~e Et Pos CHEZ RIOPELLE, LE GOUT DU GIGANTISME. ‘i Riopelle constitue un peu S Ja. charniére avec l'art ac- part les rapports possibles avec de jeunes peintres - com- me F. Toupin ou Montpetit (deux des artistes les plus en vue actuellement), il n’en annon- ce pas moins, dans sa virulence, sa force, sa verve, son godt du gigantisme, cette dimension que l'on retrouve aujourd’hui a travers des styles parfois trés divers. MacEwen et son orientalisme sensible ; Molinari, jeune vedette du minimal, du hard hedge, mais: qui a tendance a se laisser en-’ fermer dans des_ habitudes ;' ‘Marcelle Maltais, dont la véhé-) mence garde toute la fraicheur: d’une impression premiére ; Claude Toussignant, qui travaille dans le sens des recherches op- tiques ; Ulysse Comtois, a la fois peintre et sculpteur ; Henri Saxe ; Hurtthise ; Claude Dulude ; Gé- fard Tremblay ; Jean Jéréme ; Yves Gaucher, créateur d’espa- vient jouer savamment ; Mous- seau ; Arsenault; Allleyn, aujour- d’hui fixé a Paris ; Yves Rajot- te ; Esther Warkow, narratrice sensible qui adapte tes techni- pour dire un monde tranquille ; Léon Bellefleur ; Dumouchel ; Marcelle Ferron ; Rita Letendre ; Fernand Leduc, géométre sensi- ble, sont, parmi ces nombreux artistes, quelques-uns de ceux qui retiennent le plus justement attention. Naturellement on y sent des. In- fluences, mais Ja plupart de ces peintres cherchent a se définir dans ce qu’ils ont de spécifique, de méme que le Québec cherche a s'imposer dans ce qu’il a de propre. Chacun dans ce pays a présent a l’esprit que sa chance tient &€ son audace. Qu’il risque d’étre colonisé et endormi cul- turellement, alors qu’il préfére tre indépendant et original. La peinture, sans se confondre donne A l'une de ses vedettes, Mac Larren, la possibilité de s'exprimer en toute liberté. Ce jernier vit un peu en reclus, dans in appartement tranquille et ano- jin, gravant et agengant quelques films miniatures qui comptent par- mi les plus étonnantes merveil- es du septiéme art. - A Québec moins de galeries. mais un théatre flambant neuf, d’une architecture sobre, fonc tionnelle et de belle allure, qui offre une grande salle et une plus petite, mobile, pour le théa- tre expérimental. | L’architecte, Victor Prus, a fait appel a un ar- tiste, Jordi Bonet, pour le décor du foyer. Ottawa, capitale fédérale, s’ho- nore d’un musée « national » par- ticulierement riche. Dirigé avec une rare compétence par Mme Jean Sutherland Boggs, i] comp- te des collections permanentes constamment enrichies par des achats, dont le plus important fut celui, tres remarqué, des piéces de la collection du prince de Liechtenstein qui comporte deux Chardin, deux Filippino Lippi, un Simone Martini, un Memling, un Rubens, un Rembrandt, un Guardi. D’ailleurs la collection actuelle comprend plus de 600 peintures européennes et plus de 2.000 tableaux canadiens, sans parler des soulptures, gravures, ‘dessins et photographies. Le cinéma est une autre acti- vité importante. L’Office du film avec 1a politique, a conscience je ce phénoméne. Montréal, c'est cinquante kilométres de rues & angle droit autour du « mont Royal » qui impose a ja ville sa masse de verdure et de résidences luxueuses. Au bord du Saint-Laurent, Jes gratte-ciel stincelants, et sur une ile, « Ter- re des hommes », devenue une sorte de Luna Park bon enfant. Une topographie a |l’américai- tuel, sa réputation inter- | nationale faussant au dé- lo ces de réflexion ot la Jumiére - ques picturales issues du pop e, nullement appropriée a la éverie, décidée par le souci de ‘efficacité, mais d’une belle al- ure. Les musées y sont riches, bien gérés, les galeries rassem- | blées autour d’une rue centrale (la rue Sherbrooke). Elles sont uvertes a Ce qui se fait en Fran- e@ (en particulier chez Gilles orbeil et Godard-Lefort), mais éfendent fort justement l'art uébécois. Beaucoup diartistes |vivent a Montréal dans des conditions enviables. Une _ re- vue d’art (La Vie des arts) les défend, leurs ceuvres sont ache- ées par des industriels qui les collectionnent dans leurs somp- tueux bureaux (C.I.L. Impérial Li- fe, Rothmans, etc.), le public le plus large est intéressé par leurs recherches Toronto, grande métropole, of- re un choix infiniment plus va- ié de galeries (une trentaine), resque toutes rassemblées dans: e méme quartier, qui est aussi elui des hippies. On y vit a l’américaine, la pein- ure y fait place, de plus en plus, l'événement, au happening, tel elui qui marquait I’Inauguration ‘une