12 Le Soleil de Colombie, Vendredi 15 septembre 1978 Dimanche a Vernon par Roger DUFRANE Suite En ce soir doré du samedi 5-aofit, le camp militaire, qui aligne ses logis blancs sur la montagne, baille au soleil. Les oiseaux, des oiseaux au plumage khaki, se sont envolés. Je chemine au long des allées flanquées de poteaux indicateurs. Pour m/’orien- ter, je m’adresse 4 un major actcompagné de deux sous- offs. ; L’officier, moustache poi- vre et sel, badine, faciés taillé dans du cédre rouge, dresse devant moi la topo- graphie du lieu et y ajoute quelques blagues. Son esprit “boy-scout” m’amuse. Je lui désigne les insectes quitourbillonnent autour des buissons de genéts. “Ca nest rien, me dit-il. Atten- dez de voir les locustes. Elles sont grandes comme ca! (geste.de sa badine) et elles viennent nager dans votre jatte de café”! Mon officier me quitte ur rejoindre ses sauterel- es et ses plans de campa- gne. Je m’aventure dans un - baraquement spartiate ou se superposent de rigides lits de camp. Des cadets s’interpellent et se donnent des bourrades. On leur a coupé les che- «Cap sur par Francois KUERBIS Les pétroliers géants des deux nations les plus puis- santes de la terre entrent en collision prés des cétes de la Colombie-Britannique. C’est le sujet du roman Firespill, maintenant dispo- nible en frangais sous le titre “Cap sur l’enfer”, premier roman de Il’écrivain vancou- verois Ian Slater. Il se trouve que la vice- présidente des Etats-Unis est prise au milieu de ce piége. La catastrophe est causée par la cigarette d’un marin insouciant. La nation en question reste impuissante devant de tels dégats causés par la marée noire.. Tout au long du roman, on trouve les conflits politiques, la femme adultére, les stu- pidités des politiques inté- rieures. Ouvrage écrit avec réalis- me et poésie dans l’exac- veux. Ils se prennent pour des durs. “Where is Cadet Reid?” s’informe un gros joufflu auprés d’un groupe. “He died”! lui répond un rouquin a lair canaille. -Le gros joufflu s’approche et nous-propose de nous guider. Je lui arrache quel- ques paroles. Il regrette sa famille d’Ontario. Sur le seuil, un sergent- major, qui vient de retour- ner de son “stick”, un clas- seur ventru jeté sur un bac a ordures (“Who is the idiot”!) Y'interpelle: “Where do you think you're going? Go back to your quarters!” Et le gamin nous quitte en agitant les bras d’un air découragé. Dimanche 6 aoit Nous voila! Nous allons pouvoir faire honneur au titre de notre récit! Au sortir de Vernon-la- Ville, Polson Park nous ou- vre son asile frais et vert. Le torrent longé hier soir sur la route des autos de course pilotées par les cadets de _sortie serpente entre les massifs. Des cygnes et des canards animent une mare au milieu de laquelle un dragon 4 téte de crocodile crache un filet d’eau. Cette élucubration in- solite me gache mon plaisir. Sur la pelouse, des musi- ciens a chemise blanche et pantalon noir, coiffés du tricorne noir et jaune du Venfer» titude des détails techni- ques. La poésie est la marque de ce jeune talent d’origine aus- tralienne dont |’érudition comme biologiste marin marque les scénes d'action. Mais, en plus d’étre bien écrit, ce roman est un ensei- gnement. C’est bien sur les problémes de pollution et la guerre des écologistes que lhistoire est fondée. Illustration trés vive du danger, peut-étre exagéré, mais qui sait? Il fut un temps ou l'on ne pouvait s'imaginer voir des pétroliers géants, mais maintenant quiils existent, pourquoi pas des “Caps sur lenfer?” “Cap sur l’enfe $ de Ian SLATER | traduit par Gilbert La Roque Publié en francais aux Editions de (Homme, 1978. vous m’en direz tant par: Louis-Paul Beguin Clair et clairance Un anglicisme qui heureu- sement commence a dispa- raltre, tout au moins des textes. soignés, est le subs- tantif clairance. L’anglais clear (venu du frangais clair) @ donné certaines expres- sions anglicisées qui sont a rejeter: donner ga clairance (congédier), une vente de clairance (liquidation), don- ner une clairance a un dé- biteur (donner une _quit- tanee). On entend parfois: Je gagne un salaire clairde... Au lieu de net, cette fois. Mais ne voila-t-il pas que, pour les besoins de la tech- . nique, et plus particuliére- ment pour enrichir le voca- bulaire nucléaire, le gou- vernement francais a ap- prouvé derniérement |’usage du mot «clairance». Toute- fois, ce néologisme, venu de Vanglais «clearance», na que l’acceptation. suivante: , coefficient représentant I’ab- Capitaine Cook, donnent Yaubade. : Une majorette a la jupe lamée d’argent jongle avec trois batons. Alentour, peu- pliers, saules pleureurs, sa- pins, gloriettes roses, com- posent une retraite pleine de fraicheur et d’agrément. Le Musée municipal ras- semble quelques reliques: des landaus du temps des pionniers, des mannequins revétus de robes a cols montants et jupes cloches, un piano d’ébéene a chande- liers, une voiture d’enfant a baldaquin. Des téléphones en chéne, flanqués de la boule de cuivre de leur timbre d’ap- pel pavoisent les murs. Des specimens de serpents de la région tire-bouchonnent dans des bocaux. : Rien d’inattendu, en som- me, a part quelques photo- graphies de l’époque 1900. En ce temps-la, des bateaux a aubes charriaient les pion- niers sur plus de 100km. d’un bout du lac a l'autre. L’automobile a tué ces choses, de méme que les bateaux-mouches de la Sei- ne, qui transportaient jadis les travailleurs de Notre- Dame a Citroén, ne survi- vent que pour les touristes et sur un parcours singu- liérement rétréci. Vernon s’appesantit sous Corriger la chaleur. Une ‘ville morte! “Non, me dirait mon ami Jean Riou, il y a des fran- cophones”. Pour l’heure, je ne vois a4 Vernon que de rares cadets, une famille d'Indiens qui débouchent du coin de la grand-rue, et le restaurateur qui court der- riére moi en brandissant ma casquette oubliée, cette fa- meuse casquette en laine d’Australie, a la-visiére pra- tiquement inexistante, et qui me fait passer, jusque dans les avenues courbes de notre Shaughnessy pour un Anglais désarconné. Mais voici qui jette du piment dans le décor: un cadet surgit devant nous et nous évite de justesse. L’air mutin, le bérét re- misé sous la patte d’épaule, il tient par la taille deux cadettes roses de plaisir. Gare a la Police Militaire! Ce joyeux luron me donne I’idée d’aller revoir au Camp ce qui s’'y passe. Revoici les baraques blan- ches et endormies derriére leurs rideaux d’arbres. Un garcon, assis sur l’herbe, me’ regarde tristement. Sans doute songe-t-il 4 ses fréres et soeurs laissés 4 ]’autre bout du pays. Le camp de Vernon comp- te cette année 1500 cadets, dont vingt du Québec. {A SUIVRE} certaines fautes Si au Québec nous voulons faire du commerce. en fran- cais, il va falloir nous corri- ger de certaines fautes qui ne donnent guére la preuve de nos connaissances dans ce domaine. D’abord, l’abus de l’emploi de l’adjectif mercantile. En francais c’est avec un sens péjoratif que l’on emploie mercantile. Une entreprise mercantile serait une firme qui ferait du commerce sans trop de scrupules, pour faire fortune autrement dit par tous les moyens possibles. Ce qui n’est pas le cas en général, je veux bien le croire. On entend aussi: partir un commerce. Ce n’est pas frangais. I] faut dire commencer |’exploitation d’un commerce, ouvrir un commerce. (On dit aussi que quelqu’un s’est établi.) A la devanture de ce commerce qui vient de chan- ger dé propriétaire, il ne faut pas inscrire: nouvelle direction. Simplement changement de propriétaire. Le nom compagnie est en général réservé aux domai- nes des assurances, des transports et de la naviga- tion. Pour les autres domai- nes, on dit plutét société. Il y a la société par actions, la société anonyme et la société a responsabilité limitée. De méme, l’abus du mot opérer, dans le commerce, a la place d’exploiter est a corriger. En