' Le Soleil de Colombie, vendredi 8 janvier 1988 - 11 Le colis Par Jean-Claude Boyer (Le 15 avril 1985, j’achéte, a Fatehpur Sikri (nord de I’Inde) , onze coffrets 4 bijoux en marbre finement ciselés 4 la main, de formes et de couleurs variées - pour 40$ US! Je prévois de poster le colis de dimension moyenne le. lendemain, en arrivant 4a Varanasi. Or, jy arriverai drogué, inconscient, argent et passeport volés. Je dois donc me rendre dans la capitale indienne, a seize heures de train, pour obtenir un nouveau passeport et le remboursement de mes chéques de voyage. American Express ayant refusé de me rembourser avant d’avoir com- plété son investigation, je ne pourrai retourner a Varanasi, ou j'ai laissé colis et sac 4 dos, que le 4 mai, grace a l’argent que m’a télexé un de mes fréres.) Varanasi, le 6 mai 1985. Le soleil est excessif. Je monte dans une rickshaw a pédales pour aller poster ma boite oblongue. Le chauffeur, qui connait (comme tout le monde, me semble-t-il) mon histoire de café drogué, refuse catégoriquement de fixer a l’avance le prix de la randonnée. «Tu me donneras ce que tu voudras», insiste-t-il. Nous nous rendons d’abord chez un tailleur, le colis devant étre emballé dans del’étoffe. Ce tailleur n’a que des tissus aux couleurs voyantes. Un ' autre n’est’ pas chez-lui. Nous devons donc nous rendre a la cabane d'un troisiéme. Une chévre maigrelette rumine dans la porte d’entrée; il lui faut une bonne taloche pour déguerpir. L’'Indien exige dix roupies (1$) pour un vieux morceau de linge sale qui ne recouvre méme pas les bouts du colis. Donc, quinze roupies pour un tissu blanc- créme tout neuf. Prise de mesures, tazllage, couture en forme de sac - au moyen d’une machine a coudre de musée. Le’ maitre tailleur s’asseoit sur le plancher de terre battue, aiguille et fil en main. La piéce est exigué, sombre, mais propre. Un gros perroquet vert nous toise dans un coin. Une souris passe, comme une fléche. Mon compagnon et moi atten- dons patiemment, assis au bord d’un grabat. Heureusement qu'il y a un €ventail au plafond pour contrer un tant soit peu la chaleur suffocante. (Nos assistés sociaux n’ont-ils pas _ leur télévision en couleur?) Une Indienne grisonnante vient s’as- seoir prés de son vieux, suivie bientét de sa fille, une belle déesse aux yeux tristes, portant un gros bébé heureux, les fesses a Vair. Mon chauffeur me bara- gouine quelques mots anglais de temps en temps. Les autres se taisent, ne parlent méme pas entre eux. Dés que je me mets a faire guili-guili au bébé, la grand-mére me le fourre dans les bras. On en est tout réjoui, le poupon le premier. Le tailleur en perd le fil! Et pour comble, je décide de prendre une photo de la famille, qui me fait aussitét promettre de la leur envoyer. Comment leur faire comprendre que si j'envoyais une photo a tous ceux quim’en demandent une, je devrais, 4 mon retour au Canada, investir un temps fou, sans parler d'argent ni d’énergie, juste pour satisfaire leur curiosité? Un bon RECIT D‘UN TOUR DU MONDE trois-quarts d’heure aprés notre -arrivée, le travail est enfin terminé, et bien fait. Mon chauffeur et moi remon- tons dans la rickshaw pour nous rendre a la poste ow nous abordons, en entrant, le préposé aux sceaux. Celui-ci est assis en yogi sur un plancher malpropre, un bout de chandelle dégouli- nant 4 ses cétés. C’est avec une dignité de souverain pontife qu'il fait dégoutter la cire sur les coutures du colis, y imprimant a mesure le cachet de la poste. La cérémonie achevée, je remets au célébrant, en plus de la petite somme qui lui est due, une généreuse offrande. Mon chauf- feur me fait ensuite pénétrer a lintérieur méme de la poste, derriére le comptoir, ow pas moins d'une vingtaine d’em- ployés se déplacent et gesticulent lentement parmi des amoncelle- ments de courrier. Trois d’entre eux trient un tas de lettres, assis par terre, causant et riant. Le préposé qui vient vers moi, un jeune joufflu aux cheveux gris, l’air ricanneur, me prévient que le bureau fermera dans un quart d’heure. Il se met dans la bouche un paan (feuille d’arbre pliée en quatre