VOYAGES La tapisserie de Bayeux Par Jean-Claude Boyer Paris, 24 septembre 1984. Excellente nuit a |’étage- résidence des religieux de Sainte-Croix - mon ancienne communauté. Je me_ sens follement amoureux de la vie. Avant de partir pour Bayeux (berceau des ducs de Norman- die), je m’entends avec une soeur du frére D’Amour (en vacances en France) pour qu’elle emporte a, Montréal un petit carton d’effets personnels que je reprendrai ala fin de mon tour du monde - dans un an. Le train m’emporte bient6ét vers le Calvados, au nord-est de Paris. Je compte ne retourner dans la capitale que dans trois semai- nes. Les wagons sont bondés. Sans mon Eurailpass de premiére classe, il me faudrait sans doute rester debout. Je jette les yeux tantdét sur les paysages ‘champétres, tantdt sur mon recueil de mots croisés. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, méme si le temps se fait de plus en plus maussade. Arrivée a Bayeux. Dés que je sors dela gare, une gréle subite me force a revenir Sur mes pas. Le ciel se dégage rapidement ; lesoleil brille. Jeme retrouve-au Syndicat d'Initiative, superbe ~maison a colombages du XVe siécle, rue des Cuisiniers. On y est fort bien accueilli. Je monte ensuite dans un autobus pour me rendre a Saint-Laurent-sur- Mer, sur la cdte normande, visiter le grand cimetiére américain. A mes cdtés, une paysanne joviale au langage coloré. Les chaumiéres d’autre- fois semblent rarissimes. Sou- dain, grosseondée, suivied’une percée de soleil. Les cieux normands ont décidément Ihumeur changeante. En arri- vant a Saint-Laurent, la paysan- ne me. lance: «J>patoise beaucoup, hein?» J’ai envie de lui repondre: «C'ta ben |'fun de tentend’ placotter!» (En fran- cais «déjoualisé»: «C’était trés amusant de vous écouter bavarder».) Me voila maintenant debout devant une mer de_ croix blanches alignées pour |’éter- nité. Il y en aurait 9385! Un Américain raconte a un gardien sa participation au fameux débarquement du 6 juin 1944. Monument commémoratif ot eurent lieu - il yaapeine quatre mois - les cérémonies du quarantieéme anniversaire. Je sens gronder en moi lahaine de ‘la guerre. Que faire, personnel- lement, pour aider a assurer une paix durable dans le monde? L’essentiel: vivre en paix avec moi-méme d’abord, et aimer mon prochain, surtout sil devient mon ennemi. Promenade méditative. J’aper- cois une plaque sur le sol: «To be opened June 6, 2044» (ouvrir le 6juin 2044). Cette année-la, je serai centenaire Aun mois prés - si Dieu le veut. Temps triste, silence funébre. Je renonce a - visiter les cimetiéres anglais et canadien. Retour a Bayeux en autobus, belle place assise pres du chauffeur. Celui-ci a la langue bien pendue. Il tourne conti- nuellement la téte vers moi. Plaidoyer contre les commémo- rations «codtteuses» de juin ‘dernier: «La France n’a pas les moyens...» Envolée sur les «défaites et conquétes des Anglais», qui devient vite une sorte de labyrinthe verbal. J’apprends que les habitants de Bayeux sont appelés Bayeusins ou... Bajocasses. Le chauffeur me raconte enfin qu’on vend des petits sacs de sable provenant des plages de Normandie. Comble de |’exploitation et du ridicule. En descendant de|l’autobus, je décide de visiter d’abord la cathédrale Notre-Dame (du Xle au XIXe s.) avant de me rendre au musée de la célébre «tapisserie de la reine Mathil- de», principale attraction de la ville. Ce bel édifice est, dit-on, trés représentatif de l’école gothique normande. Tour cen- trale de style flamboyant (XVe s.), couronnée d'une sorte de bonnet. J’admire un pignon tres décoré, deux tympans (Passion et Jugement dernier), des. .anges- cdtoyant des vieillards. A\’intérieur s’harmonisent les styles gothique et roman. De hautes fenétres peuvent laisser pénetrerle soleil en abondance. La décoration des grandes arcades serait un exemple typique de la sculpture romane normande. Bas-reliefs d’in- fluence orientale. Peintures expressives: «Vie de_ saint Nicolas» et «Crucifixion». Ma- gnifique choeur a trois étages. Triforium trés oubragé. Maitre- autel digne de la solennité du saint lieu. J’observe encore stalles, grilles de fer forgé, chapelles, fresques, avant de descendre dans la_ crypte (Xle s.) ou je remarque, entre autres, de