VOLUME 4, NUMERO 8 PAGE 11 Exogamie + Naivete sociale= déclin du francais au Canada ** Dominique Panebianco ** Tel que paru dans |’Express du Pacifique lundi 24 novembre 2003 Cela n'est pas un fait nouveau, le nombre d’enfants et d’adolescents pariant le fran- cais a l'extérieur du Québec est en chute libre. C'est par ce constat alarmant que Rodrigue Landry, directeur général de l'Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques, débute le rapport qu'il a réalisé pour le compte de la Com- mission nationale des parents francopho- nes. D'aprés l'étude, cette baisse est esti- mée a 16,6 % chez les 5 a 17 ans eta 27,2 % chez les 0-4 ans sur une période de 15 ans. Des chiffres qui, selon le rapport, ne font que confirmer une tendance marquante: la concentration territoriale des langues offi- cielles canadiennes. En résumé, le fran- Cais s'efface au profit de l'anglais a l'exte- rieur du Québec — oti les francophones représentaient 4,4 % de la population en 2001 -, tandis que dans cette derniére province, la communauté anglophone est de moins en moins nombreuse — soit 8,1 % en 2001; un taux de fécondité trés faible et une assimilation trés forte dans les pro- vinces ol les francophones sont en mino- rité n'encouragent pas une hausse de ces pourcentages dans un avenir proche. Déséquilibre L’étude, dont les chiffres ne prennent pas en compte le Québec afin d’étre au plus prés des moyennes dans les provinces ol! le francais est minoritaire, se focalise sur les couples exogames, soit les couples ou l'un des deux parents parle le francais comme langue maternelle. Ceux-ci repré- sentent 37,1 % des couples des commu- nautés francophones et acadienne. La question de I'étude est simple: ou sont ces enfants supposés 6tre francophones de par leurs parents? Selon le rapport, la moitié des enfants concernés recoit le frangais comme lan- gue matemelle et seulement une minorité d'entre eux le gardera. Par exemple, cette connaissance de la langue de génération en génération est en-dessous de 20% en C.-B., 'un des taux les plus faibles du pays. Le raisonnement de l'étude est donc le suivant: « Ne pouvons-nous pas faire de l'exogamie une force a la construction bilingue du Canada plutét que d’en faire une cause de déséquilibre linguistique? » L’auteur du rapport prend en considéra- tion différents critéres de francisation chez les enfants issus de parents exogames, de la langue maternelle a la connaissance générale de la langue, en passant par la scolarisation et la fréquence de l'emploi du frangais a la maison. Un constat s'‘impose selon lui: il y a une plus forte assimilation, c'est a dire un plus fort taux de perte de connaissance de la langue frangaise chez des enfants ayant droits francophones qui ont pour langue premiere l'anglais — lan- gue maternelle et scolarisation — que le contraire. Le contexte socioculturel et lin- guistique des provinces ou le francais est minoritaire accentue cette tendance a l’an- glais. Conscientisation A partir de la, débute dans le rapport I'ana- lyse de ce que son auteur appelle la « naiveté sociale » des parents exogames qui., € moyen terme, joue en grande défa- veur pour la survie du frangais et le poten- tiel bilingue de l'enfant. M. Landry souligne que ces couples ne se rendent pas tou- jours compte des enjeux et des consé- quences de leurs choix linguistiques, au- tant pour leurs enfants que pour eux- mémes. Selon l'étude, les parents se doi- vent d'imposer un bilinguisme quotidien dans les foyers. Les couples exogames ont beaucoup plus de chances d’avoir des enfants dont la premiére — et parfois uni- que — langue est l'anglais. La méthodologie évoquée par les rapports Landry est une analyse de répartition des forces et influences. Cette théorie de la « balance linguistique » fait linventaire des facteurs qui permettraient un complet épa- nouissement de l'enfant des le plus jeune age dans les deux langues officielles. Un épanouissement qui, selon le rapport, re- léve aussi de la responsabilité du systeme éducatif. Par exemple, l'étude souligne le rdle primordial des garderies bilingues ou de langue minoritaire dans l'assimilation du bilinguisme par l'enfant. Pour mettre en ceuvre un plan d'action, la scolarisation, « pierre angulaire du déve- loppement communautaire », est la priorité identifiée par le rapport. « Dans les fa- milles exogames, le fait de favoriser la lan- gue minoritaire dans le choix de |'école est fortement associé au maintien des deux langues et des deux coutures du couple », écrit son auteur. Selon l'étude, le bilin- guisme additif de l'enfant serait toujours favorisé lorsque |'école et la famille con- centrent leurs efforts sur le développe- ment de sa langue minoritaire. Le rapport reconnait donc que |'école joue un réle de premier plan dans l'apprentis- sage du frangais chez les enfants de fa- milles exogames. Cependant, pour I’au- teur de l'étude, la réalité de la naiveté so- ciale révéle que le plus grand défi aujour- d'hui n’est plus l'accés aux écoles en fran- gais en région mais la frequentation de ces établissements par les éléves. «Lune des solutions apportée par le rap- port serait de mettre en place des campa- gnes informatives de grande envergure qui s'adresseraient directement a la con- science collective canadienne. Dans lidéal, selon Rodrigue Landry, le francais pourrait faire de I'exogamie l'un de ses meilleurs alliés a sa survie, voire a son développement, alors qu’aujourd’hui cette structure familiale participe a son déciin.