Le Moustique il n'y avait rien de démoniaque Ia- dedans! Anthonis était trop doué, voila tout! Par prudence, il reprit son pinceau et ferma le bec de I'oiseau. Ouf! II 'avait échappé belle ! Cette aventure marqua profondément Anthonis. Il se considéra alors non _ seulement comme un enlumineur mais aussi comme un créateur de vie et voulut connaitre ses limites. Sur un bout de parchemin qui lui restait, il peignit un autre oiseau. Il mit tant de vie dans le regard, tant de réalité dans les détails des rémiges et des rectrices, que T'oiseau. se détacha du parchemin et s'envola par la fenétre ouverte. On ne le revit jamais. Fut-il mangé par un chat qui passait par a? Ou alla-t-il vers une contrée inconnue ot vivent les animaux échappés des ateliers d'artistes? Cette seconde aventure le confirma dans ses dons et naquit alors le péché d'orgueil. Il se prit pour un magicien. Et pourquoi pas pour Dieu lui-méme. Il décida de peindre une belle jeune fille, de la faire sourire, de lui donner la grace des gestes et le charme des rondeurs |a ow il les désirait. Il fignola. Il pensa qu'il était prudent de cacher Gheertenje - c'est le nom qu'il lui donna - et de la sortir de ses tiroirs seulement la nuit. Le jour, il edt suffi d'une visite imprévue pour détruire son bonheur : un prieur ou un abbé venant commander un livre de priéres ou simplement un voisin curieux... Qu'aurait dit Anthonis, je vous le demande, pour expliquer comment cette beauté se trouvait dans son atelier cheveux au vent, sans coiffe ni hennin, et vétue d'une robe décolletée et transparente comme aucune femme décente ne portait dans la ville? Mais la nuit, quand le volet était ajusté a sa fenétre, il reievait de son pinceau les paupiéres de Gheertenje, le corps se détachait du parchemin, gonflait que c’'était merveille, elle mettait ses bras autour de cou d'Anthonis et pronongait des paroles tendres. N'ayant jamais été bavard, il ne savait quoi lui répondre mais quand on a les bras d'une jolie Volume 6 - 2¢ Edition femme autour du cou, on n'a pas besoin de parler beaucoup... Au petit matin il I'étendait sur le parchemin ou elle reprenait sa forme plate de figure peinte, il refermait les paupiéres et la rangeait dans le tiroir qu'il fermait a clef. Dans la journée il peignait des caractéres enjolivés de volutes, des oeillets des sables, des ancolies sauvages et, le soir venu, il retrouvait sa Gheertenje. Anthonis aurait pu étre le plus heureux des hommes mais en réalité il vivait dans l'angoisse. A cette époque on parlait beaucoup du diable, on le voyait partout, essayant d'entrainer les pauvres humains dans les régions sombres de l'enfer. Un jour il eut a peindre une page entiére d'entrelacs. II s' appliqua, avec cette minutie que les connaisseurs appréciaient tant, a représenter une fine cordelette en trois couleurs. On pouvait la suivre dans ses méandres, passant dessus, dessous, se nouant avec souplesse, se recourbant pour filer vers un autre noeud. Une merveille! Il rangea son travail terminé dans le tiroir au moment méme ow il sortait Geertenje. Mais, le lendemain soir, quand Anthonis ouvrit le tiroir, il fut atterré. Pendant la journée s'était passé un drame silencieux et terrible. La cordelette, si bien peinte qu'on la croyait réelle, s'était détachée a son tour du parchemin. Anthonis la retrouva autour du corps de sa belle et enserrant son cou. Geertenje reposait toute blanche dans sa robe de mousseline. Aucune couleur de la vie n'était visible sur sa peau. Il sembla a Anthonis, brusquement, que son coeur était vide et qu'il n'était plus son propre maitre. Le jour méme il se sentit mal. Le deuxiéme jour le médecin l'examina, le palpa, hocha la téte et écrivit quelques mots sur un parchemin qui trainait sur la table. Le troisiéme jour l'apothicaire le drogua. Le quatriéme le croque- mort l'enterra. ISSN 1496-8304 Février 2003 Toute la population d'Oostlek- hoven pleura Anthonis. Jamais plus on ne vit en Flandre, et méme en Brabant et en Artois, artiste dont les enluminures réjouissaient autant les yeux et le coeur. Certains pensent que de cette triste aventure est née la réaction contre la peinture naturaliste. Mais je me garderai bien de I'affirmer. On raconte tant. Pernelle Sévy. Pernelle Sévy est originaire des environs de la Rochelle, elle vit en Colombie-Britannique depuis 1975 ou elle partage son temps entre l’écriture et la peinture. Elle a publié La couleur du Blé chez Ramsay en 1991 - Au large des cétes du Canada, perdue dans |l’océan Pacifique, l'ile de Vancouver est un véritable bout du monde, un de ces endroits au-dela duquel plus rien ne semble exister. Un couple de frangais a décidé d’y refaire sa vie. Lui s’appelle Philippe. Il a accepté le travail qu’on lui proposait la-bas. Elle s’appelle Eva. Depuis quatre ans, des cauchemars la dévorent et lui rappellent sans cesse que sa fille de six ans a été violée et assassinée. Depuis quatre ans, Eva et Philippe se parlent, mais ils ne se comprennent plus...... et La Passion d’Anna Blaine en 2001, aux Editions Buchet— Chastel a Paris. Je dois commencer par vous parler de mon enfance. Je dois parler du tout début, du milieu ou j’ai grandi, aimé et révé car, Si je vous dis brutalement j'ai tué mon frére Emmanuel, vous ne saurez rien. Je dois vous dire ce qui nous a blessés tous les deux, ce qui a provoqué cet amour fraternel si particulier, je dois vous parler de la mer et du parfum des pinédes. Et aussi d'une ville qui n’existe plus. » C’était en janvier 1945, dans une France libérée, ....