8 Le Soleil de Colombie, Vendredi 24 Février 1978 30 P’TITES MINUTES avec Florian Carriere e La Patente ou (Premieére partie) L’Ordre de Jacques Cartier En 1927 était fondé a Ottawa un organisme qui a suscité pendant plusieurs années la curiosité d’une foule de gens, tant par l’importance de son action a Péchelle nationale que par la discrétion avec la- quelle ses membres (inconnus des non-initiés) en as- suraient le fonctionnement. Quel a été son impact véritable au sein de la société francophone du Canada? | Par quelle formule magique cet organisme, qui avait quand méme pignon sur rue sous le nom de POrdre de Jacques Cartier, a-t-il pu regrouper par- tout a la fois autant de compétences? Le témoignage de Florian Carriére, un ancien membre actif de plusieurs cellules outaouaises de “la Patente’’, apporte beaucoup de réponses aux questions qui surgissent. : Cinquante ans plus tard, que reste-t-il de Ordre de Jac- ques Cartier? Je ne crois pas que ¢a vive ou que ce soit; du moins sur le double plan national et provincial. On m’a dit qu’il y aurait encore quelques cellules isolées dans l'Ouest cana- dien, dans le Nord de !’Ontario et peut-étre au Nouveau- Brunswick. Au Québec, l’Ordre — “‘la Patente” — se serait scindé pour laisser place a l’Ordre de la renaissance et a l’Ordre de Jean-Talon. A V’heure actuelle je suis sans nouvelles de quelque organisme ou groupuscule que ce soit, mais je crois qu’un certain noyau continue a exister. Cette dissolution date de combien d’années? D’une dizaine d’années. Vers 1968-1969, VOrdre avait cessé d’exister a titre d’organisme national, parce que cer- tains membres souhaitaient que l’action se continue a le- chelle strictement provinciale. Cette régionalisation, pour employer un terme connu, aurait donc entrainé la disparition des cellules provin- ciales? . Dans la plupart des provinces, les cellules ont fait un temps et se sont mises a disparaitre graduellement. Tout ce qui reste, de fait, ce sont des fonds administrés par des syn- dics, et ces fonds devraient ‘servir éventuellement a 1’Or- dre, en tant qu’organisme indépendant, ou étre remis en partie a d’autres institutions francophones. Quelle pouvait étre l’actif de “‘la Patente’’, au moment de sa dissolution? L’actif de Ordre n’a jamais été trés trés important, parce qu’on avait pour principe non pas de dépenser folle- ment argent, mais de lutiliser au fur et a mesure pour créer des organismes francophones ou envoyer des déléga- tions a Rome ou ailleurs pour défendre les intéréts des Canadiens francais 4 travers le Canada. Lors de la dissolu- tion, on avait donc certains montants, et VOntario a herite, je crois, de $25,000. Les sommes recueillies correspondaient-elles a un pro- rata? Qui, mais pas a celui d’une population provinciale ou régionale. En réalité, on fixait un montant per capita pour les membres d’ une méme province, et on se retrouvait avec un budget viable, normalement grossi par des dons percus iciet la. z Et la part du Québec dans tout ca? C’était la plus importante. Je n’ai pas d’ordre de gran- deur, mais j’imagine qu’elle a di facilement dépasser les $100,000. Avec l’argent amasse chaque année, on a pu acheter un immeuble a Ottawa. Sa vente, rendue néces- saire a la suite des événements, a rapporté un montant ap- préciable; ce qui a permis de créer des fonds de réserve et d’effectuer un certain nombre de placements. Quel était le montant du budget annuel? Le montant réel du budget de l’Ordre? Je ne l’ai jamais connu. C’était trés difficile de savoir de quel ordre il était, puisque seuls les chanceliers avaient acces a ce genre de renseignements. Lorsque vous parlez de la propriété que !’Ordre avait a Ot- tawa, faites-vous référence a un édifice connu? Oui. II s’agissait d’un édifice de la rue King Edward, sans caractéristiques particuliéres, qui existe encore. L’Or- ‘dre de Jacques Cartier y avait ses bureaux au premier étage, tandis que le second était loué comme appartement. Le batiment est situé prés du bain Champagne (pour ceux qui sont familiers avec ce secteur de la ville). Une société secréte? L’Ordre a été fondé en quelle année? En 1997. C’est le curé de la paroisse Saint-Charles, a Ot- tawa, monseigneur Barette, qui en a été Vinstigateur. Il a été appuyé par quelques fonctionnaires et des hommes d’af- faires qui trouvaient que la place des francophones dans la fonction publique fédérale n’avait rien d’exorbitant. Ils avaient accompli leurs premiers efforts en cdtoyant des Francs-macons, et en réussissant a obtenir leur livre de reglements et d’initiation. C’est a partir de ces reglements que |’Ordre a éte structuré, avec cette différence fonda- mentale que les éléments francophones et catholiques y étaient incorporés. Comment ont-ils pu se procurer Ces documents, sachant que les Francs-macons sont anti-francophones et anti- catholiques? L’histoire ne le dit pas. On présume qu’ils les ont sub- tilisés ou encore qu’un Franc-magon a fait du “coulage’’. Ca arrive n’importe ou ¢a! A partir de la, l’Ordre s'est défini comme étant un organisme francophone au service des Canadiens frangais. Dans ce temps-la, on ne parlait ni de Québécois ni de Franco-ontariens. Tous les francophones du Canada étaient des Canadiens frangais. Il faut admettre cependant qu’étant en majorite au sein de ‘‘la Patente”’, les Québécois ont eu beaucoup d’influence sur orientation nationale du mouvement, et cette situation était considérée comme tout a fait normale. L’Ordre avait-il un caractére secret, de société fermée? Au tout début, évidemment, on ne choisissait qu’un tout petit nombre d’initiés. Cette pratique s’est d’ailleurs con- tinuée pendant assez longtemps. Ce n’était ni un organisme politique, ni un mouvement appelé a se populariser. L’Ordre avait d’abord été fonde pour s’occuper des postes des francophones dans la fonction publique de la capitale nationale. Au fur et a mesure qu’il s’étendait d’une province a |’autre, Ordre en est arrivé a s’occuper des problemes de tous les francophones du pays. On a beaucoup parlé de secret quant a la devise de l’Or- dre, mais a l’intérieur du mouvement on parlait surtout de discrétion. Il y a une nuance. En pratique, il nous était per- mis de dire certaines choses en ne soulignant pas d’ou ¢a venait. Evidemment, on a exagéré a un moment donné, et “on” ne voulait méme pas qu’un individu dise a sa femme ou il allait. G’a pu créer certaines ambiguités, mais s’il était le moindrement intelligent, il pouvait parler de la par Guy O’Bomsawin Saint-Jean-Baptiste, de la Chambre de Commerce, etc. Plus tard, on a quand méme compris qu’il fallait que ce soit plutét une question de discrétion, et non pas une affaire de secret absolu. Y avait-il des amateurs d’espionnage et de contre- espionnage? Qui, les ‘tagents doubles”’ existaient, comme chez les Franc-magons, les Chevaliers de Colomb, partout. Mais Ordre, quoi qu’on en dise, n’était contre rien ni personne en particulier, mais militait plutét en faveur des Canadiens francais. Par le fait méme, il devait voir A ce que les nétres aient leur propre place au soleil. était une certaine forme de protectionnisme? Oui et non, mais comme nos hauts fonctionnaires fran-: cophones étaient plutot rares, et comme ils étaient assez surveillés, c’était quand méme assez difficile d’agir autre- - ment! Pouvez-vous en nommer de ces hauts fonctionnaires? Plusieurs d’entre eux sont morts. Il y avait ancien im- primeur de la Reine, Monsieur Cloutier; il y a eu Monsieur Desormeaux, ancien premier secrétaire de |’Assurance- chomage.. . En fait, la plupart de nos hauts fonctionnaires et sous- ministres francophones, s’ils n’étaient pas membres de Ordre, étaient au courant de ses activités et entretenaient _ des relations avec ses membres. Et favorisaient les francophones dans leur milieu... . en autant que faire se pouvait, parce qu’ils n’a- vaient pas tout le systeme avec eux. Ce qu’ils pouvaient faire, c’était d’informer l’Ordre des postes qui pouvaient. étre offerts, afin qu’on renseigne nos membres et qu’ils se portent candidats. La collaboration se faisait surtout a ce niveau-la. Pins Florian Carriére, d’Ottawa, est un ancien membre actif de plusieurs cellules outaouaises de VOrdre de Jacques Car- tier. I] oeuvre toujours pour le mieux-étre des fran- cophones, a titre notamment de membre du Conseil de la vie francaise en Amérique et en tant que nouveau président du Conseil des écoles séparées d’Ottawa. : SUITE ALA PAGE 10 (Ces textes sont fournis parle Secrétariat d Etat) a