12— Famine _ L’autre Ethiopie Par Dominique Eudes Depuis la grande sécheresse de 1973, la pluie n’est plus jamais tombée comme avant. Les enfants continuent a nai- tre sur la crotte craquelée, rongée jusqu’a l’os de ce qui était la bordure verte. du désert. Sahel signifie en arabe rivage, littoral. C’était la fin de l’univers minéral, le mi- racle de l’eau qui faisait surgir les vrais arbres aprés les mirages de la soif. C’est devenu la derniére conquéte du sable qui pousse inexora- blement vers le sud ses vagues de dunes stériles. Des villages qui paressaient dans les pal- miers sont devenus aujour- d’hui des cuvettes remplies de sable bralant et dépend ant du sinistre diagramme de mai- greur utilisé aussi en Ethyopie. Sur la balance qui a été suspendue a une potence fixée au flanc de la Land Rover, parce que les derniers arbres dont on utilisait les branches sont morts, un bébé aux yeux immenses ne comprendra ja- mais pourquoi il ne fait pas le poids qui lui aurait donné le droit de survivre. Appuyé contre la voiture, un panneau expose une sorte d’arc-en-ciel. La bande la plus basse est rouge, celle du centre, jaune; et la plus haute, verte. C’est ce qu’on appelle le “diagramme de miaigreur”. En abcisse figure la taille des enfants, en ordonnée leur poids. Dans la zone verte, il est normal, dans le jaune, c’est l’alerte, et, dans’ le rouge, la situation est dramatique. Dans les villages et dans les campement des nomades ov les statistiques naviguent souvent entre le jaune et rouge, une équipe francaise de Médecins Sans Frontiéres mesure la détresse, donne les premiers soins et déclenche auprés des autorités de Nouakchott l’envoi de subsides. L’antenne médicale est basée a Aioun El Atrouss, dans la province du Hodh El Gharbi, au sud-est de la Mauritanie. Aujourd’hui, cet- te région, comme tout le Sahel, nest plus quun immense camps de réfugiés de la famine ow la population ne peut survivre que grace a Vaide venue de |’extérieur. Dans le désert, l’approche des campements se 'signale par des hordes fantomatiques de vaches cherchant avec un entétement déchirant un in- trouvable brin d’herbe dans la terre mise a nu. La pesée des enfants a lieu en méme temps que les consultations. El 1a Le Soleil de Colombie, vendredi 14 décembre 1984 Le drame éthiopien ne saurait faire oublier les autres pays africains qui, eux aussi, meurent de faim et de soif. Ainsi la Mauritanie, située au sud du Maroc, est attaquée chaque jour un peu plus par les sables du Sahara qui recouvrent petit a petit ce qui futilya plusieurs décennies une région relativement fertile: Un village de la brousse. Autrefois, c’était une arbres sont morts. Plus aucune culture n’entoure quelques années, subvenait a ses besoins. encore, la sécheresse fait- ses ravages. La rareté des points d’eau ow tout le monde se regroupe favorise la transmis- sion des deux maladies les plus répandues aprés la tubercu- lose: la bilharziose et le filaire de Médine. Le bilharziose est provoquée par un ver qui pénétre a travers la peau par les pieds au contact de l’eau stagnante et se transmet a nouveau par ' Turine dans l’organisme. Le Promenade au temps passé filaire de Médine est égale- ment un ver qui est absorbé en buvant de l’eau. Il descend par les vaisseaux jusqu’aux pieds ow il forme des ulcéra- tions. Au contact de l’eau, les femelles pondent et contami- nent a nouveau l’environne- ment. Pour interrompre la chaine, il faudrait construire des margelles autour des puits. Mais l’eau des nappes souterraines, en voie d’épuise- ment, est de plus en ‘plus e Sahel. palmeraie. Aujourd’hui, la plupart des la petite communauté qui, il y a encore profonde et les bétes doivent étre désaltérées 4 1a main dans un va-et-vient €épuisant d’ou- tres et de seaux ow tout le monde piétine inévitablement dans les mémes mares. Les médecins font ce qu’ils peuvent pour sauver les vies humaines, mais leur défi face a une nature qui ne cesse de se stériliser ne fait qu’accroitre le probléme. Mais, il est impos- sible d’admettre sans rien faire une fatalité qui condam- me Le Paris des caléches Jadis, de. beaux traineaux dorés descendaient, l’hiver, les Champs-Elysées. C’était au temps ot Marie-Anteinette cachée sous sa pelisse de fourrure, allait patiner, in- cognito, sur la Seine. Nous