un droit, ajoutait-il, que les pouvoirs publics ont l’obligation de respecter et dont ils doivent faciliter 1’exercice.’’ Or, depuis quelque temps, il est question de modifier la constitution canadienne et méme de refaire la constitution interne du Québec. C’est la un sujet qui peut paraitre, 4 premiére vue, fort loin des préoccupations habituelles du citoyen ordinaire, et pourtant il s’agit du destin politique d’un peuple et des régles juri- diques qui l’encadreront dans sa vie de tous les jours. Une constitution, en effet, est la loi fondamentale du pays, celle qui régit toutes les autres lois et réglemente l’activité tant des gouvernements que des citoyens. Pour un peu- ple qui veut vraiment vivre sa vie démocrati- que, rien n’est plus important qu’une bonne constitution. Voila pourquoi il importe que le peuple lui- méme surveille de prés les travaux de revision constitutionnelle amorcés par la conférence d’Ottawa en février dernier; plus que cela, qu’il participe lui-méme, autant que possible, a ces travaux. Cette conférence a bien établi un comité permanent de fonctionnaires et un se- 2rétariat, mais il n’est dit nulle part, dang les propositions alors adoptées, que le peuple sera consulté ni qu’il participera de quelque facon a ces travaux. On nous arrivera, sans doute, un jour avec des plans préparés dans le secret par des fonctionnaires et discutés uniquement dans des conférences de premiers ministres avant détre présentés 4 des Chambres soumises 4 la discipline des partis. Tl ne restera plus alors au peuple lui-méme qu’a se fier 4 ses représentants, qu’a voter pour ou contre eux aux prochaines élections; il n’au- ra pas pris part a l’élaboration de la nouvelle constitution, d’autres auront décidé pour lui en une matiére qui le concerne vitalement. On objectera sans doute qu’il est impossible de faire participer les citoyens ordinaires a ces travaux qui exigent des connaissances fort poussées dans les domaines du droit et de la politique. Autre chose, cependant, rédiger un texte en termes techniques, autre chose, expri- mer son opinion sur ses besoins et ses aspira- tions dans la. vie sociale et politique: de cela le peuple est fort capable quand on lui fournit l’oeceasion de se manifester et de parler. C’est une pareille occasion que veulent of- frir les Etats généraux du Canada frangais lors de leur session de mars 1969. Si les délégués a cette session ressemblent 4 ceux qui sont venus aux Assises de 1967, on y verra surtout des représentants du petit peuple, des gens qui, en somme, ont peu souvent l’occasion d’aborder et de discuter ces problémes qui concernent leur destin collectif. Ils seront, non seulement une centaine comme a Québec, non seulement deux cent soixante comme a Ottawa, mais tout prés de deux mille. Deux mille qui, durant quatre jours, se réuniront en session d’étude et, divisés par petits groupes, s’efforceront, d’abord de comprendre quels sont pour les Canadiens-fran- cais les principaux problémes qui se posent au triple point de vue économique, social et poli- tique, ensuite d’exprimer leur avis sur la ma- niére de les résoudre. Si ce n’est pas la de l’éducation populaire, et dans le meilleur sens de l’expression, je me demande ce que cela peut bien étre! Il ne s’agira pas alors de voter pour un homme, mais de discuter des idées, de se deman- der quel avenir est réservé aux Canadiens-fran- cais et quelles sont les structures 4 mettre en place sur le plan constitutionnel pour que cet avenir soit assuré. Ne nous faisons pas d’illu- sions: il n’est pas du tout stir que la nation canadienne-frangaise ait un avenir en Améri- que du Nord si elle se contente de se laisser vi- vre ou si elle continue 4 confier 4 d’autre le soin de la faire vivre et de l’entretenir. Il faut que le plus grand nombre de Canadiens-fran- cais possible prennent au plus tot conscience des problemes qui assaillent leur vie nationale et cherchent en commun les moyens de les ré- soudre. Aucune autre tribune n’est plus apte a engendrer chez le peuple cette prise de cons- cience et cet effort de recherche que la tribune qu’offrent les Etats généraux: grace 4 eux la démocratie de participation a fait son entrée au Canada franeais sur le terrain des questions constitutionnelles.