16 — Le Soleil de Colombie, vendredi 17 juin 1983 _ Un Cercle en transition Suite de la page 1 minute a l’autre un avion pour Vancouver. Mais l’essentiel est dit et l'impression est donnée: on va travailler dur a la téte du Cercle des Canadiens-Fran- cais de Prince George. Avec comme récompense attendue de “voir plus de’ membres actifs et plus de participants contribuer a l’épanouissement de ]’Associa- tion.” Le bilan est loin d’étre négatif. Travaillant sur les trois fronts du social, du culturel et de 1’éducation le Cercle — avec environ 90 membres — a réussi a organi- ser différents événements dans’ chacun de ces domaines. la classe de Charles Granger, l'un des quatre professeurs, une championne de piano, une étoile des danses écossai- ses et un as du sport... Et puis surtout, un esprit trés volontariste régne... Eve- line Bergeron, la premiére présidente du Comité de pa- rents et l’actuelle directrice du comité culturel. du Cercle, remarque : “si j'ai tellement la foi, c'est peut-étre parce que je viens de 1]’Alberta. La-bas, on est fier du francais et on a hate de le transmettre aux enfants. Les gens d'ici, en CB depuis 10 ou 15 ans, sont assimilés. Ils éprouvent une certaine honte a l’égard du francais.” Ce sont les enfants du a Pauline Cloutier, présentant le coin bibliothéque du Cercle. Activités sociales? Un tournoi de crib et un bal masqué, en octobre, ont réuni 150 a 200 personnes. A Noél, dé- pouillement de l’arbre par les enfants. Un souper et une soirée dansante pour le jour de l’An. A venir le 24 juin, la St Jean Baptiste fétée dans la cour du Studio a grand renfort de boissons et de hamburgers. En. ce qui concerne les activités culturelles, le Cercle a accueilli le groupe acadien “1755”, la Troupe de la 16@me et les Danseurs du Pacifique. Pour ce qui est de l’€duca- tion, le club offre des cours de francais pour adultes deux jours par semaine. Il propose également durant l’année sco- laire deux ateliers par semaine aux enfants de trois 4 quatre ans, destinés — a partir de matériel pré-scolaire — 4 les préparer au programme-ca- dre. “C’est une maniére de donner un coup de main au programme-cadre” explique la secrétaire -réceptionniste Pauline Cloutier, le seul salai- re du club avec celui de la responsable de ces ateliers. D’une maniére générale, la collaboration entre le Cercle et l’APPCF locale baigne dans Vhuile, le premier, par exem- ple, prenant a sa charge certaines dépenses matérielles de la seconde. Il faut dire que le program- me-cadre a Prince George — le premier de la province pour ce qui est du nombre d'inscrits — représente un réservoir de potentialités et d’énergie dont on ne peut pas ne pas tenir compte. 14 enfants en 1979-1980 ; 120 aujourd’hui (le quart a peu prés de l’école Van Bien, dans le sud de la ville). Une trentaine d'inscriptions sup- plémentaires ont déja été enregistrées pour l'année sco- laire 1983-1984 (1). La qualité vient s’ajouter a la quantité semble-t-il. Dans programme-cadre — et’ les progénitures de membres du Cercle — qui représenteront avec des danses la francopho- nie lors de la Folkfest du ler juillet. En tout environ 35 gamins de 6 a 9 ans. Une partie d’entre eux s'est déja produite lors de la Paci- féte de Prince George, le 14 mai dernier, également a l’école Van Bien. La journée réussit 4 attirer 300 personnes, malgré “l’absence de subventi- ons de la FFC pour organiser l’événement”, fait remarquer Monique Wyse, artisane fran- cophone renommeée et ancien membre du Conseil général de la Fédération. Bien seule Monique Wyse était bien seule pour représenter la fran- .cophonie lors de la Midsum- mer Madness, une journée annuelle d’animation et d’ex- position de l’artisanat réalisé par les groupes