Pauvre et splendide Mexique par Roger Dufrane Il y a quelques années, une femme, a la station de Seattle, montait 4 bord de l’autocar en partance, et louait aux passagers des coussins que sa collégue ré- cupérait A Los Angeles. Au- jourd’hui, une machine dis- tributrice, dans la gare, remplace la loueuse. Moyen- nant cinquante sous, on se voit pourvu d’un coussin en matiére plastique. Ainsi dis- paraissent les petits mé- tiers. Au Mexique, ils sub- sistent. Cela pimente le vo- yage. Les voix pointues des, gamins qui crient aux ar- réts leurs rafrafchisse- ments, la prise d’assaut des autocars par des hommes 4 grands chapeaux et des femmes aux cheveux nattés qui vous abreuvent de pa- roles et de rafrafchisse- ments, égayent le parcours. Le Mexique se modernise. Tant mieux ! Les épidémies - cédent le pas. Les taudis se remplacent progressive- ment par de riantes cités. La nouvelle gare d’autobus de Chihuahua, belle et ruti- lante, et qui fleure la bonne cuisine, vaut mieux que l’an- cienne station au pavement graisseux, refuge de louches individus. Mais déja les ar- tificiels et aciduleux breu- vages instillent leur publi- cité jusque dans les hameaux et veulent supplanter les na- turels jus de fruits, quiheu- reusement, au long des trot- toirs, se servent encore A la charrette. Alors que je remue ces pen- sées, nous traversons le dé- sert. Les mains crochues des arbustes s’aggrivent au cruel azur. Voici la nuit... et voici l’aube : une longue lueur empourpre l’horizon. Soudain, l’astre éclate com- me une bombe de feu qui a la fois brdle et vivifie. Cet aprés-midi, aux envi- rons de San Luis Potosi, un jeune moine en robe de ,bure monte 4 bord. Rieur et rose, il semble jailli d’un llivre d’images. I] agite un seau jaune et parle avec volubilité. Des bras s’élé- ‘vent et les pesos pleuvent dans le récipient. Le moine rieur donne l’accolade 41’un et A l’autre. Remonté vers la plateforme du car, ce frére Jean, sorti d’onne sait |- iquelle Théléme, se retourne et répand sur nous sa béné- diction. _Et toujours le désert ! Ici et 14, des hameaux de moel- lons ou de glaise séchée, des carcasses de mulet en bord de route. Parfois, gri- gnottée par le sable rongeur, quelque bourgade morte sur laquelle tournoient les vau- tours. Au-delAa de Queretaro, ot fut fusillé le malheureux Maximilien, dont la femme, l’impératrice Charlotte, mourut folle de chagrin, la verdure se substitue aux sa- bles et aux pierrailles. Des troupeaux de vaches et de moutons paissent les patu- rages. La région paraft fer- tile. Nous approchons de Me- tile. Nous approchons de Mexico... . Mexico. La nuit bleue verse sa tiédeur entre les persien- nes. Trois heures du matin! De la chaussée monte tou- jours le klaxon des autos, le rire des filles, le roule- ment lointain du trafic. Le perroquet de l’appartement \d’en-face lance par inter- |mittence son cri de victoire: lun ‘Mexico’? sur trois no- tes, suivi de cocasses voca- lises. | Hier soir, je suis allé dé- iguster un ‘café négro’’ dans ‘le plus bel établissement des galeries, 4 proximité du Pa- lais des beaux-arts. Les ta- bles étaient animées du sou- rire des jolies femmes. La plupart des consommateurs s’exprimaient en espagnol. Quelques Américains se dis- tinguaient d’emblée par leur tenue plus négligée. Que de richesse dans cette capitale | Et que de pauvreté ! Mexico, croit-on, grouille de misére ‘sous I’insolent talon de quel- ques potentats féodaux. Er- reur ! §’il se rencontre ici beaucoup de riches vivant en sybarites, il y a aussi ‘la foule innombrable des classes moyennes : com- merg¢ants, techniciens, e m- ployes de bureau. Des mil- liers de jeunes gens bien vétus et roulant en voiture s’interpellent dans les ves- tibules des cinémas. Ajou- tons-y les petits métiers de la rue : photographes ambulants, cireurs de chaussures, jolies et rieu- ses bouquetiéres. Au