Karikarissa (suite) I] avait pourtant I’habitude de laisser sa femme négocier avec les mar- chands d’or passant réguligrement en taxi délabré par la route défoncée. Ne parvenait-elle pas toujours 4 connaitre le cours raisonnable du moment et nm’ hésitait-elle pas a vérifier le peson de cuivre du revendeur a l’aide de tétes d’allumettes par ses soins méticuleusement calibrées ? Elle pouvait méme estimer la quantité d’or enclavé dans les fragments de quartz et corrigeait ainsi le finaud médusé. Pourquoi, alors, le mari s’ intéresserait-il soudain au marché des métaux précieux ? Pourquoi voulait-il savoir com- ment contacter des acheteurs ? Ne passaient-ils pas par le village presque tous les quinze jours ? Le mari de Minata devait garder un secret, il ne pou- vait en étre autrement. Le plus simple était d’obliger Minata a parler. Le Préfet de Kouroussa n’est pas un homme aimé, tant s’en faut ! Il a tout pour déplaire : particuliérement laid de corps et d’dme, il n’a de respect que pour l’argent. Les rares fois ou on |’a vu sourire, son visage de batracien parvenait tout au plus a refléter l’air chafouin d’un patte-pelu. On lui reconnait toutefois une qualité indéniable, un sens inné de |’ organisa- tion. En plus de posséder I’ autorité, il dispose d’une garnison militaire can- tonnée a peu de distance de Kouroussa, une escouade de soldats et de gen- darmes pour protéger la préfecture et son domicile, il s’est également en- touré d’une équipe d’ agents efficaces le tenant informé de toute opération financiére se déroulant sous sa juridiction. Un ouvrier obtiendrait-il un contrat intéressant qu’ il le lui saboterait, 4 moins de lui remettre tout béné- fice ; un projet de |’étranger prendrait-il forme que tout le budget s’éva- nouirait comme par enchantement. Le produit de toute culture, le bénéfice de tout magasin finit chaque fois par rejoindre sa bourse. Si un quelconque impudent se targuait de lui résister, il verrait ses espoirs se diluer dans sa propre sueur puis se volatiliser 4 la chaleur d’un conteneur, exposé au grand soleil et faisant office de prison métallique. Ainsi, au sein de la pré- fecture, on ne cultive plus, on ne construit plus, on vivote en attendant Dieu sait quel miracle. L’ceil avide du préfet se pose sur tout et plusieurs sont préts 4 croire que s’il dispose du pouvoir, il posséderait également certains pouvoirs. D’au- tres sont plus cyniques et ne comptent plus la foule des informateurs au service du préfet. Un de ses espions doit certainement se dissimuler dans le minuscule hameau de Karikarissa, car, rapidement, tout Kouroussa a été informé de l’existence de Minata et de son incroyable découverte. Le pré- fet en premier, cela va de soi. 10