20 - Le Soleil de Colombte, vendredi 6 février 1987 Suite de la premiére page que ceux des années quarante. D’ailleurs, la taille des toasters a aussi diminué... et de toute facon, il n’y en a pas dans le studio de _ l’Ortent-Express. Quant a Yvan Lamontagne, son collégue journaliste, il a beau- coup plus d’humour que le belatre animateur. Et un nez moins long! Mais la cuisine est toujours 1a. C'est un des leztmotzvs de Jeanne. ‘Tat passé plusieurs années ict avant de rentrer a@ la radio. Pendant trots ans, je me suts beaucoup déplacée dans la province, jat pris la dimension du ‘coin’, j'ai rencontré des tas de gens intéressants. Et c'est essentiel: souvent, quand je parle dans le micro, je pense a@ la personne qut m’écoute dans sa cuisine @ Prince George ou ailleurs. Méme s'il n’y a pas toujours de feed back, je me sens proche des auditeurs...” qeanne...Doré< ._est.. née: a Chicoutimi (Québec) il y a trente-deux ans. Plus profond dans le Québec, on ne fait pas. A dix ans, elle joue au hockey dans les rues de la ville. A douze, elle découvre Montréal - pendant Pexposition universelle de 67. Et a vingt ans, elle quitte son Saguenay natal pour aller étudier a Montréal, puis 4 Sherbrooke. Mais déja le virus de la communication est la: “Quand j avats seize ans, se souvient-elle, nous avions demandé et obtenu la création d'une radio étudzante dans notre école. Nous avions Toucher aux limites réelles « » juste un micro et une table tournante, et tl ne fallazt pas trop parler car nous émettions deputs une chapelle en béton et ce que nous distons étatt souvent tnaudtble!” Mais|’expérience ne la refroidit pas et plus tard, étudiante a Sherbrooke, elle prendra en main lorganisation d’un journal étu- diant quotidien. Le journal s'appelle Le cadran (déja un instrument du matin!). Pendant deux mois, Jeanne commence a découvrir le métier de la communication. “Je me _ suts apercue, dit-elle, que lorsqu’on est dla remorque de l'actualité, le rythme de travail peut devenir trés intensif...” En 1978, Jeanne décide de venir sinstaller en CB. Comme pour beaucoup de nouveaux arrivants, il s’agissait alors pour elle de prendre la mesure du pays (elle fait le voyage en train) et d’aller “toucher aux limites.réelles d’un pays imaginaire. La Colombie- Britannique m’était parfaite- ment inconnue. Pour mot, il y avait les Rocheuses, le Pacifique et deux petits points sur la carte: Vancouver et Victoria!” Inutile de préciser qu'il lui reste donc quelques petites choses a découvrir. “Venant d’une région parfaitement unilingue, je na- vats pas vraiment pris la mesure de l’Amérique du Nord. Je ne réalisats pas vraiment que je vivats sur un continent massive- ment anglophone. Quand je me suzs installée a Penticton, je me suis inscrite @ un cours d’anglazs © pour les nouveaux Canadiens’. Il y avait la des Hindous, des Chinots... et deux Québécorses! Je me retrouvais un peu dans la peau d'une immigrante, dans un pays différent.” En septembre 1978, Jeanne est donc monitrice de langue a Penticton. Elle y reste huit mois, assistant trois professeurs de francais langue seconde. Mais cest pendant des vacances a Ucluelet, sur la céte Ouest de l’ile Vancouver, qu'elle prend la décision de resteren CB: ‘“J’az vu la mer, j'ai sentt quelque chose de si fort que ¢a m’étouffait presque. Jai décidé quil fallait que j explore ce pays ou tout est majestueux, ou tout semble amplifié dix fovs...” Un an aprés son arrivée en CB, Jeanne est accueillie 4 Vancouver par deux mois de _ pluie ininterrompue, et fait ses premiéres armes dans la commu- nauté francophone. Elle fait des recherches