n’avons pas connu - cette €poque, mais en revan- che nous connaissons les lacs gelés au Canada et les Ro- cheuses de dur diamant. Cer- tains d'entre nous ont connu ‘des hivers parisiens ow l'on patinait a l’orée Sud du bois de Boulogne, a deux pas de Longchamp et du _ = Pré Catelan. Et d’autres ont vu Paris sous la neige: toits d’ardoise du Louvre changés en toits d’hermine; Henri IV ‘du Pont-Neuf = enveloppé d’une écharpe blanche. Enfant, j'ai connu les Paris ‘ d’hiver, sans touristes, les patineurs sur la Seine, aujour- dhui teintée d’huiles aux reflets insolites et qui ne géle lus. Dans les vitrines enguir- andées de houx de la Samari- taine et des galeries Lafayette, de mignons trains Pulman s'enfoncaient dans les tunnels, — parmi les poupées et les soldats de plomb. Et, toute seule dans un étalage, une superbe auto bleue, pour enfants de riches et marchant a l’essence, rayonnait. Je n’ai plus vu, depuis cet age heureux, Paris sous la neige. Mais jy suis retourné de temps en temps, et son souvenir est devenu le critére de mon passage 4a travers d’autres capitales. C’est ainsi que j'ai trouvé Londres un Paris moins subtil, Mexico un Paris au plumage “tech- nicolor” dépenaillé par pla- ces. L'humour “cockney” qui fleurit sur les bords de la Tamise ne manque pas de piquant, mais demeure moins tillant, moins allusif que esprit parisien. Esprit “popu- lo” parfois: “Ah si je pouvais me coller dans le frigidaire!” (Une serveuse de restaurant, dans la chaleur torride du mois d’aoat). “Peins-moi ma gueule, tu gagneras un mil- lon!” (Un clochard, dans un bistro, 4 un peintre mont- martrois). Une jolie passante du marché-aux-fleurs retour- ne son panier sur sa téte pour se protéger de la pluie et me regarde d’un air moqueur. Elle n’a pas parlé, mais je lui trouve l’esprit parisien. Que dire de l’urbanisme a Paris? La métropole est assez étendue pour que le moder- nisme y trouve sa place sans trop de dommage. Des esthe- tes.se sont unis pour lutter contre cette intrusion. On les écoute parfois: L’Université de Paris a édifié de nouveaux édifices en-dehors, dans la Vallée de chevreuse. A Paris, les pierres sont ‘ toujours belles. De Gaulle et » Malraux se sont souciés de les faire poncer. A Londres, ov il pleut davantage, la pierre me parait plus grise; et 4 Mexico plus fauve, comme brdlée par les sables du désert. Paris! La meuliére de 1’Tle- de-France! Vue en poéte, elle prend, les soirs d’été, sous les toits d’ardoise, des _ tons “gorge-de-pigeon”. Et son as- semblage en monuments, édi- fices et fontaines raconte I’his- toire de France. L’Arc de Triomphe: Napoléon. La Sainte-Chapelle: le Moyen Age, le quartier Latin: Francois Villon, la_- rue d’Antin: Balzac et les jolies femmes dans leurs somptueu- ses caléches. L’'Ile-Saint-Louis sommeille sous ses feuillages. Elle semble prétre 4 remonter la Seine, comme les barques des anti- ques nautoniers qui ont fondé la ville. Car Paris c’est la Seine. Magiques les traversées par une riviérel! Elles sont doubles: elles- mémes, et leurs reflets dans l’eau. Penchés sur les parapets des ponts de Paris les poétes y révent de voyages imaginaire: ou d’amours perdues. f Pour conclure, rappelons cette phrase de Colette: ‘“‘Ce- lui qui se voue a une ville, s’il a l’age de l'exaltation, s’a- dresse 4 son fleuve.” villes ' nerait, dans l'ensemble de l'Afrique, des millions d’étres humains. Pourtant, les chif- fres ressemblent a un terrible décret du destin. La Mauritanie compte au- jourd’hui 1 730 000 habitants. La mortalité infantile, c’est-a- dire le nombre d’enfants qui meurent avant un an, est de 190 pour mille. Presque un sur cing! Et pourtant, la population continue 4a croitre au rythme de 2% par an. Paradoxalement, ce n’est pas tant la poussée démographi- que humaine que l’augmenta- tion du cheptel qui épuise la terre. Les progrés dis a la vaccination des troupeaux ont fait des ravages. Trop de vaches maigres arrachent les derniéres touffes d’herbe avant de se dessécher dans le désert pour que soit envisa- geable le retour des vaches grasses. Avant de retourner au minéral en devenant ces sque- lettes blanchis par le soleil qui jonchent les pistes, elles ont épuisé la terre. En Mauritanie, les récoltes de céréales ne dépasseront pas, cette année, dix mille tonnes, alors que