L’extremé tension ou la civilisation a éte portee est devenue, pour ainsi dire, visible. En effet, ces jours-ci, nous assistons, dans nos salons, au genocide des Bengalis et a du tourisme lu- naire. A Vheure des informations ou de la lecture d’un magazine, nous voyons littéralement s’etein- dre quelque sept millions de personnes.” Cette horreur, si elle se continue, sera comparable au ' genocide des Juifs entrepris par Hitler. Il y aura toutefois eu une amélioration notable: le géno- cide des Bengalis aura été concentré sur un terri- toire restreint et en quelques mois, alors qu’il a quand meme fallu tout le territoire européen et quatre ans pour supprimer six millions de Juifs. Et il a fallu pres de deux ans pour tuer une cou- ple de millions de Biafrais dont personne ne parle plus. Et pourquoi en parlerait-on? Qu’est-ce que cela donnerait? Parle-t-on d’ailleurs, ces jours-ci, en lieux autorises, du massacre des Tibétains par l'‘armee chinoise ? Ce serait de mauvais gout di- plomatique. D’ailleurs, de massacre en massacre, sil fallait avoir trop de memoire, on ne parlerait plus de rien. M. Trudeau, a Louisbourg, ces der- niers jours, n’avait d’eloges que pour le genie constructeur des constructeurs de la forteresse. Un genie un peu moins genial que le genie des autres, de toute facon, puisque la forteresse s’est fait avoir, et les Acadiens ont suivi. Ainsi donc, nous assistons, dans nos salons, au genocide des Bengalis en meme temps qu’a exploit d’Apollo 15. Pendant ce temps, les jour- naux nous apprennent qu’une partie seulement de l’aide fournie au Pérou, a l’occasion de la ca- tastrophe de mai ’70, est parvenue a destination. fl est plus facile d’envoyer des hommes sur la Lune que des couvertures de laine aux sinistrés du Pérou, ou des vaccins aux refugies bengalis. Comment expliquer que l’homme soit capa- ble d’aller ‘sur la Lune et soit incapable d’empe- cher le massacre des Bengalis? Ni méme d’aider efficacement les refugiés? Coté lune. il s’agit d’une entreprise de rai- son, ou ne se mele aucune espéce de betise. Plu- sieurs milliers d’hommes et de femmes mettent en commun leurs ressources, c’est-a-dire, leur in- telligence, leur competence, leur discipline, pour atteindre un objectif commun. L’objectif atteint, chacun est gratifie. Il y a des “vedettes”, d’ail- leurs vite oubliées en tant que telles, mais, au fond, chacun accomplit avec competence une fonction precise. Le pire qui puisse arriver — Apollo 13 fut un exemple — c’est une defaillance mecanique, car a ce point de cohésion, méme une defaillance dhomme n'est point autre chose qu'une defail- lance mécanique. On a parle, dans le cas des as- tronautes, dhommes transformés en robots. Si des hommes comme Armstrong, Scott, Irwin, Worden (et on devrait ajouter ici les noms de leurs homologues soviétiques) sont des robots, vienne le jour ou des robots de cette qualité se- ront plus nombreux sur cette planete, la notre. Dans Je cas des réfugiés bengalis, on est en face de la bétise. Non pas, bien sur, de la betise des réfugiés, mais de la somme de betises qui en- cendrent une telle situation. Irons-nous nous pro- nonecer, de Montréal, de facon imperturpide sur la sagesse qui a présidé a la constitution de Etat pakistanais, autour de 1947? Sur le réalisme de ceux qui ont constitué un Etat dont les deux parties sont separees par 1,400 milles de territoi- re etranger? 