pour la Fédération jeunesse colombienne ou pour l’émission de télé communautaire La Francophonie & You. Avec son frére jumeau Jean, arrivé entre temps a Vancouver, elle anime sur Coop-Radio ]’émission L’Apéro. C’est en fait grace a Jeanne Doré va-t-elle se faire ~« dévorer toute crue? Ou bien la .laissera-t-on griller a petit feu? Mystére! Pour J’instant, ‘Jeanne ‘ne sait toujours par a «ss quelle sauce on la mangera, le .7 février au soir, quand elle sera l’invitée d’honneur de la soirée de cloture du conseil des présidents de la FFC, en ‘compagnie de Michel Martel. _ Ce soir-la, la FFC et Jeanne découvriront en méme temps ‘la bonne vieille tradition du dont les Anglo- ‘Je nen se Tevtens toujours pas, raconte- es t-elle encore sous le choc de la «wmnouvelle. Been sir, il y a “= roasting, ~~saxons raffollent. Dorésurle grill! = = quelques années, je me suts impliquée a fond dans la communauté franco-colom- bienne. Mats depuis que je travaille a l’émission du matin, mon rythme de travail ne m’en laisse plus beaucoup le temps. J avais limpressicn d’avotr pris mes distances, de m/étre ** écartée peu ad peu de la: communauté. Et je découvre sss: tout d'un coup que Jl crx représente quelque chose pour ces gens-la!” Jeanne oublie sans doute que ~ chaque jour de réveil-matin a ~~ quelques 7,000 auditeurs dans «= la province... et que cela laisse is::: des traces! ee Trois heures par jour en studio avec Yvan Lamontagne. cette émission qu'elle rentrera a Radio-Canada, “par la petite porte”. Pierre Tougas, un réalisateur de Radio-Canada, l’avait enten- due animer une émission sur Coop-Radio. “Je ne lVavais vu qu'une fozs, se souvient Jeanne. Un beau jour, il m’a appelée et ma dit qu'il avait ‘quelque chose a me_ proposer. Jai eu vingt-quatre heures pour me décider... et pendant six semaines, j at remplacé Christian Bernard pour animer La mer a boire, l’émzsston de midi. J’étazs effrayée! Pendant la premiére émisston ma vorx branlait comme stje marchais sur un terrain trop fragile. Alors Pierre a mis une chanson trés longue et est venu me parler en studio, pendant dix minutes, pour que je pense a autre chose. Je me souviens de ses lunettes, qui lui fatsaient des yeux grands comme ga! Jai eu une chance inouie de tomber dés le début sur quelqu’un de trés attentzf.” C’était en janvier 1982. Jeanne se souvient de ses débuts a Radio-Canada comme _ d'un changement fondamental. “C’étatt, dit-elle, le passage d’une production artisanale a une production de masse. Iln’y a rien de commun entre faire deux heures d’émission toutes les deux semaines, que l'on peut préparer tranquillement, et occuper l’an- tenne deux heures par jour, sous pression!” Petit a petit, Jeanne trouve sa place a Radio-Canada, en passant par toutes les tranches horaires et tous les miétiers intermédiaires: assistante a la - réalisation, recherchiste, anima- trice, etc. En avril 1984, on lui offre d’animer l’émission du matin. “L’été 1984 a été un tournant décisif, se souvient-elle. C’était, @ Radio-Canada, mon premier travail a plein temps. C’était aussi la premieére fois que je travazllass le matin. Jai découvert qui se passazt des tas de choses trés tét le matin, quand la ville dort encore. Jai découvert qu'en se levant tét, on étart plein d’énergie, trés créatif.” Jeanne affirme également que les premiéres heures du jour sont celles ot: les gens se livrent “tels quiils sont”. “C'est le moment le plusintime, dit-elle, dla forts pour les gens qui travaillent et pour ceux qui écoutent.” Et elle apprécie cette “intimité” comme elle aime le travail d’équipe. “Le contact avec les