Le Moustique! ... Pacifique Volume7- 1eédition ISSN 1704 - 9970 Janvier 2004 Depuis, la maman et son mari, et beaucoup d'autres encore, ont rejoint les ancétres. Fanta ne revenait pas. Il était cependant évident que l’exorciste obtenait quelques succés, car, recemment, le fils de ces amours diaboliques, Moussa le splendide, était apparu comme par enchantement. Et, comme il devait nécessairement tenir de son pére, aussitdt, il s'en était pris 4 une autre belle de la ville. Heureusement, cette derniére, plus futée, avait flairé le traquenard. Il n’en restait pas moins que le fils du Diable était assez malheureux de la tournure que prenait toute cette affaire. Il avait tout essayé pour attendrir sa victime, rien n'y faisait. Dieu sait..., pardon, Diable sait pourtant combien il était irrésistible. Moussa avait donc déja quitté Kouroussa. II avait disparu depuis quelques jours, non sans tenter une derniére fois sa chance. Dans un téte-a-téte romantique, auquel toute la ville avait assisté, il avait pris dans la sienne la main fine et délicate de Mariama et y avait déposé un thaler d’argent. Vous connaissez sans doute ces grandes piéces de pur argent datées de dix-sept cent quatre-vingts a leffigie altiére et au bustier geénéreux de Marie-Thérése d’Autriche ; 4 Kouroussa, on n’avait plus vu de piéces semblables depuis le temps des ancétres. II lui avait refermé les doigts sur le métal et lui avait chuchoté a l’oreille : — Quand tu auras changé d’avis, que tu auras compris, qu’enfin tu m’aimeras, prends cette piéce dans le creux de ta main, souffles dessus délicatement. OU que je sois, je saurai alors que je peux revenir ; je t'emmeénerai ou tu voudras et je te rendrai heureuse, comme mon pére !’a fait pour ma mere. Depuis lors, l’exorciste ne ménage plus ses efforts pour arracher l’argent des mains de Mariama. Mais elle tient bon ; elle n’a pas non plus soufflé sur la piéce, enfin pas encore. Fanta, ayant raté son fils de peu, a disparu a son tour. Elle est partie au petit matin, sans saluer personne, ni méme sa famille, et encore moins l’exorciste qui avait usé de toutes les priéres possibles pour la soustraire de l'emprise du malin. Cela avait été pour lui un revers assez difficile a supporter. Echec qui avait couté assez cher a sa réputation et qui, surtout, avait quelque peu martyrisé la bourse de tout le clan des Camara. Pour ceux qui voudraient en douter, sachez bien que cette histoire est absolument vraie. Diailleurs, elle m’a été contée par mon ami Siaka Camara sur les escaliers de la petite école de Kouroussa. Cette école méme qu’a fréquenté Laye Camara ; celui qui, plus tard, écrira |’Enfant noir. Siaka m’a méme présente I’exorciste, celui qui s’essaye depuis tant d’années a arracher Fanta des griffes du Diable. C’est aussi un Camara. Largement passé la soixantaine, c’est un homme fort qui cache ses rondeurs dans une ample djellaba vivement colorée. L’air affable, il ne parait pas marqué par la terrible responsabilité de son difficile métier. Il m’a confirmé toute cette histoire derri€re un verre de biére tiéde. C’est un bon croyant, un Haj. Il a donc fait le voyage a la Mecque, mais tend quelque peu a se montrer faible devant l’alcool. C’est un Marabout-cognac comme on les qualifie par ici. II est vrai qu’il a tellement de soucis. Cependant, non ! Il ne désespére pas ! Il sait que sa tache est et sera toujours difficile, mais il est certain qu’un jour il raménera Fanta a sa famille. N’a-t-il pas déja sauvé son fils ? De bonne source, il sait que Moussa n’est pas retourné auprés du Diable. Au contraire, avec tous ses pouvoirs, il a su faire fortune a Conakry. Celui-la, il ne reste plus qu’a le marier. Mais cela aussi sera difficile. J.-J. Lefebvre 15