Le Moustique Volume3 - 1° édition Janvier 2000 CHRONIQUES VICTORIENNES Signe des temps. | . Je viens de garer ma voiture dans une petite rue qui donne sur le centre Eaton. Lair est tres humide, mais il ne pleut plus et la température est plutdt agréable pour ce début d'hiver ouest-canadien. J'ai toujours aimé les petites voitures, c'est plus maniable. Bien que de conduire a Victoria n'ait jamais posé de gros problémes, si ce n'est, peut-étre, que l'on s'endort facilement au volant. Je ne me ferai jamais a cette circulation qui n'en met plein la vue gu'aux limaces. Enfin ! Ma petite femme cherchait un petit coin tranquille. Elle a eut du flair, c'est sar ! Les petites voitures, c'est surtout plus facile pour se parquer. On trouve toujours un endroit libre, trop étroit ou mal placé, mais qui convienne parfaitement a un véhicule de poche. En ouvrant la portiére, cependant, je me demande si 'effort qui m'est demandé pour mien extraire est compensé par cet avantage. Certaines informations qui me viennent des genoux et qui me remontent le long des reins m'éclairent sur cette curieuse préférence qu'avait mon pére pour les grosses bagnoles, passé un certain age. Dissimulant un rictus, je m'extrais de la petite firefly, |a plus minuscule des voitures américaines (elle a également l'avantage de ne pas étre trop chére ; mais ce sont des choses qui ne se disent pas en Amérique du Nord) avec la plus grande désinvolture possible. lly a, en effet, quelques jeunes femmes qui passent sur le trottoir et, sil y a bien longtemps que je ne les intéresse 'plus, j'ai conservé ma petite fierté. On garde des habitudes pour lesquelles on est prét de payer fort cher, rien que pour le principe. Par exemple, si je croise une jeune femme en ™montant sur un trottoir, toujours, j'en franchis le rebord d'un petit bond souple et élastique. Je ‘suis certain qu'on le remarque, j‘en ai toujours été persuadé. Quand 'étais plus jeune, jimaginais la jeune femme penser que j'avais l'allure athlétique et qu'elle aurait plaisir a ce ‘que je me retourne et la remarque. Je ne me suis jamais retourné ; le réve est toujours plus joli que la réalité. Beaucoup plus tard, je l'imaginais se dire: << Diable, pour un monsieur de cet age, il a gardé la forme ! >>. Et je ne veux pas croire, comme on me l'a suggéré parfois qu'elle se dirait plutét : << Ce vieux fou, mais il va se casser la ...! >>. On est trop souvent confronté a des gens qui se font un plaisir a paraitre désagréables. C'est en songeant a ces problémes que je contourne le parcmétre et que j'en relis la notice, toujours avec I'espoir qu’a cet instant précis et pour n'importe quelle raison, il n'y a 2 pas lieu de payer. Cela n’arrive bien sir jamais, au point de croire qu'il n'existe pas de bonne raison pour faire des économies. J'ai lu quelque part que pour garantir une saine finance, argent doive circuler sans arrét. Et il est bien vrai que je suis toujours entouré de gens économiquement sains alors que l'argent n'arréte pas de me glisser entre les doigts. Cela se ressent plus nettement encore a la banque ou les agents sont charmants en permanence, souriants et bien mis et ol: mon argent ne reste jamais bien longtemps. Alors que je m'appréte a glisser mon obole de vingt-cing cents dans la gueule du fétiche urbain, j'entends une voix féminine qui interpelle rudement : - Hey ! You, there ! Spare a quarter ! Je me retourne. C'est une jeune femme qui s'adresse 4 moi. Elle est assise 4 méme le sol. Devant ses jambes croisées, un plateau avec quelques piécettes et un grand carton sur lequel est écrit en couleur : << J'ai faim ! >>. C'est une situation nouvelle. De mon temps (fldite, je l'ai laché !), les jeunes femmes ne mendiaient pas. Et celle-ci le fait avec agressivité, avec méme une furieuse arrogance. ( @ Suivre ...) Jack Blacke