VOYAGES Le Soleil de Colombie, vendredi 28 avril 1989 - 11 Par Jean-Claude Boyer Bordeaux, ville portuaire du sud-ouest de la France (100 km de |’Atlantique), le soir du 27 octobre 1984. En descendant du train (en provenance de Limo- ges), je vais m’enquérir de horaire pour Saint-Emilion. Interminable attente causée par une pimbéche impatiente de se rendre dans une petite ville reculée. «Ah! dites donc, on nest pas gaté!» s’exclame-t- elle, indignée. Elle s’en prend aux responsables des horaires qui osent, semble-t-il, ne pas tenir compte du_ sien! A \’entendre tempéter, une heure d’attente n’est rien de moins qu’un drame. Elle ne fera jamais le tour du monde, celle-la. Le premier train pour Saint- Emilion, demain: 8h33. L’auberge de jeunesse, ac- cueillante, se trouve proche de la gare de Bordeaux. On me désigne, avec l’accent du midi, une chambre propre de quel- ques lits dont un seul est occupé. Nous nous présen- tons: John Bradrige, d’Austra- lie. Il se dit on ne peut plus «delighted» (enchanté) de pou- voir converser en_ anglais. J’apprends qu'il voyage en voiture avec trois jolies filles - deux Australiennes et une Torontoise - qu’il a «cueillies» au bord de la route. ~C’est maintenant I’heure du repas tardif. Les quatre compa- gnons de voyage miinvitent a partager avec eux le poisson et les iégumes bouillis qu’ils «popotent» ala cuisine. Et nous voila autour d’une _ table, bordeaux au centre, bien sar. A la télévision, Michéle Tor interpréte de sa voix ardente des chansons a la mode. On nous observe du coin de l'oeil, étonnés, dirait-on, que nous ne parlions pas frangais comme tout le monde. Ce John, il a Récit d’un tour du monde Bordeaux et Saint-Emilion Vesprit vif, pétillant. Tout l'intéresse. Il réve de devenir entraineur de ski pour les anglophones du Québec! Je lui parle du Mont Ste-Marie(dans la Gatineau), station de sports d'hiver que fréquentait M. Trudeau, raconte ma _ visite d’aujourd’hui a Oradour (le village martyr de la Deuxiéme Guerre), et mentionne celle que je ferai, demain, a Saint- Emilion. Devant les réactions passionnées de John, je dis a celui-ci, pour le taquiner, que je le trouve «eunuch» (eunuque) au lieu de «unique». Ce lapsus volontaire déclenche une ava- lanche de blagues et des explosions de rires qui se prolongent jusqu’au moment de nous souhaiter bonne nuit. Le lendemain, dimanche, une autre journée radieuse. En entrant dans la gare, je cause avec une dame a _|'accent marseillais ravissant mais a la langue trop bien pendue. Comme je m’appréte a faire \’éloge de son accent, elle commence ase pamer d’admira- tion pour le mien: «C‘que cst chouette de vous ‘entenndre’. Vous, les Québécois, vous ne parlez pas, vous ‘channtez’». Mais elle parle, parle... Lorsque le train pour Saint-Emilion, direction Bergerac (comment ne pas penser a_ l’appendice «péninsulaire» de Cyrano?), se met en branle, sans une seconde de retard, je suis seul, dans un compartiment de premiére classe, a révasser, le coeur léger. Les vignobles se multiplient. Juste avant Libour- ne, j’apergois un cimetiére ‘enseveli sous les fleurs ; chaque tombe semble recouverte de bouquets multicolores, me rappelant le début prochain de novembre. A 9h15, je descends a la petite gare de Saint- Emilion, située a une bonne distance de la colline ou s’est perché le célébre bourg médié- val. Vignobles a perte de vue tout autour de moi. Je ne résiste pas longtemps a la tentation de me gaver de bons raisins bleus. La tortue de la fable m’aurait sdrement devancé dans ma lente promenade au milieu de ces beaux fruits défendus. Des cloches appellent les fidéles. Je déambule mainte- nant au hasard des rues pavées, étroites, longeant de vieux murs de pierre. Une rumeur attire mon attention. Je me méle bientét a une foule venue assister Ades . compétitions de course a pied auxquelles participe, dit-on, la championne de France. Peu avant un des départs, j’entends, d'une mére, cette derniére mise en garde: «Va pas t’esquinter pour I‘hiver!» Coup d’oeil sur un programme. Les «maratho- niens» sont divisés en plusieurs catégories allant de «poussins- poussines» a «vétérans», en passant, entre autres, par «minimes» et «espoirs». Une femme rondelette exhibe un gros jambon, répétant d’une voix forte: «Dix francs [1$] I’billet, M’sieurs, Dames, seul!’ ment dix francs!» Elle veut m’en vendre un a tout prix. Cela ne miintéresse pas, bien entendu. Les compliments que je lui fais sur son accent et sa mine de «bonne vivante» semble la réjouir beaucoup. Jeme procure plut6t, a une mini-exposition philathélique, deux enveloppes «premier jour d’émission». L’une porte le long timbre francais (8 cm) commémoratif des Jeux Olympiques de Los Angeles, oblitéré le 2 juin 1984, l'autre un timbre sur Bordeaux accompagné d’une illustration de Saint-Emilion («cité médié- vale») pour commémorer le centenaire de son_ syndicat viticole - oblitération du 24 juin 1984. Plus loin, jem’arréte devant un monument, prés d’un bel arbre au feuillage roux. On y a gravé ces vers de Victor Hugo: Ceux qui pieusement sont