bas de 1’échelle sociale, les pau- vres indiennes entourées de marmots, empilent sur une couverture, 4 méme le trot- toir, leur dérisoire étalage de noix et de prunes. Or, ce monde si divers se cou- doie sans animosité et forme une société sympathique et pittoresque. De Mexico, filant vers l’est, nous pénétrons dans un paysage de montagnes et de verdure. Cela rappelle, en ‘plus fleuri, le décor de Vancouver. (A suivre)| \ THE LITTLE FOXES” Derniérement, nousavons pu voir cette piéce de Lillian Hellman au théatre Metro. Le titre fait allusion aux petits renards de la Bible qui détruisent la vigne. Ici, c’est l’avarice des membres de la famille Hubbard qui abaisse la dignité et l’unité de l’aristocratie du Sud des Etats-Unis. Située en 1900, la piéce demande une ambiance ‘*Forsyte’’, un cadre so cial trés défini, dans lequel les personnages dévoile- raient leurs émotions. La piéce de Hellman est trés théatrale, presque mélodra- Matique, tandis. que le pre- mier ‘‘Forsyte Saga’’ de Galsworthy était. un roman sociologique ; mais dans les deux cas, la solidité et la tradition sont intégrales. Cette production est déce- vante. Malgré un beau décor isolide et sombre de Dick ‘Bylin, la piéce manque dans. ‘Vvensemble de rythme et de variété. Trop d’acteuts ‘semblent ne pas avoir étudié -leur rdle en profondeur. Préoccupés A reproduire l’accent du sud, ils devien- nent incompréhensibles. La création d’un role demande beaucoup plus que la mémo- risation des mots. Larry Willard-Oscar et Grant Hirst, comme Marshall qui | apporte l’offre de richesse A la famille, sonnent faux dans ce milieu 1900 ; ils irestent toujours 1970. Les roles les mieux réus- sis sont ceux de Regina Gid- dens et Birdie Hubbard. La premiére, jouée par Chris- tine Green, est la femme- -démon de la piéce. Son ca- ractére s’affirme dans le dernier acte, oi, pour ob-. tenir la signature de son mari 4 un contrat et pour lV’empécher de changer son testament, elle le laisse mourir d’une crise car- diaque, plutdt que de lui passer son médicament. Un role puissant pour une ac- trice. aa Malgré son talent, Made- moiselle Green manque de: ‘dareté dans son interpréta- tion, au cours du premier acte. Birdie Hubbard, la belle- soeur, brutalisée par son} mari Oscar, s’accroche 4 sa niéce Alexandra et aux mémoires de sa jeunesse. Elle boit beaucoup et erre entre le cabinet de liqueurs et le piano avec des gestes gracieux et inefficaces qui rappellent son nom. Une belle interprétation de Joan Eastveld, mais le manque de soutien et surtout de dy- namisme des autres acteurs la laissent en panne. Il faut regretter que le metteur en scéne, Bob Read, n’ait pas su insuffler 4 sa distribution l’esprit de la piéce. On n’apergoit dans le ciel qu’un soupgon d’Isabelle, sorte d’estompe chinoise égarée dans une toile de Michel Ange ot 1’on s’attend 4a voir des anges apparaftre pour jouer de la trompette & la fenétre du Bon Dieu.’ Il y a dans lair léger) comme un espoir joyeux, un air de bonne humeur. ‘d’autres, Cette petite flamme ardente dans l’oeil d’Isabelle, c’est l’?image minuscule du soleil qui s’y refléte et qui, sur. sa bouche a fait naftre un sourire, deux sourires, trois sourires, suivis de milliers qu’elle a décidé .d’accrocher un peu partout, ‘pour vous, pour moi, pour nous. Autour d’elle, maintenant, on voit tous ces sourires descendre doucement, se po-! ser, rebondir gaiement dans’ | P@T Serge Arsenault du lun- le ciel, gros ballons multi-- colores qui explosent dans Je’ matin tout neuf et re- tombent sur la terre en mille éclats de rire qui ré- chauffent les coeurs. {ISABELLE peut étre enten- ‘due & 1’émission ‘*Du vent dans les voiles’’ présentée ‘di au vendredi A 7 h, sur les ondes de CRBUF-FM,97.7 Vancouver. : ISABELLE c’est pour vous. (Tous droits de reproduc- tion et d’adaptation réser- vés). LE SOLEIL, 16 AVRIL 1971, IX.