Créé en 1895 par des étudiants inquiets de ce qui leur semblait étre l'état de dégradation de la langue francaise, le groupe a bientét attiré les écrivains les plus intéressants et dynamiques de I'époque. Au cours de plusieurs séances, le jeune Nelligan a lu sa poésie avec une profonde sensibilité. Il se considérait comme un poéte dans la tradition romantique, et il en avait certainement l'apparence physique, avec sa belle et triste apparence a la Byron, ses grands yeux expressifs et son air songeur et distant. En 1898, son pére lui a fait faire un voyage en mer vers Liver- pool et Belfast; les détails en demeurent incertains, mais on pense que Nelligan pére avait entrepris d'enréler Emile dans la marine marchande. Plus tard cette année-la, il lui a trouvé un emploi de teneur de livres. Ces emplois n'ont abouti a rien car, au grand désarroi de son pére, Nelligan a résolu de se consacrer a son art, la poésie. Souvent, il s'est réfugié dans la mansarde de son ami de Bussiéres pour lire et travailler, et il a continué de publier ses poémes dans les journaux locaux et autres. C'est a cette époque que I'Ecole littéraire de Montréal a pris I'ini- tiative d'organiser une série de séances publiques auxquelles Nelligan a participé. C'est a la séance du 26 mai 1899 qu'il a récité avec ferveur son poéme « La Romance du vin », une réplique passionnée aux détracteurs de la poésie. L'audience lui a accordé une ovation retentissante, et Nelli- gan a été ramené chez lui en triomphe. Malheureusement, cette appari- tion en public, le meilleur moment de sa vie de poéte, aura été la der- niére. Peu de temps aprés, le 9 aofit 1899, sa santé mentale toujours chan- celante a complétement basculé et il a été confiné au refuge Saint-Benoit, montrant des signes de troubles mentaux. Nelligan est resté vingt-cinq ans a Saint-Benoit, puis a été transféré a lI'hdépital psychiatrique Saint- Jean-de-Dieu. Durant ses années de réclusion, il a continué a écrire, mais il avait perdu la capacité de créer une oeuvre véritable et passait son temps a recopier de mémoire ses poémes antérieurs. II est resté a I'hépital jusqu'a son décés, survenu le 18 novembre 1941. L'oeuvre d'Emile Nelligan compte quelque 170 poémes, son- nets, rondeaux, chansons et poémes en prose. Ce qui est étonnant, c'est qu'il a écrit tout cela entre les Ages de seize et dix-neuf ans. II avait publié seulement vingt-trois poémes avant son internement, mais, en 1904, grace a la diligence de son ami Louis Dantin et a l'aide de sa mére, 107 poémes ont été publiés dans Emile Nelligan et son oeuvre, avec une pré- face de Dantin. 6