sur diverses essences que l’on suce comme un bonbon) et me répéte, la diction amochée, que la poste fermera dans quinze minutes. (Le chauffeur me confiera, en retournant a I’hétel, que «that fat guy» n’est efficace qu’a coup de pourboires.) Je lobserve examiner, peser, con- sulter, sortir des formulaires, griffonner, prendre son temps..., les lévres rougies par le jus des essences. Jexpédie ce colis par bateau; peu m’'importe qu'il arrive a destination dans_ six mois puisqu’il contient des cadeaux que je ne distribuerai qu’a Noél. L'Indien m’envoie 4 l’extérieur du comptoir pour acheter, 4 un guichet isolé, pour 131 roupies et 20 paisas (1,30$) de timbres. On m’en donne 26 gros de 5 roupies chacun, tous les autres étant épuisés, me dit-on. Quant a la roupie et aux 20 paisas manquantes, je dois les acheter a un autre guichet ou, aprés avoir demandé «1 rupee and 20 paisas, please», on me remet 1 roupie et 25 paisas. Je retourne auprés du gros joufflu. «Il est 16 heures», déclare-t-il. «La poste est maintenant fermée.» Pourtant rien ne l’indique. Je le dévisage en affirmant que «ce colis doit étre posté aujourd’hut parce qu'il me faut partir pour Calcutta demain.» Il poursuit sa lente besogne l’air agacé. Séance de léchage, a grand renfort de salive. Si au moins ¢a collait bien! La face supérieure du paquet est maintenant recouverte de timbres - tout autour de l’adresse. «Pourquoi ne t’es-tu pas servi des trots autres _c6tés?» me lance |’Indien. «C’est laid comme ¢a! Et il en enléve une série avant d’aller chercher un pot de colle. Ce pot est dégueulasse; je dois en gratter le fond. J’ose recoller ces timbres la ou le postier a marqué le poids. Il parvient a les enlever de nouveau. Je les rerecolle donc, le juron au bord des lévres. Il est maintenant 16h15. «C'est fermé depuis quinze minutes», insiste-t-il sur un ton bonasse. Je fais la sourde oreille, bien que son attitude mhorripile. L’'Indien me fait ensuite écrire sur un cété de la_ boite, directement sur le tissu, «From Jean-Claude Boyer, en plus de mon numéro de passeport et sa date d’expiration, soit «1985-10- 23 . (En jetant un coup d’oeil dans mon passeport, il me demande ce que veut dire «04» sous «passeport délivré le». Je réponds séchement : «Ca veut dire ‘avril’, le quatriéme mots de Vannée».) Il me fait également ajouter, bien entendu, que ce colis ne contient que des objets en marbre qui seront donnés en cadeaux - sans valeur marchande [«Containing marble - for gifts - no commercial value»]. Puis il jette le colis par terre, comme une vulgaire boite de déchets. Je le foudroie du regard en disant : «Ce colis renferme des oeuvres dart fragiles...» Il ne semble pas me comprendre. J’ajoute alors sur un cété, en rouge : «Please, handle with care [Manipuler avec soin s.v.p.»]. Il finit par me donner un recu en bonne et due forme accompagné de l’ofnbre d’un sourire. Avant de quitter l'immeuble, je me rends a un guichet oi l'on est censé vendre des cartes postales avec port imprimé - ce qui permet de les poster sans craindre qu’on vole les timbres. Ce guichet est fermé. Celui d’en face est encore ouvert mais on n’y vend que des enveloppes avec port imprimé! De retour amon hétel, je donne amon patient chauffeur un billet de 10 roupies (1$); ses yeux s'arrondissent de satisfaction. Je suis crevé. Le soleil se montre encore impitoyable et les ventila- teurs refusent de fonctionner (panne d’électricité). Le long dortoir est devenu un sauna. Je m’étends sur ma couchette et plonge dans le sommeil. C'est la faim qui me réveillera trois heures plus tard. Ce colis, 4 la petite histoire chargée, parviendra a Sainte- Adéle (nord de Montréal) six mois aprés son envoi, soit en octobre 1985. Des onze coffrets a bijoux en marbre finement ciselés a la main, un seul arrivera a destination intact, quatre seront ébréchés et les six autres, fracassés. Ma mére héritera du seul souvenir indemne. En étalant les débris, comme on fait d’un. casse-téte, je me console avec le mot de Saint-Exupéry : «C'est le temps que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose si importante» (Le