adhérents du Studio 2880. Pourtant, l'i dée d'une participation du Cercle en tant que tel avait été retenue lors de l’Assemblée générale d’avril dernier. Man- que de bénévoles ? Manque de bénévoles enco- re pour combler un poste de directeur au Conseil d’admi- nistration et des places vacan- tes dans les comités du Cercle. “C'est sir, il n’y a pas suffisamment de gens pour travailler”, souligne Anna- Marie Lefebvre, membre du club dont elle fut présidente de 1970 4 1978. Le probléme n’est pas propre au Cercle des Canadiens Francais et ‘a tra- vers la province on bat le rappel des volontaires. Ce qui lui est propre cepen- dant, et qui pourrait expli- quer en partie l'éloignement de certains, ce sont les diffi- cultés d’entente au sein de la direction, qui ont culminé avec la démission en février 1983 d’Eddie Levesque, le président de l’époque. Eddie Levesque, tout le monde s’accorde 1a-dessus, a fait beaucoup pour le Cercle au cours de son année passée a la présidence. Dynamique, imaginatif, il est partout. Tant et si bien qu’au cours de lhiver dernier un mouvement de contestation — de contes- tation de son style de direction sentend — se développe au sein du Conseil d’administra- tion. “L’exécutif voulait faire des choses mais Eddie Leves- que faisait tout” explique un membre. La tension monte, des accu- sations — parfois sérieuses — sont lancées contre le prési- dent (2).5 des 7 membres du CA lui sont opposés. Eddie Levesque démissionne une premiére fois. Une pétition lancée par ses partisans — et qui l’appelle a se représenter — recueille une mince majori- té et aboutit a la convocation des membres pour de nouvel- les élections. “Des types ont quitté le Cercle 4 ce moment” remarque le membre de tout a lheure. Lors de cette Assemblée générale, chaque camp est », épaulé de son avocat. Résultat : Eddie Levesque est réélu, mais Renée Trépanier accéde a la vice-présidence. C'est cela, semble-t-il, qui pousse en février le président a démissionner pour la seconde ‘fois. Définitivement. L’électi- on a la présidence de Renée Trépanier, lors d’une nouvelle : Assemblée générale en avril, “8 consacre formellement la transition en cours. Nuances Pour autant, ces change- ments sont loin de pouvoir soulever des montagnes. “Il s'agit moins de _ bouleverse- ments que de nuances interve- nues dans la maniére de diri- ger’, considére Anna-Marie Lefebvre. ‘Le Cercle conserve ses grandes orientations, il les administre d’une autre facon c'est tout”. Et de remarquer que par exemple, la collabo- ration entre le Cercle et lAPPCF — une priorité de lexécutif actuel — a été pronée et encouragée matéri- ellement par l’ancien prési- dent. “Les comités social et culturel vont fonctionner plus ensemble” ajoute-t-elle. Un débat est en effet ouvert a ce niveau-la. Des membres, peut-étre la majorité, veulent moins de grands spectacles et plus d’activités plus accessi- bles, moins ambitieuses, pour encourager la participation de tous. Il font valoir que “1755” n’a réuni qu'une dizaine de francophones pour 200 anglo- phones. L'idée d’ouvrir le Cercle deux fois par semaine pour se retrouver, jouer aux cartes, jaser, etc, a été ainsi évoquée lors de 1’Assemblée générale, “C’est une des prio- rités de l’exécutif” assure Pau- line Cloutier. Peut-étre est-ce en effet 1a le moyen d’attirer les quelque 3000 francophones de la ville, qui par ailleurs ne regorge pas de distractions. Rendez-vous est pris a la‘rentrée. [1] Jl faut remarquer que ce programme-cadre a plutét la structure de classes d’immer- sion. Iln’y a seulement que 30 a 40 %d’enfants dont l’un des parents est francophone. [2]Eddie Levesque a refusé de me parler, se bornant 2 déclarer : ‘Je n’at plus rien a faire avec ce Cercle ; je n'ai