4 Le vendredi 11 juillet 1997 Changer son mal de place force de promener ses petits pieds dans la pluie de BC, Mademoiselle a fini par attraper une grippe. A force de me promener si prés d’elle, j’ai fini par Pattraper aussi. Quand on embrasse I’Autre, on ’embrasse pour le meilleur et pour le pire, pour les go(its savoureux de sa Iangue comme pour les petits microbes. C’est ¢a l’amour, c’est ca l’été, ce ne sont jamais les 24 heures de chaud soleil dont on avait révé ; non, c’est plus singulier que ¢a. L’amour et l’été, ce sont parfois des nuits longues et généreuses, parfois des journées de vaches maigres qui broutent la pluie couchée sur ’herbe. C’est beau l’été, c’est beau l'amour, mais il faut les prendre comme ils viennent, nuage ou soleil. Les yeux bouffis par la fiévre et le nez rougi par le rhume, j’attendais A cdté de la laveuse qu’elle finisse son cycle et je lisais sans grand intérét les nouvelles déja vieilles d’un quotidien britanno- colombien : le Vancouver Sun. Quelque part dans les pages grises de ce journal (tous les journaux sont gris), je suis tombé sur la section « température ». Sur la carte en couleurs de la province, au-dessus de chaque petite ville (Tofino, Kamloops, Fort Nelson, etc.), il y avait un petit nuage blanc et quelques gouttes de pluie bleues symbolisant la température du jour ou & venir : de la pluie. Dans la méme section mais un peu plus bas, j’ai jeté un coup d’oeil sur les préci pitations. Depuis le premier janvier (et avant les journées de lundi et mardi...) il est tombé 890,3 mm de pluie. Presque un métre de pluie... Tabouére, les arbres ici peuvent bien étre énormes, ils sont irrigués comme dans une serre ; c’est quasiment de la culture hydroponique ! Il pleut 4 Vancouver, il pleut beaucoup & Vancouver et aux alentours, mais ne le dites pas comme ¢a aux gens qui sont nés ici ou vivant ici depuis longtemps, ils n’aiment pas ¢a, cela ne cadre pas avec l'image qu’ils se font d’eux-mémes et de leur environnement. A quelqu’un a qui vous dites : There’s too much rain, hin... (Il y a trop de pluie, hein...), il s*empresse de vous répliquer : Yeah, but at least you don’t have to shovel it (Oui, mais tu n’as pas a la pelleter). En disant qu’on n’a pas besoin de la pelleter, la pluie, ce quelqu’un envoie une boutade aux gens vivant dans les régions neigeuses. C’est: sir qu’on n’a pas besoin de la pelleter, la pluie, mais notre moral doit la charrier durant de longues heures et de nombreuses journées, ce qui revient au méme ou au pire. Et comme si cette boutade n’était pas suffisante, ce quelqu’un vous dira : I'll take rain any day ! (De la pluie, j’en prendrais n’importe quel jour !). Je crois qu’ici certains quelqu’uns sont masochistes. C’est ce qui fait pour moi la beauté des gens et des montagnes d’ici : la démesure. “Le temps du lavage terminé, j’ai mis mon linge dans la sécheuse puis je me suis assis sur la machine, pour me réchauffer, tout en révant du soleil, 4 sa vitamine C naturelle, 4 ma grippe quis’en irait alors sans broncher... Aprés métre blotti une heure dans la chaleur artificielle qui émanait de la sécheuse, je suis monté rejoindre Mademoiselle qui toussait comme une damnée dans les affres d’une grippe d’été. Pour lui remonter le moral qu’elle avait dans les pieds, je lui ai raconté des histoires plus ou moins drdéles de mon répertoire plus ou moins dréle. Elle riait seulement du nez pour éviter d’ouvrir la bouche et de tousser. A un moment donné, je lui ai dit, comme ¢a, qu’il existait en fait 35 sortes de pluie. Ha ouais ? Elle a serré ses belles dents blanches et ¢a m’a coupé l’inspiration, je n’ai pas épilogué plus loin sur la question. Ca tombait bien, car au méme moment une voiture m’attendait en bas pour déménager mes petits bagages de Vancouver 4 Coquitlam, pour changer mon mal de place... Je vais y faire de