14 - Le Soleil de Colombie, vendredi 24 février 1989 VPAUTEUR DU MOIS Par Eliane P. Bouton Une femme a_|’Académie francaise! Ce bastion du conservatisme, aussi fermé qu’un Club anglais, défenseur hors du temps de la pureté de la langue, |’Académie frangaise en 350 ans d’existence ni’avait jamais vu cela! En 1980, cette nouvelle secoua comme une | bombe les milieux littéraires francophones et fut ressentie ; comme une bouffée d’air frais dans la poussiéreuse (et véritable) institution. Rien n’était prévu pour y recevoir une femme, méme l’uniforme dd étre redessine. Quelle est donc la femme qui eut cet exceptionnel honneur? Elle est connue sous lenomde | Marguerite Yourcenar, mais son vrai nom était Marguerite de Z Crayencour, transformé en Yourcenar par anagramme. Née avec le siécle, ou presque (1903), elle mourut |’an dernier en 1988, ayant traversé le vingtiéme siécle sur une voie solitaire, a l’écart des grands Dans cette oeuvre, je choisirai deux romans, les plus beaux de Marguerite Yourcenar: «Les Mémoires d’Hadrien» (1951) et |’«Oeuvre au Noim (1968). Roman historique, «Les Mé- moires d’Hadrien» sont les mémoires imaginaires de |’Em- courants littéraires. Desapetite .. enfance a Bruxelles, elle garda le tempérament d’une fille du nord, d’une fille des Flandres. Sa mére, belge, mourut a sa naissance et au cours d’une enfance solitaire a Paris, Marguerite Yourcenar reporta sur son pére toutes ses affections, jusqu’a faire une sorte de héros presque mysti- que de Michel de Crayancour, joueur, aventurier et peére fascinant. Il fit donner asa fille une éducation extrémement soignée a la fois classique (latin, grec, histoire, philoso- phie) et moderne (anglais, italien, grec moderne) et ces vastes connaissances donnent a loeuvre de Marguerite Yourcenar un _ cachet bien particulier et une rare élégance de style. C’est une oeuvre multiple, du roman alapoésie, des piéces de théatre aux traductions d’au- teurs anciens et modernes, reflétant, comme son esprit, une vie sans frontiéres qui la conduisit de la Gréce a l'Italie et ala Suisse, pour finalement se fixer aux Etats-Unis en 1958 dans la petite ile de Mount Desert, au large des cdtes du Maine. Sa Be 4 «Le poéte c’est quelqu’un qui est en contact, a travers qui passe un courant». pereur romain du 2e siécle. Arrivé a la fin de sa vie, au «moment ot |’homme qui vécut cette existence la soupése, l’examine, est pour un instant capable de la juger», Hadrien nous semble étonnamment présent dans sa _ grandeur d’empereur, ses _ cruautés d’homme de guerre, sa quéte de connaissances sur lui-méme et sur l’univers, sa recherche du plaisir et sa passion pour le jeune Antinous. A travers cet homme qui s’interroge sur lui-méme, Marguerite Yource- nar fait revivre toute une lointaine @poque, sans que jamais sa prodigieuse érudition et ses années de recherches n’alourdissent le récit. L’emploi AU THEATRE QUEEN ELIZABETH de la premiére personne nous permet de nous identifier a Hadrien dans sa progression vers la sagesse et comme lui nous pouvons «choisir ce que nous avons et le godter le mieux possible». Ainsi, «les plus mornes travaux s’exécutaient sans peine pour peu qu'il me plat de m’en éprendre. Dés qu’un objet me répugnait, j’en faisais un sujet d’études ; je me forgais adroitement a en tirer un motif de joie». Au seuil de la mort Hadrien atteint cette sérénité qu’il a cherchée toute sa vie. A la_ différence d’Hadrien, personnage réel et détenteur d’un pouvoir absolu, «l’Oeuvre au Noir a pour héros un personnage imaginaire, Zénon, vivant dans |’effervescence du 16e siécle. (Empruntée au vocabulaire des Alchimistes, «oeuvre au noim était une phase de la transmutation des métaux en or). Dans une Europe bouleversée par les guerres Les 17 et 18 Mars, André- bale! Balke Robe