quand ils étaient a I'école, en quatrieme. Quelle bonne surprise de se revoir apres trente-cing ans ! ll se demande si Philippe a beaucoup changé. Il est sdr qu'il est tou- jours aussi beau avec ses cheveux bouclés et ses yeux vifs. Le grand jour arrive enfin. Sébastien a soigné sa toilette. Il s'est regardé plusieurs fois dans la glace, anxieux. II n'a pas I'habitude, il est guindé dans son costume sombre, dans la chemise blanche raide autour de son cou, et ses chaussures neuves lui compriment les orteils. Il s'est trouvé bien en avance devant l'imposante salle de conféren- ces. Les gens commencent a peine a arriver. Sébastien se met de garde prés de la porte. II dévisage chaque personne qui entre; il cherche Philippe, craint de le manquer. La salle s'est remplie. Il est plus de deux heures maintenant. Sébastien attend toujours debout a cété de la porte, scrutant le visage de chaque arrivant. Des personnalités se sont installées sur l'estrade; elles sont entrées par l'arriére. Elles entourent un homme chauve, bedonnant, les yeux cachés derriére de grosses lunettes fumées. Sébastien s'est enfin assis a l'arriére, il regarde de tout son corps. Le maire de la ville a présenté l'invité qui s'est levé et s'est mis a discou- rir longtemps d'une voix monocorde. II s'agit de son dernier livre, un ro- man ésotérique. Sébastien écoute, médusé. Comment son petit copain a-t-il pu devenir ce monsieur chauve qui s'exprime si bien, en longs mots compliqués comme il n'en existe que dans les dictionnaires? Le coeur de Sébastien bat vite. Tout a l'heure quand son ami aura fini de parler, il ira vers lui et il se présentera. Il peut A peine attendre la joie de la surprise et des retrouvailles. Lui n'est qu'un petit ouvrier mais il a tou- jours su que Philippe deviendrait quelqu'un. Des applaudissements, des questions, les remerciements. Ga n’en finit plus. Des personnalités se serrent autour du romancier. Tout d'un coup, Sébastien se sent trés intimidé. Il hésite. Ses chaussu- res lui pincent les pieds, il est géné aux entournures dans son costume cintré. Il a presque envie de fuir. D'un élan brusque, il se décide. II court jusqu'a l'estrade, franchit en deux bonds l'espace qui le sépare du con- férencier, bousculant quelque peu sur son passage quelques pontes