beaux p’tits voyages. DENIS GILBERT Echo de France - Cher Soleil, je vous écris de Paris. - Quelle chance vous avez ! Parlez-nous un peu de Paris ! - Paris est gris mais poétique, magnifique mais pollué, comme toujours. Des hommes en vert balaient sans arrét les trottoirs, ce qui ne vous dispense pas de veiller & ne pas mettre le pied sur une crotte de chien. A Paris, comme vous le savez, il y a le meilleur et le pire, Part et la laideur, les rues encombrées de voitures et la verdure des jardins. Mais je veux surtout vous parler de la TGB. - La TGB ? Est-ce un nouveau syndicat ? - Comment ! Vous ignorez ce qu’est la TGB ? Mais c'est la GBF ! Ou la NBN si vous préférez. Autrement dit la Trés Grande Bibliothéque, ou bien la Grande Bibliothéque de France, ou encore la Nouvelle Bibhiothéque nationale. Bref, le dernier-né des Grands Travaux de la capitale francaise, le précédent étant la Grande Arche qui d’ailleurs, parait-il, serait sur le pomt de vaciller sur sa base. - Parlez-nous donc de cette Grande Bibliothéque ! - Elle est effectivement trés grande. Imposante. Celle de Vancouver serait perdue dans son immensité. Elle peut contenir des millions de livres et elle a cofité plusieurs milliards de francs (je jongle mal avec de tels chiffres). Son architecture est majestueuse : quatre tours de verre dont chacune a la forme symbolique d’un livre ouvert et, au centre, un jardin plein de charme qui donnera aux lecteurs et aux chercheurs impression de travailler 4 orée d’une forét. Car c’est presque une forét, ces 130 pins transplantés 4 P’Age adulte et qui ont coité la bagatelle de 50 millions de francs ! On ne se mouche pas avec des pincettes 4 la TGB ! - Vous étes-vous promenée dans ce jardin ? ’- Vous voulez rire ! Personne n’y mettra les pieds ! I] est la seulement pour la vue. Une vue un peu chére, évidemment... Mais enfin il faut avouer que l’architecte Dominique Perrault a congu ce réceptacle du savoir avec un réel sens artistique. - Tout est donc parfait ? - Kuh... - Vous faites des réserves ? - Les artistes n’ont pas forcément le sens pratique. Lorsqu’on arrive au pied de ce fameux édifice, on se demande d’abord si l’on n’a pas fait une erreur d’aiguillage. Sommes-nous a Paris ? Ou a Chichen Itza ? Car la base de cette architecture vous domine du haut de ses trois volées de marches. Pour entrer, il faut se résigner a gravir cet escalier. - N’a-t-on rien prévu pour les handicapés ? - Si. L’un des cétés de ce quadrilatére est accessible de plain-pied. Enfin... sera accessible quand l’avenue de France sera construite... dans quelques années... Donc, vous arrivez sur l’esplanade, au niveau des tours. Elle aussi est immense, cette esplanade. Et tout en bois exotique - de l’ipé, m’a-t-on dit -, une essence rare du Brésil importée 4 grands frais. Impression de richesse dans la rusticité. J’ai trouvé cela trés beau. Le seul ennui cest que ce bois, lorsqu’il est mouillé, est particuliérement glissant. Il est préférable de choisir un temps sec pour y évoluer, sauf si vous aimez réellement le patinage. Cette visite terminée, il faut bien sir descendre les trois volées de marches du temple mexicain. Les mains courantes sont rares, les marches étroites et, ce qui n’arrange rien, elles sont du méme bois que l’esplanade. Done, ayez bien l’oeil sur vos chaussures antidérapantes, combattez toute idée de vertige, cramponnez-vous & une rampe car, en bas, c’est l’avenue et ¢a roule vite. Néanmoins, si vous vous trouvez a Paris, un jour de pluie, allez quand méme visiter ce temple de la culture. C’est un must comme on dit a la télé. Allez-y sans crainte, méme si vous avez oublié vos performances sur la patinoire. Car on m’a assurée que vous trouverez sur place des pompiers, des secouristes, des bandes Velpeau et des béquilles. A Dieu va ! Que serait la vie sans l’aventure ! PERNEULE SEvy a