nouvelle galerie et ou le Nihilist Spasm Band » (forma- ion pop de caractére expérimen- al) donnait une idée de ses pos- ibilités. Quelque chose de neuf dans le domaine de la musique, proche de la démence, du cri, de fa fureur collective, qui retient l’attention. La aussi les galeries ont ten- dance a se regrouper dans deux rues (Prince Albert et Yorkville). Dans la premiére, tranquille et bourgeoise, elles sont installées dans de ravissantes maisons vic- toriennes, dans la seconde, insé- rées dans le rythme alerte, un peu canaille, tres Saint-Germain- des-Prés, des petites boutiques ou l’on vent des posters, des ro- bes indiennes ou des sandwiches aux noms farfelus. Mais les silhouettes hagardes et flottan- tes des drogués donnent a cet- te rue ravissante quelque chose d’a la fois pathétique et poi- gnant, quasiment insupportable. ESTHER WARKOV Souvenirs d'un jour d’automne | En fait les galeries les plus , importantes (comme Isaacs, Gar- men Lamanna ou Innuit) se trou- vent dans les environs immeé. diats. On y défend l’art concep- |tuel (Michael Snow et Greg Cur- noe) dans les deux premieres, et l'art esquimau dans la derniére. S’il est déja un peu exploité, ré- cupéré par la société industriel- \le, l'art esquimau n’est pas en- core totalement atteint dans ses \fondements: méme. L’osuvre, par exemple, d’un_ artiste comme Oonark, est significative. Quel- que chose de fruste dans le des- sin, d’inventif, des audaces de mise en page conférent a ses compositions un caractére mo- derne tout a fait stupéfiant. Nombreuses collections enco- re, dans de magnifiques .locaux (Northern And Central Gas Cor- poration, Imperial Life, Banaue Toronto-Dominion) ou chez des particuliers comme Zack. La présence de la sculpture est permanente. I] ne s’agit pas de nymphes venues des_ siécles passés (ici c’était encore la fo- rét) mais d’ceuvres réellement accordées au paysage urbain. Privilege d’un pays neuf. On a vu a Ottawa, dans’ les squares, ces ceuvres de grande envergure, aux couleurs fraiches, en. matié- re plastique, dont nous edmes, a Paris, quelque idée lors de exposition consacrée au Cana- da. Les plus importants de ces sculpteurs sont ici Robert Mur- ray, Ronald Bladen, Tom Bur- rows, Michael Cooke, Robert Kaiser, Michael Hayden, Les Le- vine, Arthur Handy, qui utilisent intelligemment toutes les possi- bilités ludiques des trois dimen- sions. Cet intérét permanent pour la sculpture (qui se traduit, a2 Qué- bec, par un symposium, ou ce fut cependant le bois qui servit de matériau de base) explique la présence, insolite dans le dé- cor oxfordien de Trinity College, en plein centre de Toronto, si jolie ville dans son incessant dia- logue avec les parcs, de piéces aussi monumentales que les tuyaux de Zelenak, la frés amu- sante montée d’une_ sphere d’Hayden (suite de boules pro- gressivement plus dégagées du sol) et, surtout, des coulées ba- roques de Redinger. Sur le che- min de l’aéroport on peut voir les larges silhouettes élancées des « sériels » de Robert Mur- ray qui donne un sens nouveau a l’espace. Plus traditionnel un Etrog -a, lui aussi, une réputation internationale. ‘Ontario Art Gallery ne L présente pas seulement de fort belles collections d’art européen (Tintoret, Lorrain, Carialetto, Rubens, Breu- ghel, Halls, Reynolds, Rem- brandt et les impressionnis- tes) mais, également, des expo- sitions temporaires. « Réalismes » rassemble de jeunes-artistes vi- vant au Canada et. travaillant dans le sens d'une figuration mo- derne, allant de l’environnement au collage, en passant par les développements du pop et méme l’art conceptuel. D.P. Brown; Ken Danby, F.G. Prodnuck retiennent ainsi |’at- tention. Les recherches concep- tuelles de William Vazan, qui propose une visite du tres beau et jeune métro de Montréal, an- noncent déja ce qui, a Vancou- ver, résolument tourné vers le Pacifique, devient systématique. La ville s’étale au bord d’une baie qui est, sans doute, l'une des plus belles du monde. Dans les parcs des totems indiens si- gnalent la permanence d’une cul- ture qui, endiguée dans les ré- serves (ou l’on est admis avec une courtoisie, une dignité et une pudeur exemplaires), n’a plus droit, semble-t-il, d’exister qu’au- musée. L’art moderne, lui, vit a l'heure du cinéma. Et si la peinture a fait place a l'environnement, elle nexclut pas, mieux, elle trouve quelques-uns_ de ses plus~ inté- ressants prolongements dans le cinématographe. par Jean-Jacques Lévéque HARVEY XIV, LE SOLEIL, 12 NOVEMBRE 1971