PAGE 12 C Ctalt hier On était en avril 1945. Le mois tirait a sa fin. Un matin, alors que mes camarades et moi aurions di aller travailler a la mine de charbon, comme a l'accoutumé, le *feldwebel qui commandait le camp nous annonga, sans plus d’explications : “ *Heute, nicht arbeit. ” Qu’est-ce qui avait bien pu se pas- ser? Nous savions que les nouvelles qui venaient du front étaient tres mauvaises. Cela dépendait, évidemment, de quel cété on se placait. Pour nous, la débandade des troupes d'Hitler nous réjouissait. Au cours de la journée, nous appri- mes le pourquoi du “ nicht arbeit ”. La nuit précédente, des partisans autrichiens avaient sabote la voie ferrée qu’emprun- taient les trains qui alimentaient en charbon la centrale élec- trique de “V6klabriick située a une trentaine de kilométres de la mine. Pour faire bonne mesure, afin de paralyser la région ou il y avait des usines d’armement, l'armée de l'ombre avait dynamité des pylénes et mis le feu a plusieurs transforma- teurs. Nous ne devions plus jamais reprendre le travail. Des avions américains survolérent le camp et lachérent des tracts annongant notre liberation prochaine. Le feldwebel, un bon bougre, qui avait combattu pendant la premiére guerre mon- diale, prit les choses avec philosophie : “ “Deutschland ka- put!, nous dit-il” Il ne nous ouvrit pas, pour autant, les portes du camp, car il craignait, avec juste raison, que certains pri- sonniers ne se livrent au pillage et commettent des actes odieux parmi la population. Nous n’eiimes qu’a patienter que quelques jours pour que nos libérateurs se manifestent. Comme le camp était bati sur une éminence, nous entendimes d’abord, dans le lointain, le vrom- bissement de chars d’assaut puis, en contrebas, nous apercil- mes une longue colonne de blindés et de camions. Nous al- lions enfin étre libres, aprés tant d’années passées derriére les barbelés. Comme depuis les deux derniéres années de ma captivité je n’avais pas eu de nouvelles de mes parents qui, je lavais appris par un oncle, s’étaient séparés et avaient vendu notre maison, je n’avais donc pas d’adresse a four- nir au préposé au rapatriement. “ Donne-lui la mienne, me suggéra un camarade de captivité. On s’arrangera ar- rivé a Alger, ou j’habite. ” Deux semaines plus tard, aprés m’étre arrété a Paris pour rendre visite 4 ma famille (retrouvée), je débarquais a Alger. Le dépaysement était total. La ville m’émerveilla. Je croyais réver. Il fallut, mal- gré tout, que je me rende a la réalité : j’étais rendu a la vie civile et devais trouver du travail. Ce fut assez facile car, a cause de la guerre qui venait de finir, la main-d’ceuvre était rare. La compagnie Méditeranée-Niger, L’ ANSE-AU-SABLE R. Momer a la porte de laquelle j'avais frappé, m’offrit un emploi : “ Si vous possédez votre permis poids-lourd, me dit-on, nous avons quelque chose pour vous. Vous transporterez le maté- riel de nos arpenteurs-géometres qui vont partir prochaine- ment faire des relevés de terrain au sud de Colomb-Béchar et au-dela, jusqu’a *Gao. ” J’avais le permis et un urgent besoin d'argent... . Aprés une courte période de formation, je me re- trouvais au volant d'un mastodonte, en compagnie de Khaleb, mon “ aide-mécanicien ”, qui n’entendait rien a la mécanique mais connaissait le désert comme sa poche. Sa famille habitait en plein milieu du Sahara, a Bidon 5. En moins de deux jours, nous avions atteint le désert. Au cours des haltes, Khaleb vé- rifiait le niveau d’huile du moteur, graissait le véhicule et faisait le plein de carburant que nous remorquions dans des barils. Le paysage que nous traversions était grandiose certes, mais devenait de plus en plus monotone au fur et 4 mesure qu’on s'enfongait dans le Sud. Khaleb, qui ne parlait guére francais chantait, presque sans interruption, des mélopées en arabe. Comme dans ce temps-la il n'y avait pas la radio a bord des véhicules, je dus, pendant tout le temps que je fus au service de la compagnie, m’habituer au rengaines de Khaleb qui, lors d'un dernier voyage m’annonga, alors que nous approchions de son village, qu'une grande surprise m’y attendait. “ Ti pen- ses trop. Ti avoir mal a la *cabéche. Attends surprise, me dit- il.” ll est vrai que le désert avait eu raison de moi. J’étais deve- nu taciturne et ne répondais aux questions de Khaleb que par monosyllabes. A peine avais-je arrété le camion devant la demeure de Kha- leb, qu'une femme voilée en sortit et vint 4 sa rencontre. II dit quelques mots a cette derniére qui retourna dans la demeure et en ressorti, portant un plateau sur lequel il y avait une théiére et deux minuscules tasses. Khaleb m’invita a m’asseoir devant son *gourbi. Il remplit les tasses de thé vert en levant trés haut la théiére, a la maniére bedouine. Nous bimes notre thé en silence. Quand nous edimes fini, Khaleb frappa dans ses mains. La femme voilée vint chercher le plateau et repartit sans prononcer un mot. “ Alors, Khaleb, demandais-je a ce dernier, parle-moi de ta surprise! ”“ Ti patiente un pou, et il va vinir, me répondit ce dernier. ” Khaleb, l’'air mystérieux, voulant fait durer le suspense, m’en- tretint de choses et d'autres. Puis, jugeant le moment venu, frappa de nouveau dans ses mains. Apres un cours instant, la femme (je supposais, ne m’ayant pas été présentée, qu'elle devait étre son épouse) sortit du gourbi, accompagnée de ce qui semblait étre une fréle adolescente. Elle avait, elle aussi, le A suivre page suivante. te