Pacifique Le Moustique! ... Volume 7 - 6¢ édition ISSN 1704 - 9970 Tuin 2004 Géologue et paléontologue, Pierre Teilhard de Chardin (1881 - 1955) était aussi prétre jésuite. S'il a consacré sa vie a la recherche scientifique, ce fut toujours en essayant de concilier la science avec la foi, ce qui n'allait pas de soi dans la premiére partie du XXé siécle. L'étude de Jacques Flamand, Au coeur des grands espaces, traite d'abord du poéte et du mystique, puis du véritable prophéte que fut Teilhard de Chardin. Pour Jacques Flamand, la qualité poétique de Teilhard, alimentée par I'intense sensibilite de sa personnalité, découle de sa vision empreinte de mysticisme. Il y a souvent une similarite dans les expériences mystiques, quelle que soit l'époque, comme le montrent les citations de Teilhard mises en paralléle avec ce qu'écrivaient Catherine de Sienne au XIVé siécle, Saint Jean de la Croix au XVle, et quelques autres dont Marie de I'Incarnation. Tous connaissent une union intime avec Dieu, si éblouissante qu'elle en _ reste inexprimable et incommunicable. L'originalité de Teilhard réside dans le fait que "cette relation singuliére du croyant avec son Créateur est, chez lui, inséparable d'une solidarité humaine, planétaire et cosmique."(27) L'union a Dieu ne représente donc pas une coupure d'avec le monde. Teilhard rejette le dualisme matiére-esprit, en ce sens il va contre la tradition qui opposait Dieu au monde, lui cherche a les réunir. Ce en quoi il est prophete. Le prophéte se définit comme celui qui apporte une vision neuve, a contre-courant de la pensée dominante du temps, conception qui dérange les certitudes sur lesquelles s'appuient les institutions bien établies comme I'Eglise. A I'époque de Teilhard, I'Eglise était fermée sur elle-méme. Pour Flamand, "cette mentalité ultra- catholique, réfractaire a toute pensée novatrice, dura jusqu'au Concile Vatican Il, et méme aprés. Et le Pére Teilhard eut a en souffrir."(53) 3 Pour Teilhard, la vie humaine, la recherche scientifique, le monde et l'univers font partie d'une montée de conscience qui s'integre au grand dessein divin. Ce n'est toutefois pas par lui-méme, mais bien par don de Dieu que "I'effort humain est divinisable."(63) L'Eglise n'était pas préte a accepter une telle idée. Par conséquent, Teilhard se vit interdire de publier de son vivant toute ceuvre autre que celles a caractére purement scientifique. En 1948, il recut l'ordre de refuser la chaire de professeur au College de France qui lui était offerte, et méme le droit de séjourner a Paris. Il resta exilé a New York jusqu'a sa mort. S'il souffrit mais ne se rebella jamais contre de telles décisions, c'est qu'il obéit loyalement toute sa vie a son Ordre, perinde ac cadaver, selon la devise des Jésuites. Au début des années 1960, la lecture de Teilhard miavait semblé ardue. Le livre de Jacques Flamand, dont la couverture sobre au lettrage bianc est presque du méme bleu que celles des volumes du Seuil qui diffusa les oeuvres de Teilhard, est écrit avec une grande clarté et superbement édité. Par la synthése qu'il présente, cet ouvrage permet au lecteur de pénétrer avec intelligence I'ceuvre du grand théologien. Jacques Flamand déplore qu'aujourd'hui Teilnhard "semble susciter moins d'intérét, surtout de la part de la jeunesse."(7) En serait-il ainsi parce que, pour le croyant, ses idées sont désormais mieux acceptées et ne portent plus a controverse? Quant a l'incroyant, a qui elle est aussi destinée, il est douteux que la pensée de Teilhard le convainque, surtout a notre €poque ou des Ossama Ben Laden et George W. Bush prennent prétexte de leur grande foi et de I'union a leur Dieu pour commettre leurs atrocités meurtriéres sur la planéte. Paul Genuist Jacques Flamand, Au coeur des grands espaces, Vermillon, Collection Essais, No 16, Ottawa, 2004, 78 pages.