HISTOIRE NE ME PARLEZ PAS DU BON VIEUX TEMPS! Nigel Barbour I] convient de se méfier des nostalgi- ques et autres amateurs de passés romantiques, lorsqu’ils parlent du "bon vieux temps"... surtout s'ils ne l'ont pas vécu. ! Je me souviens trés bien de Vancouver d'il y a trente et quarante ans. Et je suis bien content de vivre dans le Vancouver d'aujourd'hui, propre, ani- mé, beau et pittoresque, plutdt que dans le Vancouver sale, morne, et laid de mon enfance. Je note en passant que, jadis, lorsqu’on parlait du “bon vieux temps" cela voulait dire "avant l'autre guerre". Il y avait encore beaucoup de monde pour s’en souvenir. Vancouver dans les années quarante et cinquante était une ville industriel- le. Son industrie la plus importante; clétait les moulins de pate 4 papier, qui ne se trouvaient pas comme nos industries propres, silencieuses et modernes, dans quelque Burnaby lointain. Hélas, non! les moulins étaient 4 "False Creek", au coeur méme de la ville; et ne s’embarrassaient pas de mesure antipollution, pas encore inventées d'ailleurs. Cela sentait trés mauvais. Les ouvriers, tous des hommes, étaient mal payés pour de longues heures de travail dans une ambiance infernale, de chaleur, de bruit, d'odeur. Et il fallait trés peu de vent pour que Point Grey, Dunbar et Mount Pleasant aient, eux aussi, droit au bruit et a l'odeur... Qu’on ne me parle pas du bon vieux temps 4 Vancouver. Il y avait beaucoup moins d'arbres dans infiniment moins de rues; les poubelles publiques étaient rares; tout le monde fumait, et jetait des détritus par terre. Le quartier "Gastown" était un des pires taudis du Canada... les quelques parcs de voi- sinnages n'avaient pas les équipements d'aujourd'hui et la pauvreté semblait inévitablg, normale. Ft le bruit! Les autos n'avaient a se conformer 4 aucune norme de bruit ni d'émissions de fumée. On se déplagait en tramway; cela faisait un vacarme épouvantable. Les curieux peuvent en voir un, bien préservé, au restaurant "Spaguetti Factory, de New Westmins- ter. Oui mais celui-la a été nettoyé, restauré, peint; or de mon "bon vieux temps" i] n'y avait aucun préposé a la propreté des tramvays... et ils s’en- crassaient d'année en année. Leurs moteurs étaient dé}a bien bruillants et lorsque le wattman utilisait ses freins, cela s/entendait 4 des kilométres 4 la ronde! Vancouver’ devait avoir en 1947 quelques cing cent mille habitants, le tiers d'aujourd’hui, qui s'ennuyaient. Les paroisses, les cours du soir et quelques restaurants essayaient en vain de combler cette lacune. La gran- de affaire c’était d’aller, le samedi soir, au cinéma. L’on me dit que la Galerie d'art existait déja, 4 cette époque, mais je ne pense pas qu'elle fit connue ou propriétaire de nombreux tableaux. Le théatre? Vancouver little theatre, une fois par an, et quelques anciens théatres, rue Granville, cinémas alors, qui se reconvertis- saient le temps d'une tournée. Je me rapelle fort bien avoir vu "Bousille et les justes" de Gratien Gélinas, dans les années cinquante, dans le vieux Dominion en face de la baie. c'était en francais, et a la surprise générale le théatre était plein! La musique quelques concerts d’amateurs, un "VSO" naissante connue d’une petite élite, la radio... ah, qu’on aimait la radio!! Cela se passait quelque part dans les entrailles de l'hotel Vancouver (CJOR était 4a l'hétel Devonshire et une nouvelle station CHQM s'établissait 4 1'hotel Sylvia). La radio nous apportait la musique, le théatre et le monde. Le monde parce que, il y a trente ou quarante ans, Vancouver était bien, bien coupé du monde qu'il ne l’est maintenant! Il y avait déja 1'aéroport et Air Canada qui desservent Vancouver depuis les années vingt. Mais pour commencer il fallait 4 Sea Island. Quel voyage! trois tramways et une navette incertaine. Sur le terrain, on disait "field", vous attendait proba- blement un DC 5, dans lequel il fal- lait grimper par un escalier branlant, résigné 4 faire un voyage, sans confort, de douze heures jusqu’a Mont- réal... si on avait l’argent. Donc on prenait le train. I] y en avait beau- coup; quatre par jour, qui allait dans 1'Okanagan, 4 Princeton, aussi bien qu’a Winnipeg et vers l'Est. Cing jours et quatre nuits pour atteindre Montréal... mais 4 porté de toutes les bourses. En argent constant, un emplo- yé de banque gagne, de nos jours, quatre fois plus qu'il y a quarante ans. Une serveuse, sept fois plus. Un enseignant, cing fois plus. Une vendeuse de magasin, neuf fois plus. Le colt de la vie était la moitié d'aujourd’hui. On comprend donc que la pauvreté était courante. Non, le bon vieux temps a Vancouver n'a jamais existé. Ou alors, au début, avant 1914... mais déja, le "Sun" de cette époque regrettait le bon vieux temps d’avant 1900. On pense a Alexan- dre Dumas, qui s/appréte a conquérir le Paris des années 1840 et 4 qui on dit qu’il aurait di voir celui de l'autre siécle. Et maintenant, chers nostalgiques, j/habite la plus belle ville du monde. Rio de Janeiro et ses taudis, Hong Kong et ses. taudis flottants parni les gratte-ciel, non il n'y a qu’un Vancouver. Une ville tolérante, multicolore, pittoresque, gaie, une ville de concerts gratuits, de théatres multiples et créateurs, une ville paisible et belle, od on entend méme parler francais! Vol. 3 no. 2 LE COURRIER de la S.HLF.C. JUIN 1980 _ (SRT TSE Ss at Sa St SC SSR SSE PHOT SGM Ss thi A a A RM SP EDS eS SED