1,400 milles, c’est la distance de Quebec a Winnipeg. Ici aussi, il ne manque pas de gens pour prétendre qu’un territoire étran- ger sépare, disons, les deux villes. On pourrait conclure que les solutions de force ne reé- glent rien nulle part. Ce serait faux. La preuve, c’est que les mémes personnes qui nous sui- vraient dans ce raisonnement, aussi longtemps que cela ferait leur affaire, nous lacheraient si nous disions que les solutions de force sont mau- vaises aussi quand il s’agit d’Amos et de Gaspé; de Chicoutimi et de Montréal, en matiéres scolai- res ou en matiéres hospitaliéres. Il n’y a pas de bout a unir de force quand l’idée est 4a la force, et il n’y a pas de bout a séparer, quand l’idee est a separer. Laissons cette piste et regardons la beétise immediatement visible. Cette bétise prend la forme de l’impossibilité o& nous nous trouvons d’aider sept millions de personnes en train d’ago- niser. Comme tout devait etre simple, en ’42 ou *43, quand il s’agissait, pour les bonnes ames de- mocratiques, de sauver quelques milliers de Juifs. On se rappellera peut-etre qu’il fut question, a un moment donnée, d’échanger des Juifs contre des camions. Ce troc affreux ne s’est point maté- rialisé, pour diverses raisons. L’une d’elles, c’est qu’on ne trouvait pas facilement de pays dispo- sés a recevoir des Juifs par milliers. On ne saura donc jamais si les Canadiens, par exemple, au- raient accepté de se tasser un peu pour faire de la place a deux ou trois cent mille Juifs. Tenez, supposons que le Canada offre de re- cevoir 100,000 Bengalis, de payer leur transport (c’est faisable: on transporte plus de touristes que ca en criant $200.); de payer ensuite leur établissement minimum par ici. Serions-nous d’ac- cord? On peut me faire l’honneur de croire que je sais que ce n’est pas si simple que cela. Que peut-on faire? Presentement, le gouvernenfent a engage chaque citoyen pour trois sous. Il en coute cing par jour par citoyen américain pour envoyer du monde sur la Lune. Bien sar, les ci- toyens actifs, ici comme ailleurs, sont délestés de beaucoup de sous par jour sous toutes sortes de rubriques. Mais enfin, on peut penser que la-plu- part des citoyens ne rechigneraient pas sil’on portait le prelevement a dix sous pour venir en aide aux Bengalis. Mais, serait-on assyré-que notre effort atteindrait son objectif: les Bengalis mou- rants? On ne serait aucunement assure de l'effi- cacité de son geste. Et alors? Que voulez-vous que je vous dise? Je suis contre la bétise. Et je la vois s’aecumuler tous les jours. J’ai cru, a dix-sept ans, au sortir de la guerre de 45, que plus jamais on ne serait aussi béte. Depuis ce temps, il est mort plus d’hommes que jamais, par bétise. Le mort béte est la seule chose que l’on ait vraiment démocratisée. Tou- jours pour des raisonsinfiniment drapeautiéres. Pierre Laporte est mort de vieillesse, comme cha- cun sait. Qu’est-ce que Pierre Laporte vient faire la-dedans? Rien. A quoi pensez-vous? LA PRESSE, Jean-Paul DESBIENS ee pao * Le Soleil, anciennement Le Soleil de Vancouver, fondé en 1968 et L’Appel, fondé en 1965, est un journal indépendant publié chaque semaine par Le Soleil de Colombie Ltée, Case Postale 8190, Bureau L, Vancouver 14, C.-R. Tél. 266-9422 IDirecteur-Rédacteurenchef: Myriam Bennett - Directeur administratif : Robert Bennett édacteurs : ; ene eaiee Arluison ontroty Avec la collaboration de : Gilles Aerts . Edmond Girault Jacques Baillaut A.A. Hards _ Alain Clerc Ladislas Kardos Brigitte Clerc Jennifer Lulham Gerry Decario Carmen Primeau Roger Dufrane Jean Riou Il, LE SOLEIL, 13 AOUT 1971 Coupon dabonnement Le Soleil 266-9422 . Abonnement (] ‘Réabonnement O NOM = oc 0 ccc cccccccccccccccccceseccccedes ADRESSE =: « 0 « 0 0 o cocccccccccccercaccccece: VILLE = oc oc ee coceeee PROVINCE 2 eccccceces DATE: ocicicicicicleineleleteisicle 3 Boite Postale 8190'Stationt =, 2, . ¢6.00 Vancouver, 14, B.C. 6 mois : $3.50