gens, le travail d’équipe, sont des aspects ‘merveilleux’ de mon métier, affirme-t-elle. L’été dernier, avec Expo, le rythme de travail est devenu plus intense. Jétats fatiguée, je produisais a contre-rythme, je commengaits a avoir des doutes sur ce que je — : En se levant tét, « on est plein d’énergie. » faisats. Lorsque jen at parlé a Stéphanie [1], elle ma passé Entretiens avec l’histoire, un livre ou Oriana Fallact, une journalis- te italienne, explique que c’est le doute lui-méme qui fazt que l’on crée.” : : Fatiguée? On le serait 4 moins! Chaque matin, Jeanne se léve a 4 heures (selon les périodes, c’était parfois 3h30 ou méme 8h00).. Juste le temps d’écouter un peu la télévision pour “commencer a me une voix réveil-matin mettre dans le bain de l'information” avant de sauter dans un taxi (tous les chauffeurs de taxi de son quartier la connaissent!) . A 4h30, elle est dans son bureau et 1a, en guise de “déjeuner”, elle dévore la presse a belles dents. Jeanne a un peu plus d’une heure trente pour préparer sa premiére revue de presse: en entrée, a 6h15, le New York Times, le Globe et le Province, ow elle aime dénicher des sujets susceptibles d’intéresser ses auditeurs de CB, tandis que son collégue Yvan Lamontagne leur fait savourer les éditoriaux: Le plat de résistance arrive une heure plus tard, a 7h15, avec de nouveaux dévelop- pements et les dépéches d’agen- ces. Et il y a peu de jours ou Jeanne ne se laisse pas tenter par une petite sucrerie: elle excelle dans l'art de raconter avec humour les dessins et caricatures du Globe ou du Province! Mais c’est sans doute dans les reportages que Jeanne est le plus son affaire. Il y a quelques années, pour enquéter sur le travail dans un fast-food, elle n’y va pas par quatre chemins: elle se fait embaucher dans un MacDo et, pendant quinze jours, raconte a ses auditeurs le travail quotidien. Pour-ses. deux a trois reportages quotidiens (Yvan Lamontagne et Jeanne Doré en réalisent, a eux deux, quatre ou cinq pour chaque émission), Jeanne n’est jamais a court d’idées originales, nouvelles, dréles. Car Jeanne a idées, de l’humour.... et surtout, elle est terriblement bavarde! Pas étonnant donc, qu'elle dise aimer la communica- tion. ‘J’aime sentir que l'auditeur est ld, qui m’écoute, dit-elle. Sz je pensais que personne nécoutait, je ne ferats pas ce métier.. Ce ne serait plus de la communication, ce serait du fonctionnarzat!” Mais pour Jeanne, aprés trois ans de travail intense, ce contact avec l’auditeur est de plus en plus difficile 4 établir. “Je n’az plus des Vénergie que javais au début, . explique-t-elle. Jaz mazntenant du mal a visualiser laudzteur. Sans doute parce que je ne me déplace plus autant dans la province. Maintenant, quand j'ai des vacances, je pars plutét a Vétranger...” Lassitude, contact plus diffici- le: ce sont quelques-unes des raisons qui ont décidé Jeanne a quitter la province. Elle qui dit n’avoir jamais douté de _ ses racines sen retourne vers |’Est. Aprés quelques mois de vacances en Europe, elle s’installera sans doute .4 Montréal. Fin mars, l Orient-Express perdra une voix de plus (2). Une voix de poids dans une équipe qui avait su trouver un ton jeune, décapant et proche en méme temps. (1) - Stéphanie Ségard de Bro- glie est réalisatrice de l’Orient- Express. (2) - Yuan Lamontagne s’en va le 13 février, Stéphanie Ségard de Broglie le 24 février et Jeanne Doré le 27 mars. Qu? les remplacera? Seul un des futurs noms est connu: il s‘agit de Sylvain Couture, actuellement annonceur ad Winnipeg, qui a dégja travaillé pour Radio- Canada a Vancouver dans le passé.