wht MANDRIN par Roger Dufrene Le film ‘‘Mandrin’”’, passé récemment 41’auditorium de l’Alliance Frangaise de Van- couver, m’a amusé 4 la fa- gon d’une suite d’images d’Epinal. Il est interprété par Georges Riviére, Dany Robin et Sylvia Montford, et se déroule dans les paysages du Dauphiné et de la Savoie. Coups de baton et coups d’épée, une révolution avant la vraie, tel apparaft ce scénario dont la vérité psy- chologique laisse quelque peu a désirer. C’est un film en couleurs, ov s’agitent, sous le pittoresque des cos- tumes de 1’époque, des pan- tins gonflés de son et des poupées de théatre. On voit d’un cdté les purs, les gens du peuple, asservis, et qui sous la conduite de Mandrin se rebiffent contre l’oppres- sion. De l’autre les corrom- pus, Officiers du roi et ho- bereaux de province, tantdt cyniques porte-épées et tan- tot ridicules porte-perru- ques. Il n’est jamais a l’avantage. d’un film de le comparer A un roman du méme genre. Que je pré- fére A cette vision sim- pliste le portrait de bri- gand donné par Henri de Régnier dans son roman de l’Escapade !| Le romancier y met en scéne un chef de brigands qui paraft ins- piré du véritable Mandrin. Et cette oeuvre ressuscite une société d’Ancien Régime bien plus complexe que celle du film. Que de poncifs dans celui-ci ! Mandrin, cheveux blonds, soubreveste de cuir, danse le menuet 4 la cour SS, sans l’avoir jamais appris. Ancien tonnelier, agile et beau parleur, il l’emporte au corps 4 corps sur un chef de contrebandiers et prend sa place. Et comme il con- vient que l’aventure satis- fasse un large public, l’exé-. cution de Mandrin n’est pas . reconstituée. On le voit seu- lement sur la fin du film, quittant les deux femmes qui se le disputent, et s’en- foncant dans la lumiére trou- ble de son avenir. En France, la légende de Louis Mandrin a longtemps animé les contes de veillée. De son vivant, les paysans, du moins ceux qu’il ne dé- robait pas, l’appuyaient dans ses entreprises. Le peuple d’autrefois, écrasé par les corvées, s’amusait par con- solation aux histoires de fins ~ voleurs. Il faut dire que les brigands de grand chemin assistaient parfois le peuple des campagnes au détriment des aristocrates. Ils redon- naient en partie aux pauvres ce qu’ils prenaient aux ri- ches ; et ainsi fit Mandrin. Mandrin fut roué vif 4 Va- lence en 1755. Il a fallu lever une armée pour le prendre. L’exécution de ce chef de contrebandiers qui mena une guerre sans merci aux leveurs d’impdt a sans doute inspiré la chanson cé- lébre : Nous étions vingt ou trente Brigands dans une bande, Tout habillés de blanc - Vous m’entendez - A la mod’? des marchands. Il s’agit 14 d’un brigand qui, sur le point de mourir, se remémore ses fautes. Il vole d’abord mille écus ; puis des robes et manteaux, *¢dont il charge quatre che- vaux’’. Il les vend au marché et bientdt se fait prendre. Et les ‘‘messieurs de Gre- noble’’, en grande robe et bonnet carré, le condamnent 4 la pendaison : Montant sur la potence, Je regarde la France. Je vois mes compagnons A l’?ombre d’un - Vous m’entendez - A l?ombre d’un buisson. - Va-t’en dire 4 mon pére Et aussi 4 ma mére Qu’ils ne m’attendent plus, J’suis un enfant - Vous m’entendez - Qu’ils ne m’attendent plus, J’suis un enfant perdu ! Admirable chanson pour la- quelle je sacrifie le film et tous les romans historiques sur Mandrin. Est-ce décré- ter le film sans qualités? Non. Il offre la distraction d’un roman de cape et d’épée. Il ne manque pas de mérite par 1’authenticité des costu- me§& et des scénes. Les ser- gents racoleurs qui offraieny A boire aux jeunes villageois} | pour leur faire signer uf engagement, les harangues pompeuses des baillis rubi- conds, les financiers gru- geant le peuple, l’armée et ses pavillons aux couleurs} vives, qui revétent la cam- pagne d’une parure de féte foraine, enattendant les cré- pitements des mousquets d’une féte meurtriére. HAPPENING MUSICAL par Jennifer Lutham. Non, le théatre n’est pas mort. Il est bien vivant ici a Vancouver, comme Jac- ques Brel, qui ‘‘is alive and well and living in Paris’’. A l’Arts Theatre Club, qua- tre acteurs-chanteurs tis- sent une tapisserie d’expé- rience humaine, faisant vi- brer les émotions du public en se donnant complétement. Chanteur, poéte et compo- siteur, Brel voit la vie com- me elle est, sans sentiment, mais avec compassion. Il démolit les préjugés avec son humour amer, ses chan- sons nous rappellent les vé- rités sisouvent oubliées, que” lV?amour ne dure pas, que la vieillesse est inévitable, et que le patriotisme et la religion ne sont que les fa- c¢ades. Brel propose la tolérance et l’?amour de son prochain. Le metteur en scéne Ri- chard’ Ouzounian est admi- rablement servi par sa com- pagnie : Ann Mortifee, Leon Bibb, Pat Rose et Ruth Ni- chol. Ils apparaissent, vétus de tons chauds sur une estra- de en bois. Derriére les écrans tendus de canevas jouent les musiciens. Les bruns des costumes et des décors rappellent la terre et crée une ambiance d’uni- versalité humaine. La premiére chanson, ‘*Marathon’’ frappe le mé- me théme, l’humanité prise au piége du progrés fréné- tique. Les solos suivants racon- tent les émotions personnel- les. Leon Bibb chante avec passion l’amour qui détruit dans ‘*Mathilde’’, tandis qu’ Ann Mortifee l’accepte dans ‘«My Death’’. Il y a aussi des numéros drdles et spirituels, comme ‘‘Timid Frieda’’, un pasti- che sur l’Armée du Salut avec Ruth Nichol et les hom- mes. La compagnie démontre beaucoup de versatilité dans la fagon qu’elle change de style et de tempo ; par exemple, une cape de toréa- dor devient un chale de vieille. Les moments les plus = gnants pour moi sont venu pendant les chansons d’An Mortifee. Cette jeune fem- me, sensible et généreuse a le don de pouvoir commu- niquer des images vivantes. Quand elle chante, elle de- vient la chanson. En écou- tant ‘‘Old Folks’’, j*ai vu 1 petite vieille, les napperons de dentelle, les photos fa- nées et j’ai entendu la pen- dule ancienne qui marque la vie fugitive. Chaque chanteur a son mo- ment. Leon Bibb au visage expressif.et au corps souple se montre supérieur dans les chansons réalistes et cyni- ques. Pat Rose est trés doué pour la comédie mais j’ai surtout aimé sa ballade nos- talgique : ‘‘Fanette’’. C’était une soirée inoublia- ble ot le public apleinement participé - chose qui arrive rarement aujourd’hui, 4 no- tre époque ot les écrans obligent les spectateurs a rester passifs. Ge n’est pas la télévision qui obligerait des hommes 4 essuyer leurs lunettes en sortant de la salle. XII, LE SOLEIL, 7 JUILLET 1972