plus rien a fatre avec la francophonie”’. I] s’inquiéte du frangais enseigné 4 sa fille - Suite de la page 1 le syndicat et Mme Lamarre. M. Sundby a soutenu que javais des préjugés contre les enseignants qui n’étaient pas francophones de naissance, et que je n’avais aucune raison de me plairidre du francais de Mme Lamarre.” La seule phrase de celle-ci, lors de cet entretien sera: “Je ne suis ni francaise, ni anglo-saxone, ni anglaise.” Mme _ Lamarre, dont l’époux est francophone de la Saskatchewan, est d’ori- gine américaine. Donc nous arrivons au 9 novembre, a la réunion de la Commission Scolaire (1). Les réponses de la Commis- sion seront: 1) concernant les livres de bibliothéque: ‘“monsieur le directeur répondra”, un an apres, celut-cin’a toujours pas répondu’. 2) l’embauche se fait de la méme facon que l’embauche des instituteurs anglophones, a la seule différence, les enseignants du programme parlent frangais. 3) -l’école Winderbank a eu son % enseignant; trois mois aprés, en janvier dernier. Mais a cette réunion de la commission scolaire, le syndi- cat des enseignants est présent en la personne de M. Sundby qui se léve et insiste: “J'ai raison de croire que M. Ethier- va brimer la réputation de ma cliente”. Déja pointait le manque di’impartialité du syndicat. Aprés tout, M. Ethier cotise et appartient au méme syndicat que Mme Lamarre. Une plainte est déposée Le 25 novembre 82, les parents du programme-cadre de Mission se réunissent et c'est alors qu’ils apprennent de la bouche du directeur de lécole que “le francais de Mme Lamarre n’a pas été évalué”. L’assistante du surin- tendant, Mme Barbara Naef, explique ‘que les diplémes de cette enseignante étaient telle- ment bons que celle-ci n’a pas eu besoin de passer devant les juges d’évaluation.” On ap- | prendra bien plus tard et le quotidien Le Sun de Vancou- ver le spécifiera, que M. Paul Lamarre, époux de Mme Lamarre, évaluait les candi- dats aux nouveaux postes dans cette Commission Scolaire Il ne se passera rien avant le 17 décembre, jour ow Jack Ethier apprend par une copie de lettre adressée 4 M. Sundby que Mme Lamarre déposera officiellement une plainte contre lui. “Je pensais vraiment que toute cette histoire s’arréterait et que l’on voulait m’empé- cher de parler. J'ai alors répondu que j’avais agi en tant que parent parce que mon enfant, Rita (2) était dans la classe de Mme Lamar- re et j'ai également agi en tant que président d’une associa- tion reconnue de parents” explique Jack Ethier. _ Enquéte de deux jours Quelques jours plus tard, le 21 décembre, les parents de l’école de Mission, écrivent a M. Carter, sous-ministre pro- vincial de 1|’Education, lui demandant de procéder a une enquéte sur les attitudes trés négatifs de la Commission Scolaire de Mission, vis-a-vis du francais ; une preuve: les coupures de presse des jour- naux locaux. M. Carter ré- pond — tout comme l’a fait M. Geoff Mills — en se cachant derriére l'article 146, qui, d’aprés ceux-ci, répon- drait a tous les problémes. Nous voici donc en 1983. “Le 14 février, j'apprends que Mme Marilyn Lamarre a déposé une plainte ‘comme "quoi J. Ethier avait fait une bréche au code d’éthique professionnelle.’ J’ai donc, le 14 mars, pris les services d’un avocat, Me George Fuller (3) d’Abbotsford. Nous avons demandé alors au BCTF de quoi il en retournait. On s'est fait répondre que nous le saurions a l’enquéte qui devait se tenir le 5 mai a Abbotsford dans un motel. Nous nous sommes donc rendus a Ab- botsford, sans nous y étre Jack préparés” continue Ethier. %, Pendant deux jours, l'un de 9h a 16h, l’autre de 6h du matin a 19h45 le soir, la plaignante, Mme Lamarre, ses cing témoins, M. Ethier, ses quatre témoins, les deux avocats et les juges, des profes- seurs de Vancouver, Nanaimo et Vernon, vont se succéder dans cette enquéte. M. Jack Ethier, qui vient d’étre nommé sur le bu- reau d'administration de la Fédération des Franco-co- lombiens, va recevoir tout le soutien de celle-ci. En effet, Lise Ménard, porte parole de la FFC, a soute- nu que cette derniére ap- putratt Jack Ethier dans sa cause. Dés la réception de la copie du jugement du ler juin, la FFC transmet- tra au Secrétariat d’Etat une demande d'aide moné- taire. Du reste lors de linjonction interlocutotre du ler juin, la FFC était présente. M. Fernand Gil- bert et Mme Lise Ménard ainsi que Mme Huguette Leclerc du Secrétariat d’E- tat ont soutenu, par leur présence, M. Ethier. Pour Jack Ethier, enseignant et parent, ces deux jours ont été éprouvants et impression- nants “j'ai eu vraiment |’im- pression que les juges n’étaient pas impartiauxl” Oui & une injonction interlocutoire Dans son témoignage, Mme Lamarre affirme que le direc- teur de l’école l’avait mise en garde que Rita Ethier était une enfant plus avancée que les autres. Mme Lamarre accusera M. Ethier d”‘avoir ébréché la clause 5 du code éthique”. Mais les témoins et collégues de Mme Lamarre affirmeront qu’ils n’ont jamais entendu di’allégations de la part de M. Ethier contre elle. Plus tard, l’avocat Me Fuller demande une injonction in- terlocutoire: ce qui veut dire que le syndicat ne pourra plus ~ procéder ou aller plus loin avec l'information qu’il a obtenu. En termes plus simp- les, on dit ala BCTF qu’elle a dépassé ses droits : les droits du citoyen canadien a pré- séance sur le cote d’éthique professionnelle d’un organis- me. “D’aprés la nouvelle Constitution, j'ai droit a la liberté de parole, et j'ai droit a la libre association. J'ai droit, en tant que membre d’une minorité officielle, 4 une édu- cation en francais de qualité pour mes enfants’ d’expliquer Jack Ethier. art. de la Consti- tution, section 2, 7, 23 et 24; ce dernier article donne droit aux juges d’accorder une in- jonction interlocutoire qui se- ra permise le ler juin dernier, devant la Cour. L’étape prochaine sera un procés en bonne et due forme. Quand? personne ne peut avancer de date précise, peut- étre cet automne. Si le syndicat gagne, il est certain que M. Jack Ethier sera rayé de la liste des membres du_ syndicat des enseignants et qu'il ne pourra plus enseigner en C.B. “Jirai en Appel, comme le fera certainement le syndicat, si je gagne.” Ce procés sera certainement l'un des premiers de son genre au Canada. Les avocats des deux parties buchent actuel- lement le sujet aux Etats-Unis, en Angleterre, en France. “Nous sommes en terre nou- velle” explique Jack. Il est presque inévitable qu’en face de ce dernier et de son avocat, se tiendront le syndicat et une :flopée d’avocats. Au point de vue pécuniaire, il est presque certain que Jack Ethier ne pourra régler lui- méme les frais du procés. “Nous sommes déja a 3 000 dollars et rien n’est commen- cé. Ce procés pourrait monter dans les 30 000 dollars” d’ajouter M. Ethier qui a perdu son entrain des jours meilleurs et qui a maigri. [1] Aux dires de nombreux parents, la Commission Sco- laire de Mu£ssion est anti langue francaise; elle veut peu @ peu supprimer le pro- gramme-cadre en assimilant celut-ct avec les classes d’tm- mersion qui ouvriront a la rentrée. La seule différence pour ces enfants du pro- gramme-cadre sera l'astéris- que devant leurs noms. [2] Rita est encore dans la classe de Mme Lamarre. [3] Me Fuller connatt assez bien les procés des minorités. Originatre de Winnipeg, il s'est battu au cété de Martin Luther King pour la recon- natssance des droits des noirs aux Etats-Unis. Le pénible fardeau de n’avoir rien a faire. BOILEAU