Mars 1968 L’APPEL page 7 UN CANADIEN ERRANT par Gaston Godbout Cinquiéme partie Dans sa “Bishop’s letter’’ d’octobre, ’évéque anglican Godfrey de NewWestminster écri- vait: “I believe the churches have a part to play in preserving unity. In the past, churches have fostered a spirit of disunity. I wish the words Roman Catholic, Orthodox, Protestant could be dropped. They carry unhappy asso- ciations of battles fouht long ago’’. Qui peut contredire ce jugement avec réalisme et sans orgueil. Il faut admettre que les églises, mé- me sans le vouloir, ont maintenu, aiguisé le sabre de la désunion au Canada et augmentent les différences d’opinions et d’attitudes. En mer ou a terre, aux priéres dites aux parades du matin, c’était toujours: “Fall out Roman Catholics” et au lieu d’aller en avant ou sur les cétes, il nous fallait courir “at the double” trés en arriére des troupes pour for- mer notre cercle chuchotant comme un lot de comploteurs, indignes de l’établissement. Le tout premier jour de mon entrée dans la Réserve 4 Halifax, j’étais en charge de la Compagnie “A’’. Ignorant cette coutume et nayant pas compris l’ordre aux catholiques, je demeurai sur place avec les protestants pour les priéres. Le lendemain, le Chapelain catho- lique me demanda tristement: “Have you lost faith, my son?”. Il savait qu’automatiquement, un frangais ¢’était un catholique. Bizarre tout de méme qu’é HMCS d’Iberville, base navale québécoise, les protestants qui étaient en trés petite minorité, s’assemblaient en avant de nous, et non en arriére. C’est 4 cette méme base navale, qu’un jour je décrétai comme officier du Commissariat que le menu ne contiendrait aucune viande de pore durant la Paque juive, et ce, en considé- ration d’un officier juif, membre de la base. Deux cent cinquante catholiques ne mangérent pas de bacon, jambon, ete. durant ces trois jours, par considération pour les croyances de mon ami. Le vendredi saint suivant, il était de service, c’est-d-dire en charge compléte de la base pour cette journée de notre congé. Malgré ma défense de servir de la viande pour ce seul jour de l’année, par arrogance contre les catholiques, il donna ordre en mon absence d’ouvrir les magasins pour se faire servir du jambon. Ah, le maudit! je Vaurais étranglé! quoique je Vai fait verbalement. Toutefois, voyant qu’il ne comprenait pas du tout mes remontrances, je le quittai brusquement en chantant la chanson: “Hernando’s Hideaway” dont les mots commencent par “I know, a place, where you can go. . .”’, ce qui n’arran- gea pas du tout les choses entre nous deux. Il faut aussi admettre que nos chapelains catholiques n’ont pas tellement de détermina- tion et que parfois ils agissent comme s’ils vou- laient se faire excuser de ne pas étre protes- tants. Ca prit un chapelain allemand catholi- que, pour me montrer une exception 4 ce man- que de fierté. Il était un ancien pilote de la Luftwaffe de Goering, avait l’apparence d’un vrai baron, parlait avec autorité et, il faut dire, avec connaissance 4 fond de ses sujets de con- versation. Un type vraiment brillant et com- me catholique, j’en étais trés fier. Il a aba- sourdi toute la foule ce jour d’armistice ou jai déposé une couronne aux morts des deux guerres, 4 un service des trois forces armées. Suivant le Chapelain protestant trés “british”, il monta sur Vestrade et ordonna d’une voix forte: “We shall now pray for war deads of both sides, both sides”. Quelle conviction, qu’elle assurance devant ces vétérans d’un seul c6té! Si nous n’avions que des catholiques et des frangais de cette trempe dans la marine, nous aurions suggéré une supériorité au lieu d’une infériorité d’attitude. C’est exactement cette attitude d’infériori- té de certains francais qui pousse générale- ment les anglais 4 adopter une attitude de su- périorité 4 notre égard et ce, méme si nous sommes amis intimes. Mon pire ennemi et mon meilleur ami 4 la fois, me l’a prouvé un jour. Il était un excellent chum lorsque nous étions ensemble socialement, mais il était plus anglais que la reine en questions nationales. Quoiqu’un petit canadien des alentours de Victoria, C.B., il avait fait un stage de 6 mois en Angleterre et en était revenu avec un ac- cent trés “haome’’. Avec affectation, il mettait son mouchoir dans sa manche de veston, pous- sait son menton en avant et adorait parler et parler, surtout en fermant souvent les yeux pour feindre la concentration. Il était secrétaire du Capitaine et quoique mon inférieur en séniorité, il représentait 1’au- torité du Capitaine en matiéres professionnel- les. Lorsque Georges VI mourut, la princesse Elizabeth devint reine automatiquement et le lendemain de son accession au tréne, un ordre arriva des quartiers-généraux, commandant a chaque navire d’organiser une cérémonie de serment d’allégeance 4 la nouvelle reine, par au moins une certaine représentation d’offi- ciers du bord. Sur les douzaines d’officiers du carré, le Capitaine jugea bon de demander A six officiers seulement de mettre la main sur la Bible, et désigna son secrétaire pour exé- cuter cet ordre. Le secrétaire entra dans le carré 4 midi et devant une quarantaine d’offi- ciers me pointa du doigt en ricanant et annon- ca qu'il décidait que je devais étre le premier du bord a préter serment d’allégeance. Com- me officier, je n’avais aucune objection du tout, mais il m’avait choisi spécifiquement par- ce que j’étais frangais. I] n’y avit auncun doute qu’il voulait me voir fléchir le genou devant Vimpératrice britannique, en signe de soumis- sion frangaise. C’est ce symbole qui me cho- qua; l’admission du vaincu devant un nombre d’officiers tous anglais qui rigolaient en me disant : “Come on Gaston, you have no choice, he represents the Captain’. “Why me’’, ai-je questionné sournoisement comme un animal pris au piége. “Because you’re the only Que-