beaux vestiges de fresques du XVe siécle. Plus tard, en entrant dans le ‘trouve la Centre Culturel (majestueux batiment du XVille s.) ol se «tapisserie de Bayeux», j’entends du québeé- cois. Ce sont deux couples de Trois-Riviéres qui deviennent mes compagnons de visite. Demi-prix grace a ma carte d’étudiant. Nous visionnons d’abord un montage audio- visuel captivant, indispensable pour apprécier l’oeuvre a sa juste valeur. Fort impressionnante, cette broderie du Xle siécle! Elle est exposée sous vitrine dans une vaste salle spécialement amé- nagée pour elle. Ses dimen- sions: 70 m de longueur et 50 cm de hauteur. Exécutée en laines de couleur sur une bande de toile delin, elle illustre en 58 scénes saisissantes de vérité toute I’histoire de la «grande épopée normande» (conquéte de |’Angleterre, 1066), qui vaudra a Guillaume le surnom de «Conquérant». Inscriptions latines ortographiées a la saxonne en «sur-titres». Bordu- res brodées d’animaux fantasti- ques ou de motifs se rapportant aux scenes principales. La vivacité des coloris et le sens aigu du mouvement caractéri- sent d’emblée cette «longue bande dessinée». IIn’'y aque nous cing (les deux couples et moi) dans fa salle d’exposition. Chacun y va librement de son petit commen- taire comique, subtil ou carrément stupide. Les Triflu- viennes se pament devant l'infinité de détails minutieux («Veux-tu ben mire, Jeannet- te, comment c’quy ont fait’ pour tout’ faire ¢ca a _ main!»), s’amusant a différencier les Anglais moustachus des Nor- mands aux nuques nues. Quant aux maris, ils ridiculisent a loisir la raideur des queues de cheval, la naiveté des affronte- ments guerriers, le cadavre décapité... Les fléches indi- quant le sens de la visite inspirent a l’un d’eux ce trait d’humour douteux: «Y nous prennent-tu pour des sauva- ges?» Les plaisanteries attei- gnent leur paroxysme lorsque chevaux et cavaliers normands s’enchevétrent dans une confu- sion tragique. Pour ma_ part, je suis particuliérement frappé par la beauté plastique de certaines scénes: embarquement et traversée de Harold, mort et enterrement d’Edouard le Con- fesseur, apparition de la cométe, construction de la flotte, traversée et marche vers Hastings, cuisine et repas, bataille... Le nom latin DINAN- TES miaccroche l'oeil; j'ai justement visité Dinan a la fin d'aoat. Cette splendide broderie - faussement appelée «tapisse- rie» et faussement attribuée ala ‘reine Mathilde - constitue le document le plus précis et le plus vivant qu’ait légué le Moyen Age sur les navires, les armes et, en général, les moeurs de |’époque. C’est 1a, selon l’expression curieuse du guide Michelin, un «document d’une saveur unique». Avant de quitter le musée, nouS nous_ retrouvons a nouveau devant la_broderie, sectionnée cette fois en... cartes postales. Choix difficile. Autant procéder a |’aveuglette. Echange de «saluts», et me revoila seul sous le ciel chagrin. Longue promenade. Rue du Bienvenu: jolie maison de bois avec sujets sculptés. Manoir a tourelles du XVe siécle. Place du Général-de-Gaulle: colonne commémorative du discours du 14 juin 1944. Je remarque des lavoirs le long de |’Aure, dans laquelle se mire la «tour au bonnet». Deux vieilles Bajocas- ses vétues de noir «jacassent» pres d’un pont. Il est temps de reprendre le train. Bayeux s’éloigne bientét, me laissant songeur. Cette ville ancienne fut la premiére de France a étre libérée par les Alliés le 7 juin 1944, et l’unedes moins éprouvées par la guerre. Dieu veuille que mon grand pays ne connaisse jamais ce fléau. Je tourne ensuite mes pensées vers manouvelle destination, Le Havre, fondé par Francois ter sous le joli nom de «Havre-de- Grace». BONNE ANNEE! Au nom du Conseil municipal de Vancouver, je tiens a vous offrir mes meilleurs voeux a vous et votre famille. En cette période de paix, d’espoir et de bonne volonté, prenons le temps de renouer avec notre engagement pour créer un monde ited meilleur pour nos enfants. Gordon Campbell Maire Ville de Vancouver ‘MIKE HARCOURT 903 Commercial Drive, Vancouver, C.B. V5L 3W8 Emery, Beckie et Justin se joignent a moi pour vous souhaiter nos meilleurs vOeuXx de Noel. Mike Harcourt 253-7902 ra Ag i i in, is il Ui ip tlt la i I Stitt A nee tn ia