RUBRIQUE LITTERAIRE Nous ne nous sommes pas dit au revoir Marie de Hennezel Dans l’avant-propos de son livre portant le titre « Nous ne nous sommes pas dit au revoir », Marie de Hennezel écrit : « Je propose ici une réflexion personnelle, issue de ma propre expérience de psychologue en soins palliatifs et nourrie de temoignages recueillis au fil des années ». Dans sa conclusion par contre, elle rappelle la question en ces termes : « Dans un discours social qui met en avant le droit de choisir sa mort et de demander l’euthanasie aux médecins, il n'y a guére de place pour une réflexion sur ce que j’appelle ici le savoir mourir ». Quand le temps est venu, il faut, dira-t-elle, savoir se détacher de la vie et faire "un véritable travail qui permet de larguer les amarres ». Elle parlera de l’exemple d'une vieille dame de 84 ans qui réalise que sa vie se termine et prend les mesures né- cessaires pour y mettre fin elle-méme. Elle refusera de s'alimenter, avec l’approbation de son fils et la protection de ses voi- sins compréhensifs et respectueux de sa décision. Le mot euthanasie a été inventé par Francis Bacon, homme d’Etat et philosophe anglais. A son époque, l’euthanasie corres- pondait a ce que nous considérons dés le 20° siécle, comme étant des soins palliatifs. Le sens du mot a changé aujourd’hui. L’acte devient un homicide et expose a des poursuites en justice. Il est pergu maintenant comme un acte de tuer, de mettre fin ala vie d’autrui. Il évolue ainsi dans l'ambiguité et prend un sens plus étroit quoique confus malgré tout. L’euthanasie nous parait comme un iceberg. Nous n’en distinguons que I’extrémité émergente. Le dialogue n’en finit plus d'imaginer la partie cachée sous |'eau, partie plus importante selon le principe de la physique et plus ardue selon celui de la raison. Les uns s’arment pour une lutte contre la souffrance par le traitement de la douleur qui méne a la suppression de la vie. D’autres préférent s’abstenir de prolonger artificiellement la vie d'un malade incurable qui souffre sans espoir de retrouver un jour le confort dans sa vie. Dans un long chapitre sur "la mort volée", elle s'insurge contre I’hépital qui refuse a soulager et qui s’entéte a vouloir guérir. La mort volée c’est la mort donnée a l’insu du mourant, ajoute-t-elle en accablant l’institution de tous les reproches : « L’hdpital nest pas le lieu pour mourir; les petites cruautés de I’hépital; la tentation de l'anonymat; le silence ou violence brutale faite aux malades; l'impossible identité du séjour,... » L’'auteur se demande s'il faut se pencher sur la solitude du malade, sur la souf- france de sa famille ou du désarroi des soignants, infirmiéres et médecins-traitants. Tant de questions qui surgissent et qui restent entiéres, sans solution. Toutefois, la mort clandestine, celle que l'on donne a I'hépital a l’insu du mourant, demeure pratique courante et reste quand méme un acte passible de punition en justice. Contradiction flagrante. Faudra-t-il changer la loi pour rendre légitime l'acte des médecins ou changer la perception erronée de la mort dans notre société? A défaut de vouloir ou pouvoir agir pour changer la loi, il faut changer l’attitude et le comportement humain vis-a-vis de la mort et de la tension qu’elle suscite par I'émotion, ce qui méne a l’'abandon et le refus de la raison. L’auteur semble hésiter elle-méme a accepter l'idée d’euthanasie comme étant un geste de compassion et d’amour pour met- tre fin A la souffrance par une mise a mort du malade qui souffre. Le droit de mourir reste pour elle une question qui n’a pas de réponse possible, logique, humaine. Elle persiste a croire a la dimension humaine du débat sur l’euthanasie a laquelle elle refuse de souscrire d’une facon irréversible. Ce livre est bien écrit, d'une clarté rare dans ce domaine des sciences médicales et humaines. Une source de réflexion précieuse sur cette phase de la vie qui nous fait peur et nous donne la chair de poule dés qu’on entend parler de la mort. Simon Henchiri Marie de Hennezel, « Nous ne nous sommes pas dit au revoir. » La dimension humaine du débat sur l’euthana- sie. Paris. Editions France Loisirs. 2000. 308 pages. 18