outre, si l’on peut dire prix compétitifs, il faut employer concurrent a la place de compétiteur. On craint la concurrence et non la compétition. [Le mot du jour par Louis- Paul Béguin] titude d’un organe ou d'un tissu a 6liminer d’un fluide de l’organisme une subs- tance donnée. Ce mot est donc entré dans la langue francaise avec un sens bien précis. Louis-Paul Béguin Office de la langue frangaise Louanges —Aimez qu’on vous conseille et non pas qu’on vous loue. [Boileau] —Il faut mériter la louange et la fuir. [Fénelon] =C’est un grand signe de médiocrité de louer toujours Lecture —Quand une lecture vous éléve l’esprit et vous inspire des sentiments nobles et courageux, l’ouvrage est bon. [La Bruyére] —Je lis, non pour m’ins- truire, mais pour m’élever. [Eugénie de Guérin) —Toute lecture qui éclaire et qui encourage au bien est bonne. [Berthier] —Ne lisez pas les bons livres...: il y en a trop; lisez les meilleurs. —Les lectures rapides, dévo- modérément...[Vauvenar- . rantes, font des 4nes sa- gues] vants:-[Montaigne]----------~---- Lisez les écrivains francophones Ecrivain francais né a Rochefort en 1850. De son vrai nom Julien VIAUD, il adopta pour pseudonyme le surnom que lui avait donné une jeune Tahitienne. ° Menant de front son acti- vité littéraire et une carriére d’officier de marine, il put visiter des__. pays loin- tains encore mal connus a son époque. II passa la fin de sa vie au Pays Basque et mourut a Hendaye en 1923. Loti est le premier grand romancier exotique francais de I’époque moderne. C’est aussi l’un des plus grands: peintres de la mer. Son langage est simple et harmo- nieux. Méme dans leurs parties documentaires, ses romans sont empreints de mélancolie et marqués de son éternel pessimisme. Certains jugent Loti mié- vre et démode. Non, répon- dent d’autres écrivains et critiques; ses meilleurs li- vres méritent toujours d’é- tre lus. Z EDITEURS: Calmann-Lévy, Livre de Poche. Pierre Loti » PARMI SES MEILLEURS OEUVRES: Le Mariage de Loti. A Tahiti, histoire nai- vement contée de lofficier qui épouse la petite Rarahu et, un jour, reprend la mer. Rarahu inconsolable mourra. Madame Chrysanthéme. Au Japon, un autre “mariage” de Loti. La rupture ne laissera chez Chrysanthéme u’'une ombre de mélancolie. on frére Yves. En Breta- gne, la vie courageuse et fraternelle des marins; le drame d'un brave garcon qui s’adonne a la boisson mais saura Se reprendre a temps. Ramuntcho. Au Pays Bas- ‘que. La mére'de Gracieuse & poussé celle-ci a entrer au couvent pour |’éloigner de Ramuntcho, le contreban- dier. Ramuntcho renonce a l’enlever et émigre vers l’Amérique. LISEZ POUR COMMEN- CER: Pécheur d’Islande, le chef-d’oeuvre de Loti. Des étres simples et émouvants, la rude vie des pécheurs au temps de la marine a voile. Reviendront-ils de leur cam- pagne? Une magnifique évo- cation de la mer, personnage principal du drame. Hs restaient tous deux a la barre, attachés et se tenant ferme, vétus de leurs “cirages”, qui étaient durs et luisants comme la peau des requins; ils les avaient bien serrés au cou, par des ficelles goudron- nées, bien serrés aux poignets et aux chevilles pour ne pas laisser d'eau passer, et tout ruisselait sur eux, qui enflaient le dos quand cela tombait plus dru, s’arc- boutant bien pour ne pas étre renversés. La peau des: joues leur cuisait et ils avaient la respiration a toute minute coupée. Aprés chaque grande masse d’eau - tombée, ils se regardaient - en souriant 4 cause de tout ce sel amassé dans leurs barbes. (Pécheur d'Islande). Nuages Planant sur Vancouver les nuages, majestueux, : roulent sur un océan bleu de ciel Vers l'infini. Leurs majestés se disputent: et la petite terre en bas, ‘atterrée, entend les éclats et compte les coups. Méme dans la pluie, en volant par dessus la bouderie - mouillée, drapée de gris triste, ils flottent dans I’infini- Nigel BARBOUR Vancouver ae ee at a ermimE Bo ne “cc i, pt OORT sistent