Rayon-Jeunesse, novembre 1991 “4 Ont-ils vraiment existé? L’histoire nous enseigne que pendant plu- sieurs siécles, des hommes et des femmes appelés loups-garous furent condamnés & la torture et au biicher. Elle nous enseigne encore que ces personnes avouérent étre loup-garou, le plus souvent sous |’effet de la torture, que la plupart d’entre elles étaient de pauvres paysans, des malades mentaux, des gens qui refusaient d’aller a l’église ou encore des personnes difformes. A ce cortége de malheureux venaient s’ajouter les gens atteints de la rage, ceux qui souffraient de lycantropie, maladie au cours de laquelle le malade se croit changé en loup et d’hypertrichose, condition congénitale caractérisée par un développement exagéré des poils et des cheveux. Il est vrai aussi que les grands meurtriers étaient considérés comme étant des loups-garous. D’aprés la légende, le loup-garou est un individu sur lequel quel- qu’un d’autre ou le diable lui-méme a jeté un sort. Une fois ensorcele, il prend la forme et I’instinct d’un animal. Bien qu’on les désigne tous du nom de loup-garou, certains individus pouvaient se transformer en cheval, en cochon, en taureau ou en chien. Ces pauvres prisonniers du diable ne peuvent étre alors libérés de leur terrible sort que par une blessure infligée 4 l’aide d’un objet tranchant ou pointu qui les fera saigner. Une fois blessé, le pauvre loup-garou se retrouvera avec une oreille en moins ou le nez raccourci mais retrouvera 4 coup sir sa forme humaine et sera enfin libéré des influences de Satan, dit la légende. Cela signifiait «passer par la sensation de voir son corps transformé en un animal féroce et diabolique, pour redevenir ensuite un humain a4 peu prés normal.» En principe, les personnages étaient les blasphémateurs, les buveurs, les bagarreurs, les menteurs, enfin les mauvais caractéres. Mais il y eut des innocents qui sans savoir pourquoi ni comment se retrouvérent un jour 4 «courir le loup-garou». | Voila fort longtemps que les hommes redoutent et détestent les loups. Déja dans |’antiquité, les fonda- teurs de Rome, Romulus et Remus sont allaités par une louve qui leur transmet leur férocité dit la légende. Tout au long de l’histoire, Vhomme pergoit le loup comme un animal rusé, fourbe, furtif et rapace. Toutes nos histoires et nos fables parlent de l’ignoble loup. C’est lui, le monstre cruel qui dévore l’agneau se «désaltérant dans le cou- rant d’une onde pure», qui détruit la maison des trois petits cochons en «soufflant et pouffant». C’est encore lui qui dévore les sept petits chevreaux, la jolie petite chévre de Monsieur Séguin, lechaperon rouge et sa mére-grand. Pour exprimer sa mation d Compagnons de miséres, loup et loup-garou vont subir le méme sort. Ils devront vivre cachés, loin des humains. Banni de la société, le loup-garou sera poursuivi tout comme le loup sera chassé et comme lui il connaitra la faim. Alors, il deviendra chas- seur a son tour. Il est possible qu’il finisse par se sentir plus en sécurité chez les bétes que chez les hommes et du méme coup, a s’identifier davantage a l’animal qu’on lui reproche d’étre devenu, qu’a I’humain qu’il était. En 1439, une meute poussée par la faim est allée jusqu'aux portes de Paris et s'est attaquée aux D’aprés les descriptions de loups-garous trouvées dans les archives de |’histoire et dans les légendes que nous ont transmises nos ancétres, il nous est possible de tracer le portrait du loup-garou. II apparait alors avec des sourcils épais se rejoignant entre les yeux, des.oreilles décollées et situées plus 4 1’arriére et plus au bas du visage qu’a la normale. Ses onglés-sont longs, acérés et comme teintés de rouge. Il est parfois trés poilu. Sa bouche et ses yeux sont toujours secs car affirmait un juge francais qui assistait aux séances de torture, «les loups-garous tout comme les sorciéres ne pleurent ja- mais». Le loup-garou présente des traits de caractére trés particuliers, I] aime par dessus tout la solitude. Ce grand mélancolique chérit la vie d’ermite, la forét est son do- maine, la nuit son alliée et la lune son idole. adultes et aux enfants. Jean-Louis Charmé, Bibliotheque nationale de Parts. Rayon-Jeunesse, novembre 1991 peur et sa haine du loup, l’homme ne manque pas d’ima- gination. Mais il oublie qu’au cours des siécles, en agrandis- sant son propre territoire, il a restreint considérablement ce- lui du loup. Alors, hanté par la faim «qui le fait sortir du bois», le loup est venu s’aventurer au- tour des villages et des fermes a - la recherche de sa subsistance. Conséquemment, il est devenu une véritable menace pour les villageois, particuliérement en Europe durant les périodes de fa- mine. Rien d’étonnant alors que dans leur besoin de sensationnel, de fantastique et de redoutable, les humains aient imaginé la transfor- e l’homme en loup pour expliquer et justifier le rejet de ceux qu’ils jugeaient indésirables. Johannes Geiler von Kaiserberg, University of Chicago Library. Parler du comportement courageux du loup dans l’adversité revient a Alfred de Vigny. Ce grand poéte philosophe du XIXéme siécle nous a laissé dans «La mort du loup» un sublime tableau de chasse oi les chasseurs ne sont plus les vainqueurs mais plutét les bourreaux et ou le loup, face 4 la mort, sait faire preuve de courage et de grandeur. 7 Le loup vient et s’assied, les deux jambes dressées, Par leurs ongles crochus dans le sable enfoncées. Il s’est jugé perdu, puisqu’il était surpris, Sa retraite coupée et tous ses chemins pris; Alors il a saisi dans sa gueule brilante, Du chien le plus hardi la gorge pantelante, Et n’a pas desserré ses machoires de fer, Malgré nos coups de feu, qui traversaient sa chair, Et nos couteaux aigus qui, comme des tenailles, Se croisaient en plongeant dans ses larges entrailles, Jusqu’au dernier moment ov le chien étranglé, Mort longtemps avant lui, sous ses pieds a roulé. Le Loup le quitte alors et puis il nous regarde. Les couteaux lui restaient au flanc jusqu’a la garde, Le clouaient au gazon tout baigné dans son sang; Nos fusils l’entouraient en sinistre croissant. Il nous regarde encore, ensuite il se recouche, Tout en léchant le sang répandu sur sa bouche, Et, sans daigner savoir comment il a péri, Refermant ses grands yeux, meurt sans jeter un cri. Alfred de Vigny