morts pour la patrie Ont droit qu’a leur cercueil la foule vienne et prie. Entreles plus beaux noms leur nom est le plus beau. Toute gloire prés d’eux passe et tombe éphémere - Et, comme ferait une mére, La voix d’un peuple entier les berce en leur tombeau! Gloire a notre France éternel- le! Gloire & ceux qui sont morts pour elle! Aux martyrs! aux vaillants! aux plus forts! Le hasard me conduit ensuite dans une salle dite «du doyenné» ot le public est invité a célébrer les vainqueurs des courses. Remise de trophées et de nombreuses bouteilles de Saint-Emilion. J’observe, au bout d'une longue table rustique, prés d’un pressoir a vin du temps de Noé, des gens un peu éméchés se faire servir a nouveau non pas du vin local mais du Ricard. (Plus tard, en sortant d’une vieille église baignée de silence et de fraicheur humide, j’apercois un joyeux luron en train d’arroser le saint édifice. Je l’entends raconter au mur de pierre: «J'saisS pas si c'est |’pastis qui m fait camais j'ai toujours envie d/pisser. Quat fois depuis qu'on est arrivé!») Un «Saint-Emilio- nien» me parle de sa ville natale avec grande fierté: église collégiale, église monolithe (creusée dans le roc); remparts, chapelle de la Trinité et chateau du roi, tous trois du XIll siécle; ruines du Palais Cardinal, cloitre des Cordeliers, musée, maison du Xl\Ve siécle... Je m’empresse de me_ mettre quelque chose sous la dent, puis de m’étendre dans I’herbe chaude un moment pour entreprendre ensuite une tour- née éclair mais fascinante des lieux. Aprés avoir longuement admi- ré la vue étendue qui s’offre du haut d’un donjon, je traverse la place du marché, jette un coup d'oeil dans un salon de thé troglodyte(!), puis mejoins aun groupe de touristes s’apprétant aentrer dans |’église monolithe. (Prix réduit pour les étudiants en histoire seulement!) Que dire de cette visite? Je serai bref. Impression de catacombes. Quelle patience il a fallu @ ces bénédictins pour creuser a la main la grande chapelle Saint-Nicolas, les galeries... Nous circulons autour de sarcophages. La guide (entré- mement jolie, ce qui ne gate rien) fait remarquer deux anges sculptés. «Ce sont plutét des archanges, précise un Frangais grisonnant. Ils ont deux paires dailes!» En observant un sagittaire en relief, ce méme érudit s’étonne que la fléche soit dirigée vers le haut! Siége sculpté 4 méme le roc pour les femmes d'un certain age désireuses de devenir méres... (Je passe sous silence cents détails frappants, griffonnés dans mon journal, a propos de cet ermitage et d’autres monuments religieux visités, pour en venir aux trois dégustations de vins qui rehaussent, en plus de ma pression sanguine, la fin de cette splendide journée.) «La Traviata» Verdi, Années Trente... Nigel Barbour Certains opéras sont trop connus; on les connait - ou on croit les connaitre - par coeur... tel LA TRAVIATA que vous ne devriez pas manquer, cette semaine, au Thédatre Queen Elizabeth, ol vous constaterez que la pauvre Violetta peut encore vous émouvoir, que la musique - élégante, _ brillante, peut encore vous ensorceler... Le chef d’orchestre Martin André a su rendre une certaine fraicheur a ces airs connus, sans pour autant y ajouter quoi que ce soit... Les costumes sont, tout comme le décor, du plus pur style «années folles», expérien- ce osée qui a parfaitement réussi: car le livret de Piave et Verdi, d’aprés Dumas _ peére, simple et infiniment tragique, est de toutes les époques. Le dessinateur C-F Oberlé a réalisé, brillamment, |’ambi- tieuse idée du metteur en scene La soprano Frances Ginzer dans le réle de Violeta Valéry et le ténor Neil Wilson, interpréte d’Alfredo. suédois Jarvefelt; la société décadente des années 30 ressemble assez a celle du Second Empire... On annonce en début d’opéra la légére grippe du_ ténor américain N. Wilson, de la soprano canadienne F. Ginzer, et (me glisse-t-on dans | 'oreille) du baryton néo-zélandais B. Mora. Qui prennent leur envol lyrique sans mal... la voix de Mile Ginzer convient a merveille a Violetta: veloutée, subtile, infiniment riche, et d'une technique parfaite: son «Sem- ore libera» est un bijou. Et quelle comédienne elle est, Violetta. M. Wilson est un peu étouffé au tout début mais son aria «Libiamo, libiamo» nous dévoile une voix riche, dorée, de vrai ténor coloraturo. Je n’ai pas aimé la voix, pourtant belle, pourtant impeccable de techni- que, de M. Mora; trop jeune pour Germont qui doit se montrer autoritaire; tandis que |’Alfredo de M. Wilson est bien © une voix de jeune. Pourquoi cantonne-t-on des jeunes Canadiens talentueux, brillants, aux grandes voix sonores, dans de petits rdles? Toute l’auditoire en soirée d’ouverture, sait de qui il s’agit. Souhaitons a M. Gary Dahl et a Mile Katherine van Kampen des directeurs plus généreux, donc des rdles plus importants, au plus vite. Décor, costumes, éclairages, mise en scéne, la VOA nous habitue a la perfection. Et c’est du bon théatre, rondement mené. ...PERSONNES FONT DU PATINAGE ARTISTIQUE ~ AU CANADA 3 (T 151 O82 a ee ee ee ee ee ee ee ee ee ee