oustia olume No 2 - 1“ édition anvier 1999 Monologue. La chaleur est omniprésente. Elle frappe les bras et le visage comme le plat d’un couteau passé a la flamme. Elle ne s’étale pas, lourde et humide, sur tout le corps ; elle est tranchante, elle est s¢che. Elle vous taille la silhouette comme les statues en bois d’Afrique. La graisse fond, plus de peau lisse et douce. Du bois brut et sec. Rugueuse, la sculpture n’exprime que l’essentiel. Sous ce climat, vous prenez le physique de votre caractére ou au moins de ce caractére qui est devenu le votre a survivre dans cet environnement. Ici, on ne transpire pas, on évapore. Souvent, d’ailleurs, le malaise vous prend. Les oreilles sont sensibles a un lointain bourdonnement sourd. Le paysage, rendu uniforme, par la violente blancheur du soleil, devient jaunatre. Les images s’arrétent, le relief s’atténue ; tout devient lisse et d’un bistre lumineux et commence a tourner tout doucement. C’est la déshydratation, vous ne l’avez pas sentie venir. Les narines sont séches, le bruit dans les oreilles est devenu strident, le corps chancelle, le cceur se léve. Le visage marque I’effort pour résister a la soudaine impression de vide. Les gercures aux commissures des levres rendent le rictus inconfortablement douloureux. Du coup, le moment de faiblesse s’atteénue un peu. Il faut boire. Rejoindre au plus vite le prochain village ; il y a longtemps déja que la gourde est vide. Trois litres d’eau tiéde, c’est insuffisant. Il en faudrait au moins le double. C’est maintenant qu’un coca bien glacé serait le bien venu ! Heureusement, il ne reste que quelques kilometres avant les prochaines habitations. Kalefou, c’ est un tout petit hameau, je le connais bien. Peut-étre cing ou six familles, mais les familles sont particuligrement nombreuses en Afrique. Le chef est un brave vieux. Au fait, quel age a- t-il 2 Il ne le sait pas lui-méme. II est large, ventru mais maigre. Un visage en trapeze, marque a la base par une barbe blanche, éparse. La peau du visage n’est plus noire, plutdt grisatre. Un peu comme si la couleur s’écaillait. II lui reste deux grandes dents blanches ; juste assez pour mieux remarquer I’absence des autres. Et surtout, la chair rose des gencives est tumescente et, quand il parle, elle semble parfois jaillir de sa bouche comme une grosse gomme chicle. La marche est pesante ; le soleil, droit au dessus de la téte, ne fait plus d’ombre depuis un moment. C’est idiot, mais cette image de boule rose et humide me donne plus soif encore. Et cette fine poussiére jaune terne qui s’éléve en volutes au-dessus des herbes seches que l’on écarte d’un bras las, que I’on écrase sous les pas avec de petits bruit secs. Elle absorbe le peu de fraicheur qui reste dans la bouche. Irrite la gorge, éteint la voix. Les oiseaux se sont tus. A l’exception d’un rare rollier d’ Abyssinie, fléche d’un beau bleu turquoise métallise fendant le ciel jaunatre, et de deux petits calaos gris noirs qui passent d’un arbre a l'autre en courts vols plongés, les autres, pas fous, patientent dans les galeries forestiéres. Ils attendent six heures, une heure plus clémente. Peu avant que le soleil se couche. L’heure de Papéritif. Supplice | Allons du courage, encore une demi-heure. Je ne sais plus si le sifflement qui résonne dans ma téte est dé a la soif ou aux millions de grillons qui semblent étre les seuls a jouir de la température. Je marche a grandes enjambées ; je suis pressé, j’ai soif ! Le terrain est plutot plat, heureusement. Mais a présent que la saison des pluies s’est achevée et que la plupart des riviéres sont déja desséchées, beaucoup d’arbres ont perdu leurs feuilles. ... Suile page suivante...