les besoins calculés sur des rations de survie sont de l’ordre de deux cent-dix mille tonnes. Il y aurait de quoi désespérer si seuls les caprices assassins de. la météo étaient responsables. Mais, heureusement, ce n’est pas si simple. A la sécheresse est venue s'ajouter la “déser- tification”, (l’exploitation sauvage de la forét) ce crime contre la vie dont les hommes sont irréfutablement _large- ment responsables et qui n'est pas irréversible. Les projets les plus ambi- tieux, mais peut-étre pas les plus fous, ont été élaborés. On a envisagé de mobiliser d’im- menses flottes de remorqueurs pour ramener des icebergs des mers polaires et venir les faire fondre dans 1’Atlantique. Ils feraient baisser la pression de l'anticyclone et leur évapora- tion formerait des nuages qui seraient poussés vers le désert. On a imaginé un immense tremplin de plusieurs cen- taines de kilométres qui pro- pulserait les vents dans la haute atmosphére. Le résultat serait d’éviter l’érosion éolien- ne et de provoquer le refroi- dissement et la condensation de ces masses d’air bralantes qui se transformeraient en pluie. La grande sécheresse de 1969 a 1973 et la quasi sécheresse des sept derniéres années risquent de battre tous les records de la misére. Et, toute l’Afrique qui était pres- que capable de satisfaire ses besoins agricoles, il y a trente ans, ne survit aujourd’hui que grace a l'aide alimentaire mondiale dont elle absorbe plus de la moitié des dona- tions. Mais, la sécheresse n’est pas seule responsable et, a elle seule, n’aurait pas transformé en désert cette bande de trois cent-cinquante kilométres de large qui marquait la fin du Sahara. Les hommes de plus en plus nombreux, de plus en plus fixés par des états qui les empéchent de transhumer avec leurs troupeaux vers les zones fertiles ont détruit 1’é- quilibre fragile de leur terre. Ils ont coupé les arbres pour faire du feu et, quand il n’y a plus d’arbre ni de racines pour la retenir, la terre balayée par le vent est ravagée. Ils ont creusé des puits et créé de nouveaux pdaturages, mais leurs troupeaux, grace aux vaccinations, se sont dévelop- pés plus vite que les maigres prairies qui pouvaient les nourrir; ils ont fait ce que les spécialistes appellent du “sur- paturage” et ils ont laissé derriére eux des espaces qui risquent de rester 4 jamais arides. Cette année, depuis le mois de juin, il a enfin plu, mais la terre craquelée n’absorbe plus que trés mal l’eau et une grande partie s’évapore au lieu de s’infiltrer pour alimen- ter les nappes phréatiques. Pour enrayer ce cycle infer- nal, on a trouvé des arbres Magiques, certaines espéces d’eucalyptus qui ne deman- dent pratiquement pas d’eau et poussent trés vite. On a appris aux nomades 4 cultiver des légumes qu’ils ne connais- saient pas et qui leur permet- taient de subvenir a une partie de leurs besoins entre deux récoltes de mil. Il faudra longtemps pour retrouver ou créer un nouvel équilibre de la nature. En attendant, le sable qui tue pénétre par tous les interstices jusque dans_ les locaux du C.r.e.n. et de l’hépital d’Aioun ot quatre Francaises de Médecins Sans Frontiéres pésent et soignent sans relache des bébés a la recherche d’un autre équilibre minuscule et sacré, intrans- gressible et urgent: celui d’une simple ration de survie qu’implore chaque fois le regard d’un enfant affamé. ~ Lettres, arts et spectacles (suite) “Beverley Hills Cop”’ Suite de la page 11 a Beverley Hills, ot il pense trouver la solution du meur- tre. Le reste de l’histoire est une habile combinaison de roman policier et de comédie, et le résultat est lune des meil- ° leures comédies sorties sur les écrans récemment. Quand on pense que c'est Sylvester Stallone qui devait jouer le réle principal, on se rend compte que ¢a aurait été une erreur. Eddie Murphy méne le film du début jusqu’a la fin et c'est son sens de |’humour qui fournit tout le plaisir qu’on a a le voir. Sorti plus tét dans l’année, “Beerley Hills Cop” aurait tout de suite été un grand succés, mais lancé en compétition avec “Dune” et “2010”, ce n’est plus aussi sir. Le meilleur film de la semaine, c’est une comédie de premiére classe. (8% sur 10) “Beverley Hills Cop” joue au Capitol 6, Lougheed Mall, Eagle Ridge 6 et Willowbrook 6. Eddie Mure “Berverley Hills Cop”