i eg aa ae even wee Direction 72, c’est le titre d’une nouvelle exposition qui accueillera les oeuvres de deux jeunes artistes de la coté Ouest, Richard Prince et Dean Ellis. Bien sfr, le visiteur sera surpris au cours de cette exposition, mais j’entends agréablement. Si 1’0n considére que l’art ne s’arréte pas A 1’inté- rieur du cadre d’un tableau ou sous l’archet’ du musi- cien, bien vite on découvrira la poésie de tous les jourset 1?amourde l’ordinaire caché au fond d’une bofte en ce qui dconcerne les oeuvres de Ri- chard Prince ou dans le mou- vement de la marée pour cel- les de Dean Ellis. Il serait difficile d’expli- quer les oeuvres de ces deux jeunes artistes, car il y ace que l’artiste a pensé, concu et finalement tenté d’exprimer... et il y a ce que le spectateur y voit, ce qu’il en retire et qui est pags bien loin de ce que FEES aa ES ie iE DIRECTION /2 l’artiste a voulu faire passer dans son oeuvre. Ca, c’est le privilége du spectateur. Sa propre communication avec l’objet est bien diffé- rente de celle ressentie par l’artiste pour son oeuvre au moment de sa création. Bien sQr, il faut parler d’art et de talent pour ces jeunes artistes. Non pas d’art tra- ditionnel mais d’un tout aussi précieux, puisqu’il permet 4 l’auteur de s’exprimer. On peut produire des images avec les couleurs d’une pa- lette, avec les cordes d’un violon, des mots, une voix, des gestes... L’on peut aussi, et c’est génial, 4 l’aide de petits objets évoquer unmo- ment de la vie ous’offrir son paysage favori. Richard Prince, lui, a su mettre son talent au fond de bof- tes. Boftes de toutes tailles, de ‘toutes sortes, of se Cca- chent des fles en papier ma- ché reposant sur: des lacs tranquilles de verre. Se promener dans l’atelier A LA GALERIE D'ART DE VANCOUVER de Richard, c’est aller de découvertes endécouvertes, c’est apprendre que la beauté du détail se cache parfois sur de petits bouts de vaisselle cassée, qui finalement rangés, tels des objets pré- cieux derriére une vitre,ont trouvé la place qui leur etait due. C’est savoir que le spectacle d’un clair de lune au mois de janvier peut se cacher au fond de boftes. Croissant d’acier argenté sur le velours d’une nuit bleue. Boftes magiques d’ot s’échappent la poésie des choses capables de nous émouvoir et qui sont 1a, tout autour de nous mais que nous ne savons plus voir. Richard nous associe 4 son oeuvre de par le geste, car il faut s’approcher, soulever un couvercle, tirer un tiroir et alors la magie est 4 nous. Si je vous dis que l’on recoit un petit pincement quelque part dans la poitrine qui n’est pas dQ seulement a la surprise ‘mais plut0t 4 toute cette beauté si sim- ple, si naturelle, que l’on découvre, me croirez-vous? Beauté des petits cailloux dont les formes et les gri- sailles s’entrelacent, dou- ceur des plumes blanches sagement allongées dormant derriére un rideau de verre, petits nuages en forme de boules suspendus dans un ciel de papier bleu.. tré- sors qui précieusement re- posent au fond de tiroirs et de boftes. Richard se défend bien de penser qu’il pourrait res- sembler 4 un enfant et pour- tant... pourtant... n’y avait-il pas ‘un autre Prince, le pe- tit, celui de St Exupéry, qui lui cachait son mouton dans ee Ae Be aes a Voir”, Tintern Chard. ‘‘Bien sar, nous Ba- vons 2 bien??, Mais vous avez tout de méme quelque chose en commun, c’est que vous vous exprimez 4 votre ma- niére, la vraie, la ‘‘maniére vous’’, celle qui n’a pas été conditionnée, influen- cée... la maniére qui suit son inspiration, loin des che- mins conventionnels, la ma- niére qui parle votre lan- gage ! Ca, c’est trés trés précieux, autant que les dia- positives de Dean Ellis. Dean, lui, regarde le pay- sage. Il sait combien ce pay- sage lui est important, com- bien il en fait partie, com- ment il évolue 4 l’intérieur de ‘*ce morceau de pays’’. Quelles influences ce pays a sur lui... et il va y chan- ger quelque chose. Il va déposer un tronc d’arbre mort sur la plage ; 4 marée haute, celui-14 deviendra li- gne fine A l’horizon de la mer, A marée basse il sera 1a, imposant et magnifique ayant reconquis son terri- toire, ou bien il dressera deux piquets devenus ténus et fragiles dans leur verticalité qui ne fait qu’accentuer les deux lignes horizontales, celle, verte, d’une fin de prairie et celle bleue, d’un ciel lointain. Dean, a l’aide de diapositives, nous mon- tre comment il travaille. Les noms apparaissent avec les images ‘‘Rochers- en équilibre’’, ‘‘fouillis d’ar- bres’’, ‘‘chemin des vagues de gravier’’, ‘‘couloir du son’? et toutes évoquent la tranquillité dans le mouve- ment continu des choses, 1’ orchestration des - couleurs au rythme des saisons. Un petit saree dégourdi qui — regardait les diapositives de ! Dean m’a solennellement annoncé ‘‘les peintres y met- tent les peintures dans un cadre, mais Dean y met un cadre autour des pein- tures’’. Le petit gars ren- dait hommage sans le sa- vair A un talent précieux, le talent de savoir voir | Car 4 mon humble avis, le don de savoir découvrir le beau est plus rare que celui de repro- duire. J’en arrive a cette conclusion. L’art, on ne sait ot il commence. Mais ne serait-ce pas de ce grand cercle qui partant des ar- tistes trace sa courbe en passant par le musée, se continuant dans la rue, dans la vie quotidienne, pour re- venir au musée. Si au sortir d’une exposition, on a dé- veloppé tant soit peu l’ha- bileté de voir, de savoir apprécier, alors toutes les galeries, tous les musées du monde ont encore une fois établi la jonction en- tre les hommes et ce qui depuis toujours les préoc- cupe tellement, le ‘‘soucis du beau’’. Direction 72 se propose d’accomplir cela, c’est un programme de taille... et je doute fort qu’il faillisse A sa mission, car il est le produit d’idees jeunes, de sentiments jeunes et spontanés. Direction 72 commencera le 14novembre et continuera jusqu’au 15) décembre. Emanuelle LE SOLEIL, 10 NOVEMBRE 1972, Ix >