page 8 >) L’APPEL » Janvier 1968 UN CANADIEN ERRANT par Gaston Godbout — Troisiéme partie — En général l’anglais est fidéle mais peu loyal. Son épouse est souvent un boue émissai- re et il ne voit aucun mal 4 maugréer contre “the old lady”. Comme Churchill disait: “He erumbles but he does not worry”. Il sacre contre sa femme mais demeure fidéle. L’épou- se elle-méme trouve de trés bon godt de gueu- ler contre “the old boy” aux thés et cafés quotidiens. La loyauté est forte envers les amis, envers le club, envers la société; 1’épou- se prend ce qui reste. S’il y a exception acci- dentelle 4 la fidélité c’est habituellement une affaire de business. (Get it over with). Il ne eroit pas aux demi-mesures. Il ne touche pas au petit doigt d’une femme ou bien il veut tout. Si le manque de fidélité devient torride, la loyauté subit un transfert catégorique qui rend une femme trés heureuse et l’autre trés malheureuse. Le frangais aime 4 contourner, il aime les demi-mesures et en général ¢a finit lia sans manque réel de fidélité. Il n’aime pas ses re- pas avant d’avoir senti l’aréme et admiré les couleurs. Il établit une différence précise en- tre fidélité et loyauté; s’amuse avec la fidélité mais touche a peine a la loyauté, qui parfois en souffre un peu, mais qui parfois ressent, contradictoirement, une augmentation d’inten- sité. La loyauté est bien précieuse et souvent un homme fera Véloge de son épouse méme & Vobjet de l’infidélité! Pour la femme, son mari “c’est son homme’’ surtout socialement et elle ne peut souffrir une critique ou une allu- sion contre lui. Elle peut soupgonner un man- que a la fidélité, mais est heureuse aveuglé- ment avec la loyauté. Si le manque de fidélite devient torride, il y a souvent une “entente cordiale” de loyauté. La loyauté est de rigueur ct le tempérament latin ne peut souffrir qu’un conjoint cesse de supporter autre envers les étrangers, les amis ou méme les enfants. S’iJ y a manque de loyauté, toutes relations sont rompues; c’est la pire insulte qu’ne femme peut faire 4 son homme et vice-versa. Mais en tout et partout les extrémes ne sont pas aussi violents et les conclusions moins ¢otiteuses. Le francais moyen considére le genre fémi- nin comme un parterre de fleurs; il peut pré- férer et adopter la rose loyalement, mais ne cessera jamais d’admirer et de sentir les vio- lettes et autres fleurs du jardin, méme sans les cueillir. . . parfois. Vive la différence! L’interprétation est toutefois différente et combien de fois ai-je vu des officiers ricaner scupgonneusement aux sourires que je distri- buais aux beautés internationales. Si j’avais le malheur de déployer un peu de charme fran- cais et d’embrasser joyeusement une main délicate tendue, oh la la! j’étais tout de suite jugé selon leurs standards de “All or nothing at all’’ comme disait la chanson de Sinatra. Pourquoi donc, me suis-je demandé souvent, ne remarquent-ils pas ces gloutons anglopho- nes qui agissent en pleine liberté (ou liberti- nage), radicalement et sans se faire remarquer par leurs contemporains? Etrange ces doubles standards! Maintenant, revenons sur terre... ou sur mer plutdt. Nous allions faire escale 4 Brisbane sur la cote australienne, aprés un séjour fabuleux a Suva, au milieu des beautés exotiques et par- fumées qui impréegnent les iles Fidji, Le Capi- taine, homme admirable, me demanda d’enre- gistrer avec quelques autres Commandants, un disque pour étre transmis 4 la radio natio- nale. A cette question au sujet de la mentalité francaise au Canada je répondis: “To us, Fran- ce is a mother, England is a father; we love France with the affection and devotion due 1o a mother and we respect and admire Eng- land as we would a father’’. J’étais plutét fier de ma réponse mais mon sourire épanoui s’est vite effacé sous les regards ébahis et désap- probateurs des officiers qui formaient mon entourage. “Where did I go wrong?’ ai-je demandé 4 mon “brass hat”. Je n’ai jamais su pourquoi on a rayé mon message du disque. Tis semblaient pourtant si fiers de mettre ma photo dans quelques journaux australiens, de me faire chanter “Alouette’’ ici et 1a, et de 1’envoyer passer des interviews a la radio! Cette mentalité s’est démontrée d’une facon pius émotive lorsque je devais réciter les prié- res en anglais, et en francais aussi s’il vous plait, 4 l’occasion de la levée du nouveau dra- peau canadien 4 HMCS Discovery, base navale de Vancouver, oti j’étais officier d’état-major. Cette base navale avait un auménier protestant mais n’avait apparemment pas besoin d’un aumdnier pour les catholiques qui devaient alors se contenter d’un simple laic en unifor- me! En montant l’estrade pour faire face a quelques 400 personnes, je sentais la froideur et la rancoeur de cette foule peu sympathique au nouveau drapeau, qui avait devant elle le représentant de ceux qui leur imposaient ce Grapeau pour remplacer celui de l’empire bri- tannique. C’est ce ressentiment méme qui m’a donné le courage de hurler mes messages, sur- tout celui en francais que j’ai prononeé claire- ment, lentement et fortement. Je les exhortais ai l’unité “a V’ombre de ce drapeau”, et il m’a semblé en avoir converti plusieurs, 4 la récep- tion qui suivit, of la majorité paraissait enfin avoir accepté le fait accompli. Mais il y avait au moins une minorité réticente, bien repré- sentée en la personne d’un ancien Capitaine de la réserve qui me lanca: “You must be happy now; you’ve got your flag’’. Le voila, qui essayait de me mettre sur le dos le “pé- ché” de six millions d’habitants, qui d’ail- leurs avaient eu peu 4 faire dans le choix du drapeau. : J’ai eu ma petite revanche toutefois, car aprés s’étre assis au plano pour jouer quelques