Le Moustique Edition No7 Mai 1998 Monologues C'est une vérité, devenue populaire avec la vulgarisation du tourisme, de dire que les voyages ouvrent l'esprit. Les circonstances font que j'ai eu moi-méme beaucoup a voyager, sans pour autant développer prodigicusement cet esprit étriqué qu'est le mien. Toutefois, au cours de mes pérégrinations, une chose inhabituelle, un peu surprenante, peut quelque fois éveiller mon attention ou attiser ma curiosité. Je reviens d'un séjour au Nord de la Guinée, en Afrique Occidentale. Comme les Guinée se bousculent dans cette partie de l'Afrique, i] faut préciser qu'il s'agit de celle de Sékou Touré, celle qui a dit "non" a la France, celle dont la capitale est Conakry. Ville au nom trés exotique, mais trés malade de la saleté, de la chaleur et de ses problemes de circulation. Quelques 500 km plus au Nord, a un jet de pierre du Mali, on se retrouve dans la "brousse". Ici, cela veut dire une savane arbustive de type guinéen, au Sud de la savane de type soudanais et loin au Nord de la forét tropicale, qui débute peu avant Conakry, et dont il ne reste presque rien. Cette brousse, cela veut dire également des cases rondes typiques des tribus Malinké, des pistes en latérite impraticables en saison des pluies, et de "l'orpaillage" en quantité. L'orpaillage, c'est l'exploitation artisanale de l'or alluvial et de cet or, on en trouve a peu pres dans toutes les riviéres. Riviéres ou se bousculent une multitude d'Africains, souvent d'origine lointaine, qui creusent des trous étroits et profonds dans les argiles tendres et sables meubles des alluvions. Leur travail est dur et peu rentable : en fin de journée, quelques paillettes d'or au creux de la main, peut-étre cing dollars de profit et assez de risques pour justifier une incroyable consommation d'amphétamine pour cette partie reculée de !'Afrique. La peur d'étre enseveli est grande, certes, mais celle de subir la vengeance des génies gardiens de I'or est immense. Les sites d'orpaillage sont bondés d'un monde grouillant et industrieux ; la nuit venue, quand les génies se réveillent, la place est désertée. On ne peut méme y trouver la trace d'un indice permettant aux génies de reconnaitre les responsables. Les puits ont de cing a quinze métres de profondeur et s'alignent, perpendiculairement au cours de la riviére, avec un espacement d'environ cing metres. Au fond des puits, des tunnels courent dans toutes les directions, se connectant aux puits voisins. La réglementation des travaux et l'organisation sociale des orpailleurs obéit a des lois extrémement strictes. Les femmes, par exemple, ne peuvent pas descendre dans les puits ; tout au plus peuvent-elles gratter le sol en surface quand les exploitations sont terminées. Leur tache se limite a laver la terre pour en séparer l'or ou a servir de "nourriciéres". Ces derniéres préparent de la nourriture a proximité des travaux et l'offrent a crédit aux orpailleurs qui les rembourseront un jour, peut-étre, s'ils découvrent le pactole. Cette configuration des puits d'orpaillage, on la retrouve en Allemagne, dans la région de la Saxe. Dans la région des Kupferschiefer (niveaux minéralisés en cuivre formant un grand arc qui court de l'Est de Frankfurt a Wroclaw en Pologne), prés de Mansfeld, des puits, réduits a des dépressions en forme d'entonnotr, s'alignent dans une forét récente, pas loin d'un monticule rocheux couronné de vielles ruines. Les archéologues allemands ont montré que ces dépressions étaient des puits verticaux, connectés en profondeur a un certain niveau, afin d'exploiter le cuivre tres recherché au temps de Charlemagne (souvenez-vous : couronnement de l'empereur Charlemagne en I'an 800). Et sur la colline qui surplombe les travaux, ce sont des ruines carolingiennes d'un fort construit la, 4 cette époque, pour protéger des Saxons sauvages, irréductibles et paiens le cuivre si nécessaire 4 Charlemagne pour ses piéces de monnaie. Les Allemands ont d'ailleurs une si longue histoire miniére qu'on en retrouve les traces dans la langue frangaise. La cassitérite que l'on exploitait dans les Esgebierge et dont on extrayait I'étain qui, mélé au cuivre, donnait le bronze, était souvent associé a une impureté rendant l'alliage cassant. Pour les anciens mineurs allemands, il ne pouvait s'agir la qu'une manifestation du diable. Cette impureté, on l'a reconnue plus tard, c'est le tungsténe qu'on appelle également wolfram. Traduit de l'allemand wolfram signifie le minerai de loup, du loup-garou bien entendu. Et méme les éléments nickel et cobalt (kobold) qui "polluaient" le cuivre, sont des mots d'origine allemande. Ils signifient tous deux gnome ou petit esprit malin des foréts. Il est donc vrai que les voyages aident a découvrir de bien curieuses choses. Notamment que l'origine de l'industrie miniere est fort semblable dans certaines parties si dissemblables du monde. Et surtout que l'on peut } fort bien voyager a quatre dimensions : dans I'espace, mais aussi dans le temps. Katana