Le Moustique ! ... Pacifique Nouvelle inédite | Volume 7 - 1e Edition ISSN 1704-9970 Janvier 2004 Marguerite A. Primeau Vancouver, le 1 janvier 2004 LE « PIED PIPER » DU PACIFIOUE ll était apparu au début d’octobre par une matinée ensoleillée qui faisait bravement la nique aux brumes flottant au ras de I’horizon. Soit qu'il n’eut pas vu l’écriteau en bordure de la haie de pins a l’entrée de cette rue privée derriére laquelle se dressait une imposante demeure, soit qu’il edt refusé de se soumettre aux ordres d’un quelconque gros richard, il n’en avait nullement tenu compte. « La rue, c’est pour tout le monde », se serait-il dit, edt-il par hasard, ou en effet, remarqué l'injonction: ENTREE INTERDITE -; POURSUITES JUDICIAIRES POUR TOUT CONTREVENANT. De toute facon, le panneau et ses majuscules imposantes n’eurent pas l'effet escompte. Il ne fit aucun cas, non plus, des grognements d’un chien de garde qui semblait tirer sur sa chaine quelque part derriére les arbres touffus. Ceux-ci n’étant, en somme, qu’une re-création ultra-moderne des murs d’enceinte d’autrefois. ll s’était assis carrément au bord du trottoir ot aboutissait la palissade de pins, son chariot devant lui. De longs cheveux gris encadraient son visage et retombaient en cascades sur sa poitrine. Les rides qui creusaient son front et ses joues, aussi bien que son dos voité, supposaient une soixantaine assez avancée. Cependant, quelque chose de léger dans ses mouvements alors qu’il s'installait A son aise a la lisigre méme de enceinte de verdure démentait lage qu'on aurait pu lui donner. Une ombre de sourire ajoutait aussi un je-ne-sais-quoi de piquant a sa physionomie de vieillard. Ses habits étaient des plus bizarres. Un chapeau, en feutre jaune douteux, aux bords relevés, était surmonté d’une longue plume grisatre qui se balangait allegrement a 6 chacun de ses mouvements. II le portait enfoncé jusqu’aux oreilles. Tout au long d’une sorte de justaucorps s’entremélaient des losanges rouges, jaunes, noirs. Son pantalon avait aussi quelque chose de moyenageux. De couleur vert tendre et pas trop propre, il étonnait par son étroitesse plutét étriquée. Des baskets usés terminaient I’étrange ensemble. Un monticule d’objets disparates tenus plus ou moins en équilibre par une sangle de cuir débordait du chariot devant lui. Avec son vétement bigarré, son pantalon a la couleur délavée, il était soit une image fidéle du plongeur de poubelles de notre malheureuse €poque, soit un personnage d’un autre siécle réapparu par magie. L’ame visiblement en paix malgré la menace qui pesait sur sa téte, il fit tout a coup un éventail de ses mains. Il examina scrupuleusement chacun des ses doigts et se mit a les plier et déplier, puis a les masser comme pour les débarrasser de la froidure matinale. Sans doute satisfait du résultat, il les replia enfin doucement comme un ociseau replie ses ailes. Un large sourire éclairait maintenant son vieux visage. L'instant d‘aprés, il reprenait le méme manége. Les doigts de nouveau en forme d’éventail, il les pliait, les massait l'un apres autre avant de les refermer sur deux poings bien serrés. Il y avait déja un moment qu’il s’amusait ainsi lorsqu ‘une gréle de cailloux le fit sursauter. Il leva les yeux, ne vit personne, et se remit tranquillement a ce qui ne pouvait étre pour tout passant que l'indice d’un comportement plutét infantile. Tout chez lui, d’ailleurs, depuis ses vétements d’un autre age jusqu’a son curieux amusement indiquait qu’il n’appartenait pas au monde de tous les jours.