Le Moustique Bravade, bravoure et bavardage. Suite. Ce n’est pas parce que |’on a décidé de sarréter qu’il en est terminé de nos problémes. D'abord, ou mettre la tente ? Certes, l’endroit parait mille fois plus confortable que tout ce que nous avons traversé jusqu’alors, mais est-ce seulement suffisant ? Pour la premiére fois de la journée, nous nous trouvons dans une zone moins accidentée et relativement séche, ou le sol est tapissé d’une couche assez épaisse d’aiguilles de pruches et de pins Douglas. Cependant, un examen plus critique montre a l'évidence que Ia surface plane, la plus grande, ne dépasse pas ma pointure, et je ne chausse pas grand. J’ai le pressentiment que la nuit a venir sera une histoire a dormir debout. Dans un tel environnement, le choix d’un emplacement peut apparaitre si complexe qu’en fin de compte, nous décidons de nous en reporter a la chance. Un espace, globalement plan et presque horizontal, entre trois jeunes arbres au bord du sentier devra faire laffaire. La pluie, toujours présente, nous incite a utiliser le tapis de sol comme auvent supplémentaire. Mais comment attacher par les quatre coins une toile carrée a trois troncs d’arbres disposés d’une maniére qui apparait trés vite un peu trop quelconque. C’est en fait le plus gros reproche que j’aurais tendance a faire a la nature : elle est encore plus désorganisée que nous. Pour maintenir l'auvent, il nous aura fallu utiliser toute la corde a notre disposition pour établir un tissu de cordage qui emballe a la maniére d’une toile d’araignée un énorme espace en travers du sentier. Il nous faudra nous lever t6t demain et défaire rapidement le camp si nous voulons éviter de prendre un randonneur dans ce piége. Page 12 Volume 3 - 11** édition \) Wy Novembre 2000 La tente montée, ma fille, ¢puisée, propose de limiter la cuisine a un bon potage reconstituant. Toujours au butane, car la forét est détrempée, elle nous concocte une soupe miracle ou tout semble rassemblé dans un méme sachet, les légumes, la viande, le vermicelle, les crodtons et, qui Sait, la tartine de beurre. On ne saura pas, bien sur, si tous ces ingrédients s’y trouvaient effectivement car, au fond de Il’écuelle métallique, tout est réduit 4 un liquide pateux a la couleur et au gout indéfinis. On avale le tout avec la placidité du religieux qui satisfait aux rites a la fois impérieux et ennuyeux d’une croyance primitive et barbare. Il n’est en effet écrit dans aucun grand livre sacré que |’adoration de la nature doive se faire dans une débauche de plaisirs gastronomiques et de commodités. Il ne reste plus qu’a mettre la nourriture a l'abri. Les responsables du parc se sont montrés catégoriques a cet effet : il n’est aucunement question de laisser la nourriture dans ou a proximité de ja tente. Les ours ont un odorat exceptionnel qui n’a d’égal que leur prodigieuse voracité. J’ai lu quelque part qu’un ours est a méme de déceler le parfum d’une fraise a une distance de plus d’un kilometre. Pour ne pas déplaire a la merveilleuse cuisiniére qu’est ma fille, je me retiens de la rassurer en lui disant qu’aucun ours ne nous approcherait a moins d'un kilometre rien qu’a |’odeur du potage de ce soir. Et puis sait-on jamais, les ours vivant en permanence dans la nature et soumis a ses contraintes trouveraient peut-étre ce potage a leur gout. J’/emporte donc le sac de nourriture et le dernier bout de corde qui me reste pour le pendre a un arbre a quelque distance de la tente. Pour le plaisir de la bouffe, cela prend des allures d’exécution capitale. Les recommandations et le dessin présentés a |’entrée du parc paraissaient simples : un sac au bout d’une corde passant par une branche et attachée au tronc de maniére a ce que le sac se trouve a environ trois métres du sol et deux métres du tronc. Enfantin, pour autant que le sac de nourriture ne soit pas trop lourd ; or les branches de conifére sont telles qu’a deux métres du tronc, c’est avec peine