Petit Prince). Ces objets précieux détériorés ou en morceaux n’en sont pas moins le gage de mon attention pour les miens. Par Roger Dufrane Temps de neige, de pluie, de froidure, les bonnes gens ont hate de revoir le soleil des beaux jours. En patientant, en nous amusant, mélant le religieux et le profane: créche de Noél, sapins des foréts noires, chataignes qui rétissent dans |’atre pétillant, cartes de bons souhaits, emplettes et joyeusetés. Survenait d’abord en Alsace, en Belgique, en Hollande, le Bon Saint Nicolas: Saint Nicolas Patron des écoliers... Sa féte a lieu le 6 décembre. Evéque de l’Asie Mineure, il porte mitre et _, . crosse d’or. Il semble préfigurer le Pére Noél, et qui, en dépit de son bon coeur, impressionne les marmots: A peur, Colas!.... Ses reliques, inhumées au 4éme siécle, furent sauvées des Musulmans au XIéme siécle, et furent transférées dans le sud de l'Italie. Ala fagon du Pére Noél, il descend par la cheminée, dépose les joujoux, poupées, petits trains en bois, et les bonbons dont il remplit les sabots décorés ou les souliers pour les enfants, en prenant carottes et navets laissés 14 4 l’intention de son ane: Hue! Hue! A dada! Sur le baudet de Saint Nicolas. Etoile des neiges De Saint Nicholas aux Surgit le Pére Noél, quelque peu bouffon en Amérique du Nord. Il vient du péle, dit-on, avec un attelage de rennes. Lui aussi descend par la cheminée, et que laisse-t-il, au pied de |’atre, ou du sapin? Des jouets, et aussi des bonbons, qu'il glisse, non pas dans les chaussures, mais dans de longues chausses bariolées. en Alsace, le Pére Noél, fait penser a la barbe argentée des pélerins. Il est vétu d'une houppelande et d’un capuchon. Botté, titubant quelque peu dans la neige (peut-étre a-t-il bu ici et la, une petite goutte pour se réchauffer) il tambourine aux portes: Entrez Pére Noél. Tandis que les garnements sont allés se cacher sous les draps, il crie 4 voix haute: A-t-on été sages? Pour ceux-la j'ai des poupées, des petits soldats, des patins, et pour les autres un martinet que leur envoie le Pére Fouettardl... Et le Bonhomme Janvier, qui est-il celui-la? On le connait mal. Ou se_ rencontre-t-il? Dans certains petits villages de Bourgogne, voyons!: Joyeux enfants de la Bourgogne, Je suis fier d’étre Bourguignon. On le rencontre encore dans le Morvan, dans la Niévre. Comme le Pére Noél est un peu Dieu le Pére, le Pére Janvier, -croit-on, descend de Wotan, Dieu des Germains et des Scandinaves, mais c’est aller bien loin. Revenons a notre Noél chrétien. La petite créche au toit pailleté de givre, étincelle au pied du sapin nordique. On y voit les petits sujets, le boeuf et l’ane, Saint-Joseph, la Vierge en manteau bleu, les bergers, les rois mages. Les voici, les rois magiciens. Ils apportent l’encens, la myrrhe, et l’or. Tout cela pour Enfant Dieu, le bambino disent les Italiens. On le connait, Balthazar, le roi noir d’Ethiopie, amoureux de la reine Balkis, on connait Melchior et Gaspard, et surtout, mais surtout, 1l’étoile merveilleuse qui a guidé les pélerins. Le «Roi de la Féve» se célébre le 6 janvier, c’est une féte paienne a lorigine. A Paris, comme partout en France, on tire les Rois. Dans la galette nature ou a la frangipane, se cache le petit sujet. Celui qui mord dessus doit choisir sa reine ou son roi, et chaque fois qu’on léve son verre, les convives s’exclament: Le Roi boit! Le Roi boit. Dans toutes les provinces de rois mages France, la Féte des Rois est une féte de famille. Coutume paienne. Les Romains, pendant les Saturnales, s’offraient des galettes. Les sapins, les galettes, le chéne des Gaules, au Gui-l’An-Neuf, toutes ces traditions s’entremé- ‘aux fontaines, lent aux belles histoires de la Légende Dorée. Et il existe toujours dans les belles foréts de France, au bord des sources et des chapelles vouées a tel Saint ou a la Vierge pour exorciser les fées. Une bonne fois pour toutes, notez bien notre nouvelle adresse ! LE SOLEIL DE COLOMBIE 980 RUE MAIN VANCOUVER C.B. V6A 2W3 Pour vous servir, deux numéros de téléphone! 683-7092 ou 683-6487 C'